vendredi, octobre 07, 2005

 

Au creux de ton bras.

William Burroughs est un fils de bonne famille de la bourgeoisie américaine. Il est le petit fils d'un autre William Burroughs, inventeur d'une machine calculer et fondateur de la "Burroughs Adding Machine company". Burroughs étudie la médecine à Vienne, expérience dont il gardera toute sa vie un goût prononcé pour la chirurgie et les modifications du corps, la chimie du cerveau et les drogues. Il entre à l'université de Harvard pour une licence de littérature anglaise dont il sera diplômé en 1936. Son expérience d'Harvard est résumée au début de Junkie : "J'ai détesté l'université et la ville dans laquelle je vivais. Tout en elle était mort. L'université était un faux décor anglais entre les mains de diplômés de faux collèges anglais" C’est la guerre, la deuxième, la mondiale, et Burroughts survit en s’essayant à tous les métiers : détective privé, dératiseur, employé d’une agence de publicité. Il essaie même d’incorporer l’US Navy, en 1942, mais est rejeté. Fréquentant alors les lieux underground New-yorkais, ceux où la petite pègre croise les artistes méconnus, il tourne le dos à son existence de sage jeune américain et fait des rencontres. Celle de la drogue d'abord. La morphine, puis l’opium [et plus tard, l’héroïne et la cocaïne]. Celle de nouveaux amis ensuite : le poète [gay] Allen Ginsberg lui présente l’écrivain Jack Kerouac en 1944. Ils resteront intimement liés, créant ensemble un mouvement artistique basé sur le refus de l’American Way of Life des sixties, la fameuse Beat generation, contre-culture qui influencera le mouvement hippies des sixties et jusqu’aux punks des années 70. En raison de l'homophobie et des scléroses sociales de l'époque, Burroughs se sépare de sa première femme Ilse Krabbe et épouse Vollmer en 1946 avec le projet de fonder une famille "normale". Leur fils William S. Burroughs Jr. naît en 1947 au Texas [deviendra junkie et mourra en 1981]. Burroughs refuse en bloc l’idéologie dominante du moment. Libertaire, il place l’individu au-dessus des valeurs alors [et toujours] vénérées de nation, de famille et d’argent. Il refuse le capitalisme comme le communisme. Il dévore des romans de science-fiction et s’essaie à toutes les drogues. Premier contact avec la morphine en 1946, puis avec l’héroïne. Il mène dès lors une vie de camé pendant 15 ans, voyageant beaucoup, du Texas à la Nouvelle-Orléans, en passant par Mexico, l’Afrique du Sud, Paris et Londres. En 1953, un soir de beuverie à Mexico, [où il a émigré pour fuir ses ennuis avec la police new-yorkaise] tel Guillaume Tell, il vise le verre que sa femme tient sur la tête, le rate et abat accidentellement Joan d’une balle en pleine nuque. Poursuivit pour homicide involontaire, il s’enfuit alors du pays. On parle aujourd'hui d'accident, bien que certains aient pensé à un meurtre ou à un suicide assisté. [Plus tard, Burroughs reconnaîtra son homosexualité, affirmant que Joan a été la seule femme avec laquelle il avait eu une réelle relation affective.] il échappe à la prison en quittant le Mexique en 1952 puis en vivant des années d'errance : il parcourt l'Amérique du Sud puis l'Afrique du Nord avant de s'installer à Tanger, au Maroc . Cet incident stupide sera son déclic : Burroughs commence à écrire. Son "Junky", sur ses déboires de toxico, est le premier d’une œuvre scandaleuse par ses thèmes [homosexualité, mort, drogue] et par sa forme brute est sans concession. Burroughs fut toute sa vie fasciné par les armes à feu, se détendant en allant tirer des rats ou des poulets lors de virées nocturnes. En 1956, il entame une première cure de désintoxication de son héroïnomanie avec l'aide de John Dent, un médecin londonien. À l'issue du traitement, il emménage au légendaire "Beat Hotel" à Paris où il accumule des masses de fragments de pages manuscrites. En 1958, il débarque à Paris. Avec l’aide de Kerouac et de Ginsberg, il ordonne "Le Festin Nu" et le tape à la machine. D’après la légende, le manuscrit était un brouillon de notes éparpillées qui avaient rebuté tous les éditeurs américains, d’autant que son contenu est, pour l’époque, d’une rare obscénité. L’éditeur français Olympia Press l’imprime en 1959. C’est donc là, en France, que paraît, ce qui sera son plus gros succès : "Le Festin nu". Les fragments devinrent de leur côté les trois épîtres d'une trilogie : La Machine molle, Le Ticket qui explosa et Nova express. Après sa sortie, le Festin nu fut poursuivi pour obscénité par l'État du Massachusetts puis de nombreux autres. En 1966, la Cour Suprême du Massachusetts déclarera finalement le livre "non obscène", ce qui ouvrit la porte à d'autres travaux comme ceux d'Henry Miller (en particulier son Tropique du Cancer), James Joyce (Ulysse), D.H Lawrence (L'Amant de Lady Chatterley ). Burroughs partit pour Londres au début des années 60 où il publia de nombreux petits textes dans des magazines Underground, travaillant dans le même temps sur un grand projet qui fut publié en deux parties : «Les Garçons sauvages» et «Port of Saints». Il fréquenta à cette époque des écrivains tels que Alexander Trocchi et Jeff Nuttall Allen Ginsberg ( 3 juin 1926 - 5 avril 1997 ), poète américain et membre fondateur de la Beat generation. Il retourne à New York en 1970. Il commence alors à s'intéresser à la philosophie occulte du Moyen-Orient, et donne ses premières lectures publiques devant un public enthousiasmé par ses allures de gentleman décadent. Après un débat houleux sur sa violence et sa soi-disant pornographie, "Naked Lunch" paraît aux Etats-Unis, mais il fera l’objet de longues luttes devant la justice et sera même condamné en 1965. Ses romans suivants seront tout aussi provocateurs – sur la forme et sur le fond – comme notamment "La Machine Molle" [1961] ou "Le Ticket qui explosa" [1962]. A la même époque, l’odeur de souffre fait de Burroughs un auteur furieusement tendance et il est de bon goût en 1975 et les années suivantes d’apprécier "Le Festin Nu". L’establishement français dispute l’auteur à l’intelligentsia new-yorkaise : lecture au Centre Pompidou en 1977 et médaille de l’ordre des Arts & Lettres en 1984 [version Jack LANG]. Dans les années 80 (Années 1980) et 90 (Années 1990) , Burroughs commence à attirer de nombreuses icônes de la culture Pop, en particulier les groupes de punk-rock : il enregistrera des morceaux avec notamment Lou Reed , Patti Smith et David Bowie. Il apparaîtra aussi dans le film Drugstore Cowboy de Gus Van Sant, au côté de Matt Dillon, dans le rôle d’un vieil homme vêtu de noir habitant seul un appartement sans fenêtre [presque autobiographique comme rôle !] Il fera également une apparition dans le film "Twister " en 1996. Installé au Kansas, à Lawrence, Burroughs commence à peindre et écrit une dernière trilogie : "Cités de la nuit écarlate" [1981], "Parage des voies mortes" [1987] et "Les Terres occidentales" [1987]. En 1990, sa collaboration avec Robert Wilson et Tom Waits donnera naissance à la pièce Black Rider qui fut jouée la première fois au Thalia Theatre de Hambourg, le 31 mars 1990. Burroughs participa aussi à des enregistrements de ses textes pour Nirvana, R.E.M (Rapid Eye Movement , nom donné à l'étape du sommeil paradoxal durant laquelle les globes oculaires s'agitent rapidement) et Bill Laswell. Burroughs est considéré comme un des écrivains les plus influents du XXeme siècle. Que l'on privilégie ses idées ou sa prose, on ne peut que voir un homme aussi brillant et fulgurant que chaotique et auto-destructeur. Ceux qui l'ont connu le décrivent comme un homme intelligent et calme, s'intéressant à la science-fiction, aux chats et aux armes à feu. Il mourut dans sa propriété de Lawrence (Kansas) le 2 août 1997, de complications liées à une crise cardiaque. Le journal Libération lui rendit hommage le lendemain en lui consacrant sa une, un fusil à la main. Il est mort à l’opposé de la façon dont il avait vécu : calmement, dans le silence, à l’hôpital de Lawrence, après un dernier ouvrage autobiographique. Il collabore avec Kurt COBAIN [le défunt leader de Nirvana] sur "the priest they called him", et la musicienne expérimentale Laurie ANDERSON. On l’aperçoit enfin dans un vidéo clip de U2. Une bonne partie du Festin nu aborde la dépendance de l’auteur vis à vis des drogues dures ce qui a choqué les esprits : nous sommes au tout début des années 60. [Pour sa défense, jamais BURROUGHS ne se fait l’apôtre de la drogue, mais il est vrai qu’il en décrit les bons côtés comme les mauvais.] Expérimental dans la forme, le roman met de plus en application la technique du collage [The Cutup technique, créée par son ami, le peintre Bryon GYSIN], qui n’aide pas à sa lecture... Violent, glauque, poétique parfois, mais d'une poésie sombre, rude, déconcertante... "Le Festin Nu" est sans doute l'un des plus grands textes sur la drogue et ses ravages. Indescriptible... "Le Festin nu" a été adapté au cinéma par David CRONENBERG en 1992. Evitant le piège de la mise en image bête et méchante [de toutes façon quasi impossible dans ce cas], le réalisateur a réussi a capter l’essence des passages les plus marquants de l’œuvre, mêlée à des récits biographiques de l’auteur [sa vie à Tanger, sur un lit, sans bouger, passant ses journées à se faire des fix, la mort de Joan, la dépendance à la drogue].

Comments: Enregistrer un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?