jeudi, novembre 10, 2005
French survival.
Vu ce film. Enfin un cinéma français qui à des couilles. "Découvert au festival de Cannes, diffusé pour notre plus grand bonheur lors de la dernière édition de L’étrange Festival, ce Calvaire en bobine, quelque part entre C’est arrivé près de chez vous et Massacre à la tronçonneuse, risque de laisser une trace dans votre parcours de cinéphile. Marc Stevens est un chanteur itinérant. A l'hospice, le concert est terminé. Celui-ci reprend la route, mais il tombe en panne au milieu de nulle part. M. Bartel, un aubergiste psychologiquement fragile depuis que son épouse Gloria l'a quitté, le recueille. C'est alors que commence le cauchemar de Marc : M. Bartel voit en lui l'incarnation de son ex-femme et tout le village est persuadé que celle-ci est rentrée au pays. Marc est un chanteur itinérant qui traîne les chansons de Marc Aryan de villes en villes. En procurant à son public un plaisir simple et si vital, le monsieur fascine les vieux et surtout les vieilles, émerveillées, qui se font des monts de fantasmes. Puis, il prend la route, les photos cochonnes d’une infirmière sexy (Brigitte Lahaie) en poche. Voguant vers de nouvelles rencontres, de nouveaux horizons… Un soir, il se paume dans une sorte de no man’s land où plus rien ne semble avoir de sens. En pleine nuit, l’artiste (Laurent Lucas, admirablement déphasé) tombe sur un aubergiste (Jackie Berroyer, impeccable) qui lui confie ne plus avoir reçu personne depuis… la mort de sa femme. Un aubergiste apparemment arriéré, sympa (il semble avoir le cœur sur la main) mais énigmatique (on ne sait pas si les mots qu’il prononce collent à ce qu’il pense), dont l’hospitalité intrigue, dont l’obséquiosité angoisse, dont le mystère incise. Une nuit passe, rien n’a changé. Ou plutôt si, tout a changé. Mais le protagoniste et nous autres spectateurs ne nous en sommes pas rendus compte. C’est le début d’un long calvaire. Un cauchemar qui va prendre des proportions inimaginables…Rarement un film aura aussi bien porté son titre. Calvaire première fiction - ultra-maîtrisée - de Fabrice du Welz est un amalgame roboratif d'humour noir, de survival et de série Z. Tout commence comme une comédie à l’humour belge cinglant, ça lorgne progressivement vers le fantastique, ça se poursuit comme du Hitchcock et ça s’achève avec une conclusion très gore. A condition de ne pas trop en savoir, l'effet est très surprenant. On compare le film hâtivement à du Gaspar Noé. On se dit que c’est peut-être réducteur (parce que c’est limite si le disciple ne surpasse pas le maître) mais ce n’est pas faux à la fois dans la forme et dans le fond. Pourtant, le film réussit à surmonter ce lourd atavisme pour fureter ailleurs, vers des choses indicibles, des détails discrets qui ne se révèlent qu’à une seconde vision. Les films de Noé et de Du Welz reposent au fond sur les mêmes astuces: une grande mine d’influences (pour Seul contre tous et Irréversible, Noé s’était inspiré de Schizophrenia de Gerard Kargl et de Kubrick), une ambiguïté omniprésente (qu’est ce que nous devons comprendre de ce qui nous est donné à voir ?) et surtout un romantisme sous la trashitude. Dans Irréversible auquel Du Welz se réfère beaucoup (mêmes Joe Prestia et Philippe Nahon, même chef-op Benoît Debie…), Noé détruit le temps qui détruit tout en imposant un montage alinéaire, en partant de la fin et en finissant par le commencement. Il en résulte une impression paradoxale que le film se finit bien alors qu’il n’en est finalement rien. Le discours de Du Welz est plus subtil: sous les effluves gores, le réalisateur sonde à travers ses personnages la misère affective ou plutôt comment un individu peut susciter la fascination chez un autre. Comme si nous étions nous-même le Bartel de quelqu’un (et peut-être réciproquement). Marc Stevens (Laurent Lucas, prodigieux même dans les instants les plus durs) éveille les sens de tout le monde: une vieille retraitée, une infirmière, un homme qui a perdu son chien, un village paumé… Un personnage que le réalisateur décrit lui-même comme une sorte de "Tintin asexué".En partant de l’humanité pour aller vers la bestialité, Du Welz impose une vision pessimiste sans pour autant tomber dans le manichéisme. Par exemple, le personnage de Bartel est aussi pathétique que drôle, dangereux qu’émouvant. A ce sujet, Jackie Berroyer s’est fait une joie de le transfigurer et pioche ici une occasion de lancer des répliques cinglantes et de manier le doute et l’ambiguïté avec la même intensité. La grande réussite de cet objet singulier qui furète dans tous les registres vient du fait qu’il met mal à l’aise tout en déridant les maxillaires, parfois dans un même fragment de scène ; le plus gênant étant que le spectateur ne sait pas s’il doit rire, s’émouvoir ou s’effrayer des situations qu’il voit à l’écran. L’ambiguïté se situe à tous les niveaux. Sorte de croisement fantasmé entre les premières fictions de Polanski (peur sourde, affects paranos), les classiques du cinéma fantastique (incipit à la Carnival of souls) et les survivals les plus trash (Massacre à la tronçonneuse), Calvaire est un film qui, sous l'avalanche d’influences explicites, laisse exploser une personnalité propre et un récit imprévisible parsemé de rebondissements discrets, jouant sur l'abandon, la perte de soi. Des paradoxes jubilatoires à l'heure où le cinéma plaide pour les scénarii les plus consensuels. Confrontant des acteurs hétéroclites (Laurent Lucas, Brigitte Lahaie, Philippe Nahon...) ; baignant dans une ambiance terrible (autopsie de l’être humain réduit à l’état de bête, loin des conventions sociales, plongée dans la face sombre et les pulsions enfouies), cette expérience radicale, glauque et fascinante constitue un choc. Une descente aux enfers convulsive qui enregistre la quintessence de l'horreur. Une ratatouille épicée à base de cinéphilie mâchée, de virtuosité formelle et d'angoisse, encore et toujours. Fabrice Du Welz a mis quatre ans pour faire son film. Les efforts mis en place sont payants: dernièrement, le film a été présenté au dernier festival de Gérardmer et le cinéaste est reparti avec trois prix sous le bras. Dieu sait comme on n’aime pas le racolage, mais on vous l’assure: Calvaire est un très grand film, un de ceux, rares, qui pénètrent jusque dans vos pires cauchemars et laissent une trace indélébile en nous. Coup d’essai, coup de maître."