mercredi, novembre 23, 2005
Star Warz : Le montage perdu (1)
Les scènes perdues de Luke Skywalker et Biggs Darklighter à Anchorhead, coupées de la version de la guerre des étoiles il y a 20 ans de cela, n’étaient en réalité que la partie visible de l’iceberg. Ces scènes manquantes, sujettes à spéculations et discussions pendant très longtemps étaient devenues pour moi de Saint Graal. Lorsque j’ai finalement pu visionner ces séquences, extraites pour la première fois des archives de Lucas film, je croyais avoir fait la dernière de mes découvertes archéologiques qui avaient commencé dans le désert tunisien. Mais il y a peu, j’ai appris qu’une tout autre version du film existait encore – un premier montage, qui contenait encore des éléments que je n’avais jamais vu et dont je ne soupçonnais pas l’existence. Enfoui au plus profond des archives de Lucasfilm, un autre trésor archéologique que j’ai fini par exhumer prenait lentement la poussière : une autre version de La guerre des étoiles qui n’a jamais été montré au public. Voici, pour la première fois, l’histoire de ce montage perdu. Avant que la guerre des étoiles n’obtienne la forme finale qui lui valut l’oscar du meilleur montage, avant même que le film ne soit terminé, avant l’ajout des effets spéciaux et avant le tournage des dernières scènes, il en existait déjà une version prototype. John Jypson, monteur britannique, avait rejoint la production car Georges Lucas et Gary Kurtz avaient aimé la manière dont il avait monté Zoulou film de 1964. Il avait également travaillé sur le classique des Beatles, quatre garçons dans le vent (1964), auquel le directeur de la photographie choisi par Georges Lucas pour la Guerre des étoiles ; Gil Taylor, avait également participé. Alors qu’en 1976, le tournage en Angleterre touchait à sa fin (restaient à terminer les scènes intérieures du Blockade runner), John Jympson réalisa pour Georges Lucas et Gary Kurtz une toute première version du film au moyen des séquences disponibles – un montage grossier, sans effets spéciaux, auquel manquaient certaines scènes et d’autres ajouts ici et là, mais qui donnait néanmoins une idée de la manière dont Star wars prenait forme. A son retour en Californie, Georges Lucas choisit de remonter entièrement le film dans un style totalement différent, et engagea Richard Chew, Paul Hirsch et Marcia Lucas, qui l’aidèrent à donner à son œuvre le montage que nous lui connaissons. De son côté John Jympson mena une carrière fructueuse : il monta entre autre un poisson nommé Wanda, ainsi que in & out de Frank Oz, laissant le montage perdu loin derrière lui. Cette première version du film ne devait jamais ressembler à un long métrage entièrement terminé destiné à une projection publique, et il ne correspondait pas à ce que Georges Lucas voulait montrer au monde (en outre, ayant été soigneusement conservé pendant plus de vingt ans, il n’a jamais été véritablement perdu). Mais cette autre version de la guerre des étoiles n’en présente pas moins un grand intérêt historique, de part les nombreuses dissemblances qu’elle présente par rapport au montage final – elle contient 30 à 40 % de séquences différentes, comprenant d’autres angles de vue, des éléments d’action supplémentaires, dans des plans plus longs ainsi que des scènes coupées de la version finale. Elle témoigne de l’ampleur du matériau que Lucas et son équipe durent lentement sculpter dans la salle de montage pour arriver au film que nous connaissons. Elle permet également d’observer le processus de création lui-même, et révèle certaines subtilités sur les personnages et sur l’intrigue. Aujourd’hui le montage perdu se présente sous la forme de 13 bobines de film 35mn en noir et blanc. Les illustrations en couleur inédites présentées dans cet article proviennent des séquences visionnées au jour le jour par l’équipe de réalisation, et constituent une découverte exceptionnelle. Nous devons pour cela remercier Tim Fox, l’archiviste du projet Star Wars l’édition spéciale et expert mondial pour tout ce qui concerne l’enregistrement et le classement des séquences de Star Wars. C’est lui qui a organisé l’archivage de toutes les scènes de la saga. En se précipitant sur les listes originales qui donne au montage perdu non seulement des éléments nouveaux, mais également une toute autre ambiance. En effet, le film du montage perdu emprunte beaucoup aux documentaires pour raconter Star Wars, insistant sur la clarté narrative et sur tous les éléments de l’histoire plutôt que sur la tension dramatique (comme le fait le montage final). Les principales scènes coupées nous sont déjà connues : Luke travaillant sur un vaporateur d’humidité et observant la bataille qui se déroule dans le ciel (en réalité le miroitement d’une lentille et quelques étincelles représentant les tirs de lasers) ; ses quelques répliques avec Biggs et ses amis à Anchorhead ; la confrontation de Han Solo et Jabba le hutt humain. Mais de nombreuses répliques inconnues apparaissent tout au long de cette version du film. La plupart d’entre elles sont présentes dans les romans, réalisés d’après le scénario de tournage. Dans le montage final, de nombreuses répliques secondaires ont été enlevée afin d’obtenir une progression narrative régulière et rythmée, mais elles restent malgré tout fascinantes et nuances nombre d’éléments que nous connaissons. Par exemple, le commander Jir déclare à Darth Vader, à bord de blockade runner, que Leia devrait être éliminée immédiatement Vador répond alors Non, mon premier objectif est de localiser leur forteresse cachée. Peut-être s’agit-il d’une référence au film de Akira Kurosawa, le château de l’araignée (the hidden fortress) souvent cité comme l’une des sources d’inspiration de Star Wars. Dans la majorité des autres cas, les répliques du montage perdu ne changent pas, mais cette première version contient des scènes plus longues, des plans supplémentaires, ou d’autres prises des acteurs disant un texte que nous connaissons bien, mais sur un autre ton ou sous un angle différent. Il en résulte souvent un rythme plus tranquille. La scène de la cantina, dans laquelle Ben Kenobi et Han Solo négocient l’un avec l’autre, est ponctuée de plans montrant leurs réactions après chaque réplique, et les pauses entre elles sont plus longues. L’effet général est moins dramatique, mais sonne un peu plus « vrai ». Le film y perd en tension narrative mais gagne un certain réalisme, un aspect caractéristique du montage perdu. Dans cette version du film, le monteur insiste sur la clarté, spécialement en ce qui concerne les relations géographiques et spatiales. Le spectateur est sensé comprendre exactement où et comment se déroule l’action, même au détriment des aspects dramatiques et artistiques. Ce procédé est visible dans de nombreux plans et séquences du montage. Ainsi, la vue du landspeeder de Luke devant la demeure d’Obi-Wan Kenobi provient d’un angle complètement différent : elle est plus directe et permet au spectateur de voir la forme de l’édifice et la position du landspeeder très clairement. Le montage final insistait sur l’aspect dramatique, moins précis mais plus attrayant ; ce contraste est très révélateur des différences d’approche des deux font un usage remarquable de l’architecture tunisienne de cette habitation (remplacée dans l’édition spéciale par une maquette et un paysage peint à l’arrière plan). Un autre exemple de cette volonté de clarté géographique du montage perdu est le long panoramique de gauche à droite qui montre le landspeeder de Luke traverser la place de Mos Eisley. Dans le montage perdu, cette séquence (plus longue) nous montre le landspeeder se déplacer depuis le barrage des stormtroopers jusqu’à l’entrée de la cantina. Le chemin parcouru est alors clairement visible, et le spectateur est capable de visualiser l’emplacement de la cantina, du barrage et de la rue les reliant l’un à l’autre. Le montage perdu, quand à lui, nous donne l’impression d’une ville bien plus vaste grâce à des plans plus courts, occultant les transitions d’un lieu à un autre et laissant au spectateur le soin d’imaginer des rues et des maisons supplémentaires entre eux. Naturellement, Mos Eisley fut considérablement agrandie pour l’édition spéciale grâce à l’ajout de plans aux effets spéciaux très réalistes. Le montage perdu montre donc point par point chaque développement de l’action. Dans le montage final, alors que Ben Kenobi, Luke et Chewbacca se dirigent vers la table de Han dans la Cantina, nous passons directement à un plan extérieur de R2D2 et de C3PO disant « Tout cela ne me dit rien qui vaille ». Mais dans ce tout premier montage, la caméra s’attarde sur le groupe qui s’éloigne- suffisamment longtemps pour qu’on aperçoive quelqu’un au premier plan prendre soigneusement note de la courte altercation au sabre laser qui vient de se produire. L’individu tourne alors les talons et se dirige vers la porte. Dans le plan suivant, à l’extérieur de la Cantina, il fait signe à un stormtrooper et lui raconte ce qui s’est passé. Nous revenons alors au plan suivant du montage final. Cet aperçu même court, que le montage perdu donne de la personne qui prévient les autorités de la présence du Jedi dans la cantina est des plus intéressants. Cette présentation précise de cette suite d’évènements est typique du montage perdu, de même qu’une description plus riche des personnages secondaires de l’histoire (grâce à un temps d’apparition à l’écran plus long) L’univers de Star Wars s’en trouve agrandi.