samedi, décembre 24, 2005
Dick Laurent is dead.
J'ai acheté la nouvelle édition de Lost highway, j'avais déja l'édition de TF1, mais l'édition MK2 enterre l'autre : les noirs sont vraiment noirs, le son est parfait, le bouquin plutôt bien foutu, rien à dire. Retour sur un film qui me fait vraiment flipper. Même chose que pour feux rouges : j'aime la nuit, j'aime les routes. Lost highway film de culte (merçi à eux)."Fred Madison se produit chaque soir dans une boîte de nuit et mène apparemment une vie paisible avec sa femme Renee. Un matin, Renee découvre dans son courrier une cassette vidéo contenant des vues de sa maison, d'abord extérieure puis intérieure. Fred commence alors à cauchemarder jusqu'à ne plus faire de différence entre une réalité paniquée et un irréel onirique. Par ailleurs, son existence est menacée par l'apparition d'un homme à l'identité mystérieuse. Un soir, il rêve qu'il découpe sa femme en morceaux et finit condamné à mort. Il réussit à disparaître de sa cellule et un autre jeune homme prend sa place. Mais est-ce vraiment un songe? "Pour moi, il y a plus d'un mystère dans Lost Highway. Un mystère est ce qui se rapproche le plus du rêve. Le simple mot mystère est excitant. Les énigmes,les mystères sont merveilleux, jusqu'à ce qu'on les dévoile. Je crois donc qu'il faut respecter les mystères." "A cause des conventions hollywoodiennes, il faut transformer le rêve en quelque chose que le public puisse comprendre. Pourtant tout devient si ennuyeux quand le film commence à avoir trop de sens." Paroxysme du genre lynchien par excellence, le thriller fantastico-schizophrénique, en incessante quête d'une vérité multiple, d'une déstabilisante recherche de compréhension sous forme de tempête cataclysmique sous un crâne malade. Comment essayer de discerner les lois du genre lorsque ce genre n'existe justement pas? Trip sous acide, collage délirant entre l'organique et le minéral, multiplicité labyrinthique, Lost Highway a réinventé le cinéma, au milieu de l'avant et de l'après, atomisant toute logique. Le film sur le principe d'une temporalité déphasée où la capture de certains événements, donnés à voir avant même qu'ils se soient produits, précède parfois leur accomplissement. En somme, l'exemple type de l'oeuvre à la psychologie en deux dimensions. Tissant une toile saccadée où le spectateur est forcément mis dans une situation de voyeur dérouté devant cet engrenage fondé sur l'isolation sensorielle, inexprimable et touchant presque à l'ésotérisme, l'intrigue voilée et conspiratrice de ce cauchemar grandeur nature (on nous cache tout, on nous dit rien... De quoi finir totalement parano, d'autant plus que certains effets glacent les sangs sans crier gare) gagne à être revue pour réussir à atteindre cet infime état de réceptivité qui permet de capter chaque fois un petit plus, tout en restant dans le flou le plus hagard. Le dictat de scènes mentales extraordinaires amplifie un effet d'enfer extatique où l'ultra-expérimental griffé Lynch s'affirme comme un remède à tout critère mettant en danger la puissance d'un imaginaire jamais rassasié, vecteur traumatique de sensations événementielles. Construisant ses méthodes narratives comme un morceau musical enclin à tout larsen, cherchant l'atmosphère et la tonalité perturbante, Lynch se pose en scientifique sensoriel concotant ses lois de l'esthétique aux combinaisons infinies et instinctives. Bric-à-brac underground, d'une violence destructrice et d'un nihilisme contrasté, la bande originale du film joue également sur les ruptures et les variations. Gigantesque mix entre le dub, le jazz, l'easy leastening, le rock et le trip hop, ce voyage sonore entre directement dans un univers angoissant par un Bowie dérangé, radicalisé brutalement par du Ramstein ou la décadence de Kraftwerk. Déjouant les dédales de la mythologie hollywoodienne, ce coït interromptu entre fond et forme célèbre le triomphe de l'émotion plastique des obsessions virtuelles d'un cinéma métamorphosé, désagrégeant temps et espace. Peter Chung est récemment le réalisateur de "Matriculated", peut-être le plus décalé et original des films Animatrix (2003), il est aussi le créateur de nombreux court-métrages d’animation, dont la série MTV "Aeon Flux" et à l’origine des fameux Razmokets. L’article qui suit est un hommage de Peter Chung sur le film Lost Highway de David Lynch. Cadrage publie ce texte inédit car, outre notre vif intérêt et amitié portés à l’originalité des films de Peter Chung, il nous semble intéressant, voire fondamental, de mettre en lumière les réflexions écrites des réalisateurs. Les grands cinéastes sont nécessairement, par définition, de grands critiques. La réciproque est on le sait moins évidente. Il y a plusieurs années, le Musée d’art du conté de Los Angeles a présenté une rétrospective des films de David Lynch. La revue Weekly de Los Angeles a publié sur Lost Highay une critique acerbe de Paul Malcolm qui m’a suffisamment mis en colère pour que je leur envoie cette lettre, qu’ils ont ensuite publiée (sous une forme bien plus brève) Très bien si Paul Malcolm admet ne pas comprendre le film de David Lynch Lost Highway – mais la façon dont il peut ensuite affirmer que Lynch lui-même n’est pas le seul à être incapable de trouver la signification et la visée du film, mais qu’il en va de même pour tout le monde, apparaît comme un signe d’une suffisance déconcertante. Ce qui est regrettable, c’est que Mr Malcolm, qui semble avoir beaucoup d’estime pour les précédentes œuvres de Lynch, a du complètement passer à côté de ce qui constitue sûrement, jusqu’à aujourd’hui, le film le plus pensé de Lynch. Malgré l’absence de réaction qu’a entraîné le film (particulièrement parmi les critiques), la logique de Lost Highway est assez simple et évidente – une fois que vous avez opéré le changement que requiert le film au niveau de la conscience. En un mot : Fred (Bill Pullman) assassine sa femme Renee (Patricia Arquette). Le souvenir du massacre, immortalisé sur une cassette vidéo, suffit pour le déclarer coupable. Sa culpabilité est faite, il se morfond dans une cellule, un homme condamné qui n’a pas d’issue. Il lui faudrait un miracle pour racheter sa vie, et il s’en produit un. On lui offre une deuxième vie, une seconde chance. Il parvient à échanger sa vie avec celle d’un jeune homme innocent, Pete (Balthazar Getty). Le piège réside dans le fait qu’il ne se souvient pas de sa vie précédente, lorsqu’il était Fred. Il rencontre Alice (jouée également par Patricia Arquette), que nous, nous reconnaissons contrairement à lui. (La présence de Patricia Arquette dans deux rôles n’est pas une bizarrerie anodine mais constitue un élément crucial pour illustrer le fait qu’il ne se souvient pas de sa vie précédente. Aussi, il s’avère qu’elle est, dans un sens, le fantôme de la femme de Fred, le jeune Pete est alors induit en erreur…) Fred/Pete entreprend alors de recommencer à perturber sa femme à travers une série de gestes imprudents qui, semblent représenter pour lui des démonstrations de liberté (rébellion), et qui, pour le spectateur apparaissent comme le gâchis de son précédent sursis vis-à-vis de la mort. Assez rapidement, il tue à nouveau. Dans le désert, il rencontre le farceur cosmique (Robert Blake), le temps revient en arrière (la baraque brûle à l’envers) et Pete redevient Fred. La cruelle plaisanterie dont il a fait l’objet est révélée ; il a apprit la leçon, qu’il n’y pas d’échappatoire, qu’il n’y a aucun intérêt à être quelqu’un d’autre, peu importe qui nous sommes, nos actes font partie de nous. Je ne peux développer ici les intrigues secondaires qui font participer le personnage de Robert Loggia (sa relation avec Renée/Alice et le supposé motif de Fred pour la tuer), le personnage de Robert Blake (une sorte de marraine de conte de fée capable de se déplacer dans le temps et dans l’espace), la police, la rupture avec le temps linéaire (au profit du temps intérieur), pour ne pas citer l’usage éloquent et audacieux du son et de l’image qui caractérise l’oeuvre d’une force créatrice sans retenue au moment d’apaiser le public conformiste. Lost Highway est un film important car son objectif réside dans le fait d’inventer de nouveaux modes d’expression profondément personnels ainsi que des notions insaisissables. Lynch nous invite à réfléchir sur le sens de ce que veut dire être ce que nous sommes – c'est-à-dire "comment ce fait-il que je suis qui je suis, et pas quelqu’un d’autre ; et si je pouvais être quelqu’un d’autre ?". Cette question "Pourquoi ne suis-je pas né quelqu’un d’autre, à une autre époque et dans un autre lieu", est le mystère le plus obscur de la vie, et certainement le plus universel. Pour moi, l’effet secondaire le plus passionnant survenu après avoir vu Lost Highway, est la possibilité de penser que si j’ai vécu d’autres vies mais que je ne m’en souviens pas, je peux peut-être vivre comme si je m’en souvenais et non pas comme Balthazar Getty. En tant que spectateurs, nous souhaitons qu’il puisse s’inspirer de la sagesse qu’il a hérité de Bill Pullman – le film est indirectement favorable à la conscience collective. D’autres films hollywoodiens comme : Big, Switch, All of me, Vice Versa, etc. ont souvent émis l’idée d’échanger les identités mais ils sont tous des tricheries dans la mesure où ils permettent à l’individu de garder sa conscience et sa mémoire originelles tout en adoptant une seconde identité. Pour autant que je sache, Lost Highway est le premier film à étudier sérieusement ce sujet, et il n’y va pas de main morte (Si je deviens toi, je deviens quelqu’un qui ne se souvient pas avoir été moi – bien entendu.) Pour Lynch, le film représente un pas en avant dans le sens où il n’existe plus une nette délimitation entre les bons et les mauvais personnages. Alors que dans Blue Velvet ou Twin Peaks, il jouait sur une forte division entre l’innocence et le mal, dans Lost Highway, ces deux impulsions sont présentes chez les personnages principaux. Le caractère accepatble de Blue Velvet est principalement du au ton essentiellement parodique de ce film ; aussi stupéfiante qu’elle soit, cette oeuvre ne cesse d’être un film qui fait référence (et réagit à) à un genre de film particulier. Lost Highway est un film qui s’intéresse beaucoup à la métaphysique et pas du tout à la psychologie, ce qui explique peut-être pourquoi ses significations ont des publics si peu attentifs. Lorsque Bill Pullman tue sa femme, je suppose que la plupart des spectateurs veulent savoir pourquoi il l’a fait. (Perspective dans laquelle je suis certain que la plupart des réalisateurs se seraient aussi dirigés). Lynch ne s’intéresse pas vraiment à cette question. Dans toute œuvre de fiction, les réponses à de telles questions sont, en fin de compte arbitraires. Lynch ne s’attarde pas du tout ni sur le procès, ni sur la question de la culpabilité, ou sur la rationalisation psychologique. Ce qui importe, c’est le transfert de la vie d’un homme vers celle d’un autre, et le fait que cet homme soit une âme condamnée accroît considérablement l’enjeu. Dans tous les films de Lynch, la compréhension n’apparaît que comme le résultat d’un changement de notre cadre de référence, notre esprit qui prend tout au pied de la lettre, notre conscience ordinaire ne nous est pas très utile. Et cela parce qu’avec Lynch, il n’y a pas de différenciation entre les évènements d’ordre interne et ceux d’ordre externe. Il permet aux états internes de ses personnages de se projeter librement dans le monde extérieur et il le fait sans procédés d’explication ; c’est la méthode de la poésie. Après un an d’articles hostiles, de critiques montrant des signes de déception, et d’indifférence de la part du peuple, Lost Highway mérite d’être réévalué par rapport à la contribution vitale qu’il a apporté au cinéma américain moderne.