jeudi, décembre 22, 2005

 

Iceberg slim.

Ice cube, Ice T "Ice" en hommage à Robert Beck dit "Iceberg Slim", né en 1918 à Chicago, Illinois, a longtemps été proxénète dans le ghetto. Alors que la vie de nombreux proxénètes s'achève en prison, en asile psychiatrique ou sous une rafale de balles en pleine rue, Robert Beck, alias Iceberg Slim, le plus célèbre des Etats-Unis, en faisant part au monde de son expérience, dans un style criant, intransigeant, avec une authenticité qui ne saurait être si sincère et si juste si elle n'avait été vécue, a lui échappé à la fin noire et glauque qui l'attendait, et fait aujourd'hui figure de légende. Iceberg Slim est aujourd'hui un véritable symbole de la littérature afro-américaine, et l'auteur phare de la génération Hip Hop. "Pimp" est souvent cité comme livre de chevet par de nombreux mc's parmi lesquels Method Man, KRS-One et Ice-T, qui a joué son rôle dans l'adaptation au cinéma. Dans chacun de ses sept romans, Iceberg Slim nous crache une parfaite description des bas-fonds de la société américaine, noire et blanche. Robert Beck est né à Indiannapolis pendant la première Guerre Mondiale, en 1918, de l'union d'une serveuse et d'un cuisinier afro-américains séparés dès son enfance. Il grandit à Chicago, dans le ghetto, d'où il tire et où il approfondit son expérience du rôle de maquereau. C'est à l'âge de dix-huit ans qu'il adopte son blase en devenant Iceberg Slim, "The Pimp" (maquereau). S'étant fait un nom, il se forge et entretient une solide réputation de caïd. Après plus de vingt ans dans la délinquance, la violence et la criminalité, durant lesquels il a été une figure du proxénétisme, et après plusieurs incarcérations pour divers de ses délits, ce sont dix mois d'isolement dans de terribles conditions, dans une maison de correction en 1960, qui l'ont poussé à mettre fin à cette vie glauque et violente, en écrivant au sujet des ses expériences. C'est donc dans cette cellule de deux mètres carré que le "hors-la-loi" est mort, laissant place à l'écrivain naissant. A l'âge de cinquante-deux ans, après deux millions de copies de "Pimp" vendues, et un total de plus de huit millions de ventes, il reprend le nom de Robert Beck pour achever sa vie de la manière la plus posée qui soit, auprès de sa femme et de ses deux enfants. Après sa mort, en 1992, suite à une insuffisance rénale, son œuvre, plusieurs fois rééditée et traduite en cinq langues, lui a permis de troquer la notoriété dans le ghetto contre la célébrité dans le monde.En 1960, incarcéré pour la troisième fois, sa vie lui "réapparaît, mais d’une manière limpide" : il se rend soudainement compte qu’il a consacré plus de la moitié de son existence à une occupation criminelle et dangereuse plutôt que de faire fructifier son talent. Et c’est en recherchant les raisons de cette fatalité personnelle qu’il se mettra à écrire. Avec Pimp, Mémoires d’un maquereau et Trick Baby (tous deux aux Editions de l’Olivier), Mama Black Widow constitue le troisième volet d’une trilogie unique dans l’histoire de la littérature américaine. Iceberg Slim s’est efforcé de ne pas dénaturer le propos d’Otis Wilson : "cette terrible histoire est son histoire à lui." Doublement marginal, dans l’Amérique blanche et puritaine des années 50, Otis relate son quotidien et la lutte acharnée qu’il mène contre Sally, sa part féminine, "la garce perverse brûlant en lui". Mais l’essentiel de l’oeuvre est consacré à un long retour sur image : celle d’un petit garçon naïf, monté du Sud profond -toujours marqué par les cicatrices odieuses de l’esclavage - pour découvrir un enfer pire encore : le ghetto noir de Chicago. La figure tutélaire de "Mama" traverse tout le récit : rêvant de gaz et d’eau courante, elle entraîne les siens dans l’aventure, les précipitant du même coup dans sa chute. Dosant cruellement l’insulte et la tendresse, captive elle-même d’une spirale de corruption, elle se révèle incapable de faire face à sa propre responsabilité. Et ce sont les yeux d’un enfant qui verront "Papa s’en aller en rampant pour mourir", faute d’avoir pu retrouver l’estime de soi dans la nuit délétère du ghetto. Souvent impitoyable de réalisme, Mama Black Widow fait partie de cette littérature qui touche à l’essentiel, en confrontant nos consciences à de redoutables questions. Mais des bas-fonds, à travers la parole abrupte d’un exclu, ce texte fait paradoxalement surgir un éblouissant témoignage de sensibilité et de discernement, tout au long d’une quête impossible de dignité et de justice. Au dos de l'édition originale de "Pimp", fiction, autobiographie, ou fiction biographique… difficile de le définir, on peut lire : "Il a passé vingt-cinq ans de sa vie en enfer…". Il y décrit les règles de son monde glauque, règle justifiées par la société à laquelle elles s'appliquaient, une société chaotique où un officier de police pouvait coller le canon d'un pistolet sur la tête d'un Noir et prétendre qu'un spasme de l'index avait conduit à l'assassinat d'un innocent, une société où était considéré comme un crime de faire de l'auto-stop et de traverser la rue en dehors du passage pour piétons, et où la détention d'une graine de marijuana pouvait envoyer quelqu'un en prison pour des années… La manière brutale dont le monde de la prostitution et de la rue est décrite fut jugée trop gênante lors de la sortie du roman aux Etats-Unis : les critiques ont ignoré le livre, le New York Times a catégoriquement refusé d'en faire l'annonce. Ce n'est qu'au début des années 70 qu'Iceberg Slim trouve ses premiers lecteurs… dont le nombre va considérablement augmenter au fur et à mesure de son œuvre. "Pimp" est un livre cru, qui sent la sueur, le sexe et les parfums lourds. Il apporte la preuve de la violence qui s'exerçait contre les femmes. Alors que d'autres écrivains noirs niaient ces mauvais traitements, Iceberg, lui, en plus de les décrire, allait jusqu'à reconnaître que lui-même les infligeait. Il y fait aussi la lumière sur la torture et le meurtre des noirs en prison, la mysoginie systématique et meurtrière, la violence physique auxquelles les prostituées étaient confrontées, le rôle manifeste de la police dans le maintien des activités criminelles aux Etats-Unis. En racontant sa propre histoire, il décrit aussi les mauvais traitements sexuels infligés aux enfants... et l'homme qui en est issu. Même si les épisodes de "Pimp" n'ont pas été vécus, la vie qui y est décrite n'est de toutes façons pas le simple fruit de son imagination, il faut donc la retenir comme une vision précieuse de l'existence d'un homme dont la société aurait préféré qu'il meure vaincu et silencieux, et reconnaître qu'il y a une vérité à découvrir dans l'histoire de cet homme, aussi détestable soit-il, à travers sa tentative de devenir quelque-chose : "Le récit de ma brutalité et des artifices que j'ai employés pour arriver à mes fins remplira de dégoût nombre d'entre vous, mais si j'arrivais à sauver ne serait-ce qu'une personne de la tentation de plonger dans cette fange destructrice, si je parvenais à convaincre quelqu'un d'employer sa jeunesse et son intelligence d'une manière plus positive pour la société, alors le déplaisir que j'aurais apporté avec ce livre serait largement compensé...". "Pimp", c'est l'histoire d'un homme écrite dans les profondeurs d'un enfer largement ignoré, dont l'auteur a su dire ce qu'il savait de la vérité. après le très troublant et autobiographique Pimp, il y a deux ans, la collection Soul Fiction des Editions de l’Olivier publie un deuxième roman d’Iceberg Slim, Trick Baby. La traduction de Pimp était l’occasion de découvrir en français un livre-culte, rien moins que le livre de chevet de nombreux rappeurs américains s’indentifiant au personnage du mac, véritable héros urbain au sein de la communauté noire, symbole du type qui avait compris combien un cul noir pouvait faire cracher leur argent aux michetons blancs. C’est alors qu’il était en prison, en train d’envisager sa reconversion dans un autre bizness que le proxénétisme, qu’Iceberg Slim rencontra White Folks (pour les amis), alias Trick Baby (pour les autres). Un grand gaillard, sosie d’Errol Flynn. Pourtant il ne faut pas se fier aux apparences, malgré sa peau blanche et ses yeux bleus, White Folks était noir, noir en dedans.Iceberg Slim le connaissait de réputation, en équipe avec Blue Howard, White Folks ("arnaqueur blanc") était un des plus fameux arnaqueurs noirs de Chicago. Durant leurs quelques jours de cellule en commun, White Folks raconta son histoire à Iceberg Slim qui nous la livre à son tour.Comme dans Pimp, l’écriture d’Iceberg Slim ne s’embarasse pas de fioritures, c’est l’expérience de la rue mise en mots de la façon la plus brute et directe qui soit. Comme dans Pimp pour le métier de proxénète, à travers un destin particulier situé avec précision dans son contexte socio-historique, nous avons ici le récit d’un apprentissage du métier d’arnaqueur. Vécu de l’intérieur, on découvre les techniques de la combine, ses différents tours… Mais, au-delà de cet aspect qui pourrait passer pour simple folklore, les romans d’Iceberg Slim prennent toute leur intensité par le rendu du contexte, le Chicago et ses cloisonnements raciaux. Johnny O’Brien est né dans les années 20 d’une mère noire et d’un père blanc. Ce dernier disparut très rapidement du foyer. Ainsi grandit le petit Johnny, seul avec une mère dévorée par l’alcoolisme et s’effeuillant dans un club minable. Un enfant quelque peu livré à lui-même et que les gamins de son entourage, ne pouvant imaginer d’autres types d’union mixte, appelaient Trick Baby, "fils de passe"… La vie était ainsi faite que pour le jeune garçon il était difficile de trouver sa place dans la société américaine ainsi partagée. Pourtant sa peau blanche devint un avantage dès qu’il se mit en équipe avec Blue Howard qui l’adopta, presque comme un père adoptif, lui appris tous les trucs du métier et lui donna son surnom de White Folks, un oxymore en quelque sorte car un type se faisant appeler "arnaqueur blanc" ne pouvait être que noir. Ensemble, ils allaient pouvoir gruger aussi bien les pigeons noirs que blancs, le bon plan.Ensemble, ils vivaient bien, dans une certaine opulence mais rien ne va jamais de soi, rien n’est jamais acquis. La vie a ses hauts et ses bas, ses grandeurs et ses décadences. On se retrouve toujours confronté à divers dangers : ne pas empiéter sur les plates-bandes de la Maffia, se méfier des trahisons, des femmes, de l’alcool et des drogues… Autant dire de suite, que nos deux compères se virent confrontés à un redoutable panaché de ces trois menaces. Pour White Folks, l’amour prit les traits d’une riche et belle femme blanche qu’il appelait la Déesse. Leur union était impossible, elle raciste déclarée, lui poussé à lui révéler le secret de sa négritude. Et "cette garce de Déesse et sa chatte internationale ineffablement brûlante"(p.306) manquèrent de le conduire au fond du trou, au fond de la bouteille, intoxiqué par l’alcool du dépit. La blessure ne se referma jamais complètement mais il compris ensuite qu’ il était plus malin de louer la carosserie d’une gonzesse que de jouer les jolis cœurs"(p.311). Véritables récits de vie, les romans d’Iceberg Slim combinent l’éducation sentimentale du personnage à ses interrogations sur un possible déterminisme social dont il serait autant l’acteur que la victime (une victime qui, en tout cas, ne s’appitoierait surtout pas sur son sort). Côté sentimental, si l’on constate à quel point l’amour tarifé fait partie intégrante du quotidien, on s’amusera par contre des découvertes de White Folks quand il comprit, en voyant un couple de lesbiennes faire l’amour, l’importance du cunnilingus dans le plaisir féminin : "voilà pourquoi ces lesbiennes n’ont pas besoin d’un zob pour envoyer une fille en l’air. Ces tordues ont une technique diabolique"(p.146). Il se précipitera pour la mettre en pratique avec succès sur la première femme venue, Jackie, une femme mariée qu’il convint moyennant finance de passer au lit avec lui. Résultat concluant : "Je me faisais du souci pour le mari de Jackie : au lit il allait passer pour un nul ! La technique lesbienne avait éveillé la cochonne qui sommeillait en Jackie"(p.149)…Mais si l’intrigue se retrousse sur ces passages distrayants, le déchirement du personnage semble aussi insoluble que la question raciale aux Etats-Unis. Qu’il reste avec des Noirs et on l’appelera toujours Trick Baby, qu’il aille arnaquer des Blancs, il devra garder pour lui son secret sous peine d’être rejeté tout de go… Même si Pimp possédait une force particulière de par sa dimension autobiographique, avec Trick Baby, Iceberg Slim nous livre une nouvelle fois un témoignage bouleversant et sans concessions. Iceberg Slim ne juge pas ses personnages, il essaie de nous faire comprendre leur destin souvent tragique. "Je comprends pourquoi le peuple noir doit pour s’en sortir, voler, mais je n’arrive toujours pas à croire que le crime est une solution viable. L’énergie et le talent exigés pour devenir un délinquant de réelle envergure pourraient être utilisés de manière bien plus positive. Si un maquereau parvient à contrôler neuf femmes, il peut tout aussi bien faire autre chose".

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