mardi, octobre 11, 2005
Mandragore et bouche cousue.
Quoi ? Une fleur fertilisée par le sperme des pendus ? Ca fait un bout de temps que ça me trotte. C’est quoi cette foutue mandragore ? Et d’où elles viennent toutes ces histoires qui gravitent autour d’elle ? Mandragora officinalis peut aussi prendre le nom de Mandragora officinarum, Mandragora automnalis, Mandragora caulescens, Mandragora vernalis, la plus connue étant la Mandragora officinarum. La mandragore est principalement une plante des pays du pourtour méditéranéen, bien que l'on en trouve jusqu'en Asie occidentale. Elle appartient à la famille des solanacées, plantes à fleurs et baies comme la Belladone. Elle présente un important contraste entre la touffe et la racine. La plante est une herbacée « décevante », sans tige, haute d'une trentaine de centimètres, avec de grandes feuilles ovales et molles près du sol, comme de la laitue, dégageant une odeur très forte. Au Maroc pousse la variété Mandragora autumnalis dont les feuilles sont velues et ondulées. Les fleurs d'automne sont d'un blanc verdâtre, bleutées ou pourpres suivant les espèces et donnent naissance à des baies jaunes ou rouges de 3 à 4 centimètres de diamètre. La racine, à l'origine de nombreuses légendes, est une rave impressionnante, brune à l'extérieur, blanche à l'intérieur, et peut atteindre 60 à 80 centimètres et peser plusieurs kilogrammes. Elle peut avoir la forme d'une grande carotte ou être anthropomorphe (racine divisée ayant une vague apparence humaine, avec un tronc, des jambes et même -en étant imaginatif- une tête et un sexe). Souvent, on parle de racine « mâle » et de racine « femelle » mais botaniquement ceci ne correspond à rien car les fleurs sont toutes bisexuées et qu'un seul pied de mandragore donne des fruits ! Les vieux sujets s'enfoncent profondément dans la terre (plus d'un mètre) d'où la difficulté de les arracher. Cette plante est devenue très rare, même dans son pays d'origine. Les semis se font en automne (prévoir des pots assez hauts), le substrat doit rester frais, et la germination, pas toujours facile, a lieu en mars l'année d'après. La plante rentre en repos en juin et juillet, toutes les feuilles disparaissent alors (il faut impérativement marquer l'emplacement des plantes dans le cas d'une plantation en pleine terre) Un moyen efficace de faire germer les graines consiste à les placer dans le bac à légumes d'un réfrigérateur trois jours avant le semis. Cela permet aussi de les semer en début d'année avec pratiquement 100% de germination. La plante est riche en alcaloîdes délirogènes et autres composants nocifs. Ces substances parasympatholytiques entraînent notamment une mydriase et une narcose suivies d'hallucinations. Il s'agit d'atropine, de scopolamine, et surtout d'hyosciamine. En théorie, ces molécules peuvent être à l'origine d'une intoxication mortelle. Diverses présentations sont décrites pour l'utilisation de cette plante. Le suc est extrait de la tige, des feuilles ou du fruit ; la racine est débitée en rondelles et présentée sous forme d'alcoolat dans du vin de miel ; les fruits peuvent être consommés séchés. De multiples vertus thérapeutiques lui sont attribuées. Par sa composition chimique, elle est notamment sédative, antispasmodique, anti-inflammatoire (en cataplasme), hypnotique et hallucinogène. Elle présenterait également des propriétés aphrodisiaques lui conférant une vertu fertilisante. On comprend pourquoi les sorcières pensaient s'envoler sur leur balai et voir des créatures diaboliques le jour du sabbat ! La plante était cependant utilisée par les guérisseuses pour faciliter les accouchements et contre les morsures de vipère. Cette racine humanisée, « la main de gloire », de nos jours peu courante (un mythe pour beaucoup), source d'envie mais aussi de crainte révérencieuse, fait l'objet, essentiellement au moyen âge, d'un culte macabre, d'ailleurs interdit par l'église. Les Grecs la nommèrent « plante de Circé la magicienne ». Symbole de fécondité, elle pouvait aussi révéler l'avenir ou rendre riche son propriétaire et lui porter chance. Dans la traduction du Bestiaire d’Oxford (manuscrit du moyen âge), la Mandragore serait « l'arbre de la connaissance » dont Adam et Eve mangèrent le fruit. Les précautions lors de la cueillette sont classiquement énoncées dans les écrits de Paracelse dont il existe diverses variantes décrites, mais figurent dans des manuscrits plus anciens, tels que ceux de Josèphe (37 à 90) ou Théophraste. Pour se procurer la racine de mandragore si dangereuse, il fallait des rituels magiques. Celui qui arrache la mandragore sans précaution, s'il ne devient pas fou en entendant les hurlements de la plante, sera poursuivi par sa malédiction... Selon les divers écrits décrivant les rituels, on sait qu'ils se déroulaient les nuits de pleine lune. Les mandragores qui poussaient au pied des gibets étaient très prisées car on les disait fécondées par le sperme des pendus, leur apportant vitalité, mais celles des places de supplice ou de crémation faisaient aussi parfaitement l'affaire. Des « prêtres » traçaient avec un poignard rituel trois cercles autour de la mandragore et creusaient ensuite pour dégager la racine, le cérémonial étant accompagné de prières et litanies. Une jeune fille était placée à côté de la plante pour lui tenir compagnie. On passait également une corde autour de la racine et on attachait l'autre extrémité au cou d'un chien noir affamé que l'on excitait au son du cor. Les prêtres appelaient alors au loin le chien pour qu'en tirant sur la corde il arrache la plante. La plante émettait lors de l'arrachage un cri d'agonie insoutenable, tuant l'animal et l'homme non éloigné aux oreilles non bouchées de cire. La racine devenait magique après lavage, macération et maturation en linceul ; elle représentait l'ébauche de l'homme, « petit homme planté » ou homonculus. Ainsi choyée, elle restait éternellement fidèle à son maître et procurait à son possesseur, prospérité prodigieuse, abondance de biens, et fécondité. De ce fait, elle était vendue très chère en raison du risque à la cueillette, et ce d'autant plus que la forme était humaine, de préférence sexuée par la présence de touffes judicieusement disposées.