vendredi, février 17, 2006

 

Memories of murder.

Vraiment un de mes cinq films préférés de l'année dernière "Milieu des années 80. Dans une petite ville de province près de Séoul, on découvre à quelques semaines d'intervalle les corps de deux femmes atrocement mutilées. La police locale est rapidement dépassée par les événements. Le cinéma coréen n’a pas fini de nous étonner. Avant la sortie d’Old Boy de Park Chan-Wok, Grand Prix du Jury à Cannes et une semaine après celle de Deux Sœurs, vertigineux film d’horreur, s’expose enfin sur nos écrans le magnifique Memories of Murder, chef-d’œuvre multi-primé au Festival du Film Policier de Cognac et peut-être le meilleur polar orchestré depuis Se7en de David Fincher. Il y a décidément quelque chose de magique au pays du matin calme. Aidée par des subventions mises en place par le ministre-réalisateur de la Culture, Lee Chang-Dong (Oasis), une jeune génération de cinéastes revisite avec bonheur tous les genres du septième art pour en écrire les pages les plus contemporaines. Sur le papier, rien ne semble différencier Memories of Murder du thriller lambda. Des femmes sont mystérieusement assassinées à la campagne et des flics aux méthodes diamétralement opposées enquêtent sur le terrain au gré des indices relevés. Dès l'ouverture joyeusement bordélique autour d’une scène de crime impossible à faire respecter, on devine toutefois que l’on n’assistera pas à une énième traque de serial-killer, personnages monolithiques et discours binaire à la clé. Inspiré de faits réels qui ont secoué la Corée du Sud dans les années 80, Memories of Murder est avant tout un film d’époque, une comédie noire de pays sous-développé comme le définit lui-même le metteur en scène. Alors que la Corée est secouée par une frénésie paranoïaque - succession de couvre-feu et répression sanglante des grèves étudiantes -, trois hommes partent à la recherche du mystérieux criminel: le détective Park Doo-Man, agent bourru et sûr de lui qui pense pouvoir identifier un voyou en le dévisageant, son acolyte le sergent Koo Hee-Bong, spécialiste de l'aveu spontané à grands coups de taloches dans le visage des prévenus, et enfin le beau et ténébreux détective Seo Tae-Yoon. Venu de Séoul, ce dernier ne croit qu’en une approche scientifique de l’affaire et ne jure que par les méthodes américaines. Inexpérimentés face à une telle série de meurtres et peu enclins à s’entraider, ils se lancent à corps perdus dans la moindre piste et cèdent même aux charmes de la voyance… Bong Joon-Ho, dont c’est le second long métrage après une comédie inédite en France, adopte un point de vue réaliste. Il met en scène le quotidien d’enquêteurs sans moyen, dépassés par les événements et plus soucieux de leur plan de carrière que de la résolution de l'énigme, du moins dans un premier temps. Fabrication de fausses preuves, passages à tabac, arrestation arbitraire de l’idiot du village à qui les deux premiers soufflent les questions et les réponses pour briller devant l’opinion publique, Memories of Murder pourrait être un conte sordide si sa noirceur n’était contre-balancée par une ironie constante, un second degré salutaire qui prend en compte l’intelligence du spectateur, sa connaissance des codes du genre. Sans abandonner l’intrigue en elle-même, Bong Joon-Ho dresse le portrait de personnages profondément humains, faillibles et attachants. D’abord décrit comme un loser patenté, Park Doo-Man (génial Song Kan-Ho, héros de Joint Security Area et Sympathy for Mr Vengeance de Park Chan-Wok) parvient malgré ses nombreuses erreurs, à nous attendrir. Cet ours à l’ego surdimensionné qui parade comme un coq lors de la capture d’un nouveau suspect cache une véritable sensibilité, une affection réelle pour son compagnon de route, Koo Hee-Bong, et finit pour l’amour d’une infirmière par abandonner son poste de policier. Plus professionnel dans son approche du métier, Seo Tae-yoon (Kim Sang-Kyung déjà vu dans Turning Gate de Hong Sang-Soo) se laisse lui aussi peu à peu gagner par le doute. La mise en scène est virtuose. Bong Joon-Ho limite les effets visuels pour en renforcer la puissance. Le moindre ralenti a un sens, comique ou dramatique, et parvient à susciter l’effroi dans des scènes nocturnes noyées sous la pluie. Tapi dans l’ombre, jamais à visage découvert, l’assassin rôde dans les hautes herbes, guette sa future proie au sommet d’une colline, tel un prédateur insaisissable dont le sang froid s’oppose à la confusion des policiers. Tout devient alors suspect: un visage impassible, le bredouillement d’un débile léger devant une photo, une absence d’alibi, une dédicace radio… La quête de la vérité ne garantit aucun aboutissement et le très bel épilogue laisse la porte ouverte à toutes les interprétations."

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