lundi, janvier 23, 2006

 

Faut-il tuer Horace Pinker ?

"Alors qu'on le conspue de tous bords et par des noms d'oiseaux divers (qu'il mérite parfois, il est vrai) Wes Craven refait l'actualité à sa façon. Est-il le fameux "maître de l'horreur" comme les jaquettes de ses films aiment à le répéter alors que le titre se voit également offert à quelques potes de parcours, John Carpenter et George Romero entre autres ? On ne le saura jamais, les superlatifs marketing ne servant à rien finalement, mais pourtant Wes Craven n'a pas toujours volé ce titre. Bien sûr, il n'est aucunement maître d'horreurs quelconques, mais il possède dans sa filmographie quelques pièces de choix qui se noient malheureusement soit dans le succès de certains de ses films ou dans la médiocrité des autres. Shocker est de ceux là. Une œuvre fantastique aussi mature qu'esthétiquement aboutie et autant personnelle qu'elle en est étrangement l'une des moins populaire. Alors Shocker, mésestimé ? Wes Craven ne s'en est jamais caché, il voue un certain culte à l'univers des contes de fée et des drames familiaux chers à Disney dont l'efficacité émotionnelle fonctionne. En effet, impossible de ne pas reconnaître en Scream, en Freddy ou en Red Eye un coté "Chaperon rouge" dans le domaine de confrontation entre bien et mal qui semble aujourd'hui d'une effarante banalité tant on y retrouve la base des clichés, mais qui souligne on ne peut mieux la malice du célèbre loup dans chacun de ses méchants. Outre son adaptation avortée d'un Alice (au pays des merveilles) gothique, on pourra retrouver encore chez Freddy un peu d'Hansel et Gretel, et l'évidence même du loup dans l'ignoble Cursed. Autant d'approches propres à l'univers imaginaire des contes, et ceux de Disney qui n'ont alors qu'un but : atteindre le jeune spectateur dans ce qui l'effraye le plus, à savoir la mort des parents. Qui d'un Bambi, d'un Roi Lion, d'une Blanche neige, d'un Tarzan ou d'un Némo, n'a pas réussi tenir l'attention de son public dans ce qu'il a de plus sacré ? Ensuite c'est la recette gagnante puisque - thème cher à son cœur oblige - aucune famille ne correspondra aux règles de vie chez Craven. Red Eye bien entendu est avant tout l'histoire d'une conciliation fille/père sans que l'on sache ce qu'il est advenu de la mère, à l'instar de Cursed où le Petit poucet et sa Christina Ricci de grande sœur ne reverront plus leur parents et la règle est immuable si l'on prend chacun de ses films à reculons. Père/fille dans Scream suite au meurtre de la mère, père/fille dans Freddy suite au divorce et également au manque maternel, et ainsi de suite. Un thème qui n'a que pour seul but que de déstabiliser son spectateur d'une manière inconsciente mais qui n'est que trop rarement le thème central du film. A l'exception de Shocker, vous l'aurez compris, où tout réside essentiellement dans la déconstruction familiale faisant évoluer un peu plus la relation entre le bien et le mal de ses protagonistes principaux. Une structure narrative qui en fait étrangement l'un des meilleurs scripts que le scénariste/réalisateur ait pu nous proposer. En effet, là où son Freddy Kruger et où son Billy Loomis de Scream prennent par surprise le héros et par la même occasion le spectateur en dévoilant peu à peu pourquoi ils sont si monstrueux, Shocker fait évoluer son méchant au même rythme que l'intrigue, proposant ainsi plusieurs films en un. Horace Pinker est le grand méchant loup du film. Comme pour s'infiltrer sournoisement chez des brebis en faisant patte blanche, il se fait passer pour un réparateur de télé histoire de mieux pénétrer chez les familles. Il est ici encore paradoxalement question de patte, puisque le tueur en série traîne la sienne. Lorsqu'il massacre la famille Parker, il se fait un ennemi en la personne de Jonathan, le fils adoptif (campé par Peter Berg, que l'on retrouvera également en mari infidèle dans Copland et à qui l'on devra plus tard la à la réalisation du génial Very Bad Things) qui n'aura de cesse de le poursuivre dans un classique mais bigrement efficace film de tueur en série esthétiquement très aboutit. Et puis Vlan ! Fin du film, on attrape le méchant, tout le monde va mieux même si au passage la mère et la femme du héros se sont faites trucidées avec de surprenantes pirouettes là où la déontologie veut que le prince sauve la princesse au dernier moment. Le problème est qu'à la fin du film, nous n'en sommes qu'à 45 minutes ! Et pour cause, l'histoire prenant ensuite une tournure radicalement différente passant du film de serial Killer à un délire fantastique. Un peu comme Une nuit en enfer, qui à sa façon est également parvenu à passer du coq à l'âne avec une certaine maestria. Passé sur la chaise électrique, Pinker qui voue également un culte au vaudou et à la magie noire, fond littéralement pour devenir lui-même une décharge qui devra passer de corps en corps pour continuer ses méfaits. Prenant ainsi l'apparence de quiconque, comme le fera par la suite le plagiat Le témoin du mal, le psychopathe ne pourra être identifié par Jonathan qu'à travers son éternel signe distinctif : tous les corps possédés traînent la patte comme Pinker de son vivant. Un détail qui souligne parfois un peu plus le burlesque de certaines situations, comme cette petite fille de huit ans, à l'intérieur de laquelle le Shocker a pris place, qui essaie de courir en ne servant que d'une jambe en criant des "Fucker" à tout bout de champ. L'occasion pour Wes Craven de s'attarder également sur le second point auquel il attache une importance certaine, à savoir les couloirs qui joignent l'univers réel et tous ses pendants parallèles. A l'instar de Freddy, de rêves il en est grandement question ici, et prémonitoires de surcroît. Et même s'il ne s'agit ici avant tout que d'une pirouette facile pour faire avancer l'histoire (le film durerait une heure de plus s'il fallait offrir un sens logique à tout ça), il permet de simplifier l'approche de la relation réalité/télévision (rien à voir avec la télé réalité) puisqu'à l'instar d'une Heather Langenkamp devant poursuivre Freddy dans les cauchemars pour l'emmener dans l'univers réel, Peter Berg devra jouer de la zapette et se faufiler à travers les ondes et les chaînes de télé pour extirper le Shocker du tube cathodique dont il devient maître dans la troisième partie du film. En effet, après le tueur en série et le possesseur, Pinker devient un fantôme télévisuel. Soit un développement total d'un personnage que n'importe quelle saga aurait étendu sur plusieurs suites et qui gagne pourtant une fluidité narrative exemplaire. Et de suites il en fut question. Heather Langemkamp dans son caméo de cadavre apparaissant au journal télévisé signe en quelque sorte le passé révolu d'un Wes Craven qui voulait laisser Freddy Krueger derrière lui. On le sait, le temps et l'argent lui feront changer d'avis. Probablement submergé par une sensation d'inabouti dans son personnage de croquemitaine maître des cauchemars, que d'autres cinéastes étofferont bon gré mal gré, le réalisateur semble comprendre qu'il a grillé trop d'étapes et son tueur d'enfant ne se présente que comme un diabolique bonhomme tout juste bon à se transformer sans réellement donner de sens à ses actes. Et il faudra se farcir tous les autres films de la saga pour comprendre de quoi il en retourne. Avec Shocker il utilise donc la recette inverse en nous racontant l'histoire de l'homme avant celle du monstre, et en dépeignant le parcours initiatique de cet anti-super héros étape par étape. Et à ce titre Shocker a tout du prologue d'un film d'horreur classique déjà existant. Hors la série souhaitée et habilement chapitrée dans l'esprit de Craven ne se fera jamais puisque le pourtant génial et charismatique Shocker n'arrivera pas à attirer autant les faveur que ses confrères Myers, Jason et autres… Pas assez mystérieux sans doute. Un regret partagé tant l'approche de Craven à vouloir expliquer comment un boogeyman est devenu un monstre indestructible demeure l'une des meilleures de sa carrière. A moins d'un miracle, Shocker et son final un peu bâclé restera un enfant unique et c'est peut-être justement ce qui fait de lui la pièce à part dans la filmographie d'un réalisateur dopé au commercial multi-suites. Sa sortie récente en DVD est l'occasion rêvée de redécouvrir ce thriller hors normes".

Comments:
Moi j'aime les femmes qui se noient.
 
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