mercredi, septembre 14, 2005
Something rotten in the Palace of Punkz
Le mouvement punk existait à Paris bien avant l'explosion de Londres de 1976 : Dès 1972, dans Rock & Folk, Yves Adrien signait ses rubriques trash sous le pseudo Eve 'Sweet Punk' Adrien. Elles étaient inspirées des articles de Lester Bangs dans le magazine "US Creem" et de Nick Kent dans le N.M.E. Son style, subjectif, d'un parti-pris allant parfois jusqu'à la mauvaise foi, se caractérisait déjà par une réaction contre le mouvement hippie. Ses héros n'étaient pas le Grateful Dead ou Genesis mais les "Stooges" ou les "New-York Dolls". Parallèlement, Marc Zermati avait ouvert dans les halles l'Open market Puis Yves Adrien eut des disciples, comme Patrick Eudeline qui commençait alors comme Rock critic à Best ou Alain Pacadis avec sa chronique hebdo "White Flash" dans Lib . En 1973, les "New York Dolls" ravagèrent Paris avec deux concerts à l'Olympia et une party chez Serge Kruger qui dura 5 jours. Serge Kruger fait partie des branchés parisiens depuis plus de 40 ans, "tous légèrement déjantés, décolorés, fumeurs de joints". Plus tard ils rencontreront d'autres potes, comme Marc Zermati, Jean-Jacques de Castelbajac, Jean-Pierre Kalfon, Jean-Marie Poiré. Serge a été l'un des rois de la nuit parisienne, en organisant des fêtes mémorables, dans ses divers appartements (celle donnée rue aux Ours pour les "New York Dolls" dura plusieurs jours !), ou ceux de la rue des Lombards ou de la rue Pierre Lescot, et aussi à "la Main bleue", où il était DJ. Les frères Breguet, qui donnaient des fêtes dans leur hôtel particulier du boulevard Lannes au cours desquelles curieusement, c'était la salle de bains la pièce la plus fréquentée... En 1975, Michel Esteban, de retour de New York, fonda 'Rock news' avec Lizzy Mercier, un magazine entièrement consacré au mouvement Punk qui commençait à sortir de l'underground, particulièrement en Angleterre et à New York, avec Patti Smith, Television, Richard Hell, etc. Sa boutique de tee-shirts, 'Harry Cover', rue des Halles, allait par la suite devenir le lieu de rendez-vous des premiers groupes punks parisiens, et sa cave un local de répétition. Pendant l'été 1975, grâce à Marc Zermati eut lieu le premier festival punk de Mont-de-Marsan, avec, entre autres, Eddie and the Hot Rods, et côté Français, Shakin’ Street, Kalfon rock chaud et Bijou. En 1976, Pierre Benain organisa le premier (et dernier) concert des Sex pistols à Paris, au Chalet du lac du bois de Vincennes. C'est à ce moment que l'explosion se produisit : 1977 fut véritablement l'année punk avec par exemple le festival du Palais des Glaces dans lequel on put voir Clash, les Damned, Jam, Generation X et pour lequel Yves Adrien sortit de son long exil de Verneuil où il n'écoutait plus que Sinatra. En même temps, on vit apparaître de nombreux groupes punk parisiens, dont certains étaient en gestation depuis déjà un bon moment : Stinky toyz, Asphalt jungle (le groupe de Patrick Eudeline), Metal urbain, Angel face, Loose heart... Ces groupes se produisirent dans le cadre d'un mini-festival au Théâtre Mouffetard. Cette année- là, il y eut des parties tous les soirs ou presque, certaines dans des endroits sordides, d'autres chez des enfants de milliardaires qui voulaient 'faire punk'. On eut même droit à la soirée punk de chez Régine ! Certaines parties duraient plusieurs jours, comme celle chez Martine qui était toujours accompagnée de son inséparable Nathalie, la 'Grande Gueule des Punks' au grand coeur. La plupart des premiers punks étaient très gentils, sensibles, doux, souvent timides, ce qui contrastait avec la violence de leur musique et de leurs textes. Ils carburaient au Fringanor (amphétamines), et à l'héroïne et mettaient un point d'honneur à ne pas fumer de joints (un truc de babas) 1977, en Jamaïque le groupe Culture célébrait 'le choc des deux Sept' (Two Sevens Clash) : ce fut aussi l'année de l'explosion du reggae et pendant quelque temps, il y eut une vraie solidarité entre les punks et les rastas, qui étaient aussi en révolte contre 'Babylone'. D'ailleurs, chez eux, les punks écoutaient beaucoup de reggae, en particulier Tapper Zukie et Dillinger. On pourra qualifier cette première vague de punks parisiens de 'mondaine et intello'. En effet, dans cette période 77-78, il y eut des fêtes pratiquement tous les soirs, et les punks, qui étaient alors à la mode, eurent souvent l'occasion de fréquenter des milieux friqués, comme le monde des galeries d'art, du showbiz et des night clubs, et la plupart jouèrent le jeu, ne cherchant pas la provoc à tout prix. Et quand la fête était finie, certains comme Capta, Pacadis, Henri Flesh, Edwige ou Fury, finissaient volontiers la nuit dans des boîtes gay/chic comme le Sept rue Ste Anne. En mars 1978, il y eut l'ouverture du Palace, et le sacre d'Edwige comme 'Reine des Punks', ce qui contribua encore plus à cette mondanisation, avec des journaux comme Façade. Ce qui contraste avec les vagues de punks qui ont suivi, qui étaient eux bien plus authentiques, avec des groupes comme Oberkampf ou La Souris Déglinguée. Le Sept d'abord le Pimm's, premier club gay de la rue Sainte Anne, puis le Sept en 1968. Le succès fut immédiat et dura pendant plus de 10 ans. et c'était là dit-on qu'on entendait la meilleure musique de Paris. Le Palace En 1977, c'est la vague disco et le succès des grandes boîtes comme le Studio 54 à New York ou la Main Bleue à Montreuil. théâtre du Faubourg Montmartre alors presque à l'abandon. Après d'importants travaux réalisés en un temps record, c'est l'ouverture le 1er mars 1978, avec un show de Grace Jones. Les serveurs sont habillés en rouge et or par Thierry Mugler. En plus d'être la discothèque la plus courue du moment, élevée au rang de phénomène sociologique, ce fut aussi un endroit où furent données de nombreuses fêtes (Kenzo, Karl Lagerfeld). En juillet 1979, ce fut l'ouverture du Palace de Cabourg. La nuit d'ouverture laissa un goût bizarre : l'impression d'être dans un rassemblement de zombies. Peut-être était-ce la poudre blanche qui encombrait les narines d'une grande partie des invités ? Il paraît qu'au petit matin, un père de famille local est venu chercher sa progéniture sur la plage transformée en lieu de débauche ! Le lendemain, quelques happy few dont Diane, Babsy et Christian Eudeline, passèrent la journée au Club 13 de Claude Lelouch près de Deauville. Etaient également là, à part l'équipe du Palace, Helmut Berger, ivre mort, avec Clio Goldsmith, et dans l'après-midi Serge G. et Jane B. Le Palace de Cabourg ne connut pas le succès attendu. En 1980, le Privilège, sous le Palace, plus élitiste. La Main bleue, A l'origine une boîte d'immigrés africains à Montreuil et qui est devenue en 1977 le rendez-vous du Tout Paris noctambule : spectacle surréaliste de toutes ces Rolls garées en pleine zone. Karl Lagerfeld y organisa une soirée Moratoire noir qui fit scandale à cause d'un spectacle de fist fucking. Serge Kruger y fut DJ, avec l'aide de Djamila. Les Bains douches, rue du Bourg l'Abbé. A connu plusieurs ouvertures et réouvertures, à partir de 1978 : ce fut pendant les 2/3 premières années un endroit glacial (on était alors en pleine cold wave) mais où il fallait être vu avec Coluche - Claude Challe - Philippe Starck – Steve Kruger et sa bande -des concerts : Suicide et Clint Eastwood. Le Broadway melody, rue de la Férronerie, qui était au départ vers 1973 un bar rétro dans une cave tenu par un couple gay, et qui est devenu par la suite le Broad, plus hard. L'aventure, avenue Victor Hugo, la boîte très Jet Set de la chanteuse Dani- L'Elysée matignon, où Gainsbourg et Polanski traînaient tous les soirs. Façade : Ce fut, sur le modèle d'’Andy Warhol’s interview " le premier magazine branché français. Sans objectifs de vente, ni même de calendrier de parution, Façade est devenu un objet culte dont les 13 numéros parus se recherchent, s'échangent, se revendent au coeur du marché parallèle de la "collectionnite" aigue. Tiré à 5 000 exemplaires, le lancement du n° 1 a lieu en juin 1976 à... Saint-Tropez. A Paris, le relais est assuré par Frédéric Mitterrand (via son temple, l'Olympic Entrepôt) et les créateurs de mode ("Pour le défilé lssey Miyake, les mannequins distribuaient directement le magazine du haut du podium ! On a ensuite rapidement eu Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld de notre côté."). Thierry Ardisson, qui immortalisa les nuits de la main bleue - Alain Pacadis Guy Cuevas le DJ du Sept - Jean-Baptiste MONDINO - Jean-Edern Hallier "Façade était au même titre que le Palace le reflet d'un Paris novo. Pas de censure, les punks côtoient les filles de bonnes familles, leurs mamans les nouveaux banlieusards, et les hommes aiment les femmes qui veulent être des hommes qui aiment les femmes. Karl Lagerfeld s'offre des pages de publicité pleine d'humour et nous offre des fêtes incroyables, Thierry Mugler impose son univers fantasmagorique, Edwige est à la fois la reine des punks, reine de la nuit, et cover girl. Entre deux shootings, Djemila nous donne un coup de punk et de funk à la Main Bleue, Paquita s'appelle Paquin, Maud s'appelle Molyneux et Fabrice Emaer fait du Palace un lieu de ralliement mythique. Au rayon déco, Philippe Starck annonce le fuselage, Philippe Morillon se met à l'aéro, Pierre et Gilles ont un déclic et Christian Louboutin fait ses premiers pas au sous-sol du Palace où figure la sublime et stupéfiante Eva Ionesco qui inspirera Jeremy Scott 20 ans plus tard. Alors que Kenzo et Irié donnent dans le pantone, Serge Kruger fait dans le monochrome et invente le slooghy, pendant que le ska et la new wave réhabilitent le look du début des années 60. Le recyclage est parti ! Grace Jones devient Goude, Nina Hagen est la nouvelle walkyrie, Elli est Jacno, Taxi Girl cherche le garçon, Kraftwerk sont des robots, et les B52's dansent sur la planète Claire. James Brown a un fils qui s'appelle James White, tout le monde avoue que le Freak c'est Chic et se pose la question: Are we not Men ? We are Devo ! Andy Warhol est à Paris, Alain Pacadis aussi, nous avons tous notre quart d'heure de gloire, ne serait-ce qu'en dernière page de Façade." L'Open market, rue des Lombards : Marc Zermati, qui a fondé le label Skydog. C'est là que Maurice G.Dantec est venu acheter ses premiers disques. Et bien sûr, le Gibus où passaient tous les groupes Punks. Les Stinky Toys avec Elli Medeiros et Jacno qui eurent plus de succès par la suite. Leur premier manager fut Dominique TARLE, ex-photographe des Stones. Asphalt Jungle : Patrick Eudeline - Ricky Darling - Patrice / Skunky - The Mental job - Henri-Jean - Alexis Quinlin. Metal Urbain : ils furent des précurseurs car parmi les premiers à utiliser des synthés et des boîtes à rythme en même temps que des instruments plus rock comme la guitare et la basse. Ils firent aussi carrière en Angleterre où ils enregistrèrent pour le label "Rough Trade".Henri Flesh : il fut au début du mouvement Punk le chanteur d'Angel Face (après Patrick Eudeline). Puis, il forma 1984 avec des membres de Looseheart. Se retrouvaient dans son appartement de la rue des Filles du Calvaire : Fury et son frère Philippe Jeantet - Pierre Nougaro - Florence - Coco Charnel (Pascal) - Caroline Gosos - Véronique (qui parlait avec l'accent d'Arletty) - les Bazooka – Metal urbain - les Stinky toyz – Asphalt jungle, ainsi que les Clash quand ils vinrent à Paris la première fois. Les Bazooka : Kiki Picasso - Loulou Picasso - Olivia Clavel - Lulu Larsen – Fury Le 'Commando graphique' Bazooka collabora à 'Libération' en 77-78, où ils firent scandale, et publièrent leur propre magazine, 'Un Regard Moderne'. Ils inventèrent le concept de « dictature graphique » et permirent un certain renouvellement des techniques utilisées par les auteurs de bandes dessinées (collage, « cut-up », etc.). Les publications du groupe (Bien dégagé sur les oreilles ; Activité sexuelle : normale !) déclenchent souvent des réactions virulentes, mais contribuent à la reconnaissance de l’« esthétique BD » dans d’autres domaines de la création. Les Frenchies : Paul Alessandrini leur consacra pages dans Rock n’folk en 1973 avant qu'ils n'enregistrent quoi que ce soit. Les Frenchies ont par la suite une époque accompagné Chrissie Hynde quand elle vivait à Paris, et avant qu'elle n'aille à Londres former les Pretenders. Bijou : Ils ont été labellisés "punk" à tort, mais ils faisaient partie de la mouvance. Leur reprise des Papillons noirs conduira Gainsbourg à refaire de la scène, avec Bijou d'abord, ponctuellement, puis en solo. Passant de la banlieue aux clubs branchés, les Bijou troquèrent rapidement le cuir pour le costume sombre des jeunes gens modernes. Il y eut un phénomène Bijou, fan-club et revue à l'appui. Dans sa quête du rock parfait, le trio est monté haut et s'est brûlé les ailes. Tiraillé par des influences divergentes, le groupe n'a pas résisté. Bijou mit les pouces en pleine gloire. Comme presque toujours, la frustration fut considérable. Gazoline, les guilty razors avec Tristan, Loose heart avec Pierre Godard qui forma ensuite Suicide Romeo, Painhead, Les lyonnais Marie et les garçons avec Patrick Vidal (le futur DJ House), Starshooter avec Kent, les Olivienstein et les Dogs de Rouen, Taxi girl. Avant cela, Yves Adrien avait été vendeur au mythique Open Market parisien, avait écrit sous les noms de Sweet Punk, Eve Punk ou Orphan, et ce depuis 1971, avec de constantes disparitions et réapparitions. La dernière apparition remontait précisément au 27 mars 1988, date de la mort de Julien Regoli, guitariste du groupe Angel Face. Yves Adrien était le frère d'armes de Julien Regoli, mais aussi d'Alain Pacadis, Alain Z.Kan, Daniel Darc ou Patrick Eudeline. Ils étaient jeunes et fiers, et formaient des Armées de la Nuit à l'élégance ruinée, dédaigneuses, frimeuses, déjantées et dont le sang était chargé de poudre. Overdose, suicide en prison, sida, disparition, foie éclaté, il y eut bien des fins violentes et les deux tiers des personnages de l'époque ne sont plus aujourd'hui que fantômes revenant hanter les survivants de groupes et magazines qui ne cessaient de s'échanger leurs protagonistes. "Dans nos vies il y avait tellement d'ennui, tellement d'ennui...et puis soudain il y eut une lumière qui s'est allumée et cette lumière c'était le punk (...) Dans la vie si t'es pas prêt à mourir pour une cause, quelle qu'elle soit, elle peut changer tous les jours ça n'a aucune importance, alors tu meurs vraiment, et d'une mort conne et lâche." (Daniel Darc.). " On sait que la vie est absurde, on sait tout ça. Le Dandysme c'est la seule manière de donner de la dignité à la vie. Il n'y a rien de plus vulgaire et de plus laid que le naturel, il faut y échapper à tout prix (...) Donc c'est la sophistication à l'extrême dans tout, les sentiments, les fringues (...) La forme d'un bouton de veste devient une quête initiatique". (Patrick Eudeline). Patrick Scarzello a parfois cohabité avec Eudeline à Paris mais vit plus souvent chez lui à Bordeaux, fait également rock-critic et musico, écrit sur Daniel Darc et Alain Z. Kan. Après avoir participé à des fanzines (On est pas des Sauvages...), des groupes, été disquaire, organisateur de concerts, chroniqueur à Sud-Ouest, Scarzello sort Les Armées de Verre Soufflé fin 1998 ou début 1999. Ses albums produits chez Msi. Donnez deux pages blanches à Patrick Scarzello, il y fera des allusions à PIL, Stranglers, Cramps, Gainsbourg, Cioran, Despentes, Ravel, Alain Z. Kan, Coronados, Four Roses, Eudeline, Darc, Orfan... ". Il fait venir Alain Z. Kan en concert à Bordeaux Le tout dans une écriture à la Patrick Eudeline/Yves Adrien très assumée. Et qu'il peut s'autoriser. Patrick Scarzello est l'envoyé spécial bordelais de tous ces "incurables, esprits libres et dandys de grands chemins inspirés. Véritable pillier des nuits parisiennes, Thierry Ardisson, aurait-il fourgué ses diableries en soldes fin de série ? L'animateur télé aux provocations sexe, drogue et tutoiement («La sodomie, ça te plaît ? La coke, t'as essayé ?»), l'inquisiteur émoustilleur des intimités du show-biz, l'afficheur du slogan «Toute vérité est bonne à dire» se serait acheté une conduite. Le nuitard fumant des pétards avec des partouzards ne serait plus qu'un pater familias rêvant de sa gentilhommière normande où l'attendent ses chevaux, sa descendance, son épouse. Info ? Intox ? Un peu des deux. Il y a la vie qui passe, la nuit qui lasse, l'argent qu'on amasse, et le cynisme qui fatigue, l'agressivité qui pèse sur l'estomac, le rentre-dedans qui fait boomerang. Marre de jouer les Méphisto, envie de pacifier son environnement. «Il passe beaucoup de temps à se réconcilier», explique un observateur. A cela s'ajoute ce besoin animal de toute bête de média (télé mais aussi pub, presse, édition) : bien sentir l'époque, et qu'elle ne vous ait pas dans le nez. Extrêmement daté années 80 (fric, frime, frasques), Ardisson a mis un bail pour se remettre au diapason de ces temps Tartuffe (vertu, compassion, contrition). Il a commencé par baisser la garde question animation d'émissions, s'est concentré sur la production. Il a vendu son magazine Entrevue, très trash, qui le mettait en porte-à-faux avec les décideurs de la télé épinglés avec délice. Sa dernière incursion dans la presse est significative du basculement de l'ancien héros des flambeurs : ça s'appelle J'économise et ça s'adresse aux rapiats de la consommation. Il s'est refait une virginité en faisant retraite sur le câble (Paris-Première). S'y est façonné une aura de respectabilité, via une quotidienne culturelle de bonne tenue (Rive droite, rive gauche). Y a également mis en scène l'effacement de son ego lors d'une balade sous les néons (Paris la nuit) où l'intermédiaire mettait sa curiosité hors champ. Au final, Ardisson revient dans la lumière d'une chaîne généraliste (F2) en arbitre des tendances («Tout le monde en parle» ), pas en Kenneth Starr des petits tas de secrets à paillettes. Lui qui réfute la distinction privé-public pour les puissants, qui regrette de ne pas avoir interrogé Mitterrand sur Mazarine, se met donc à l'heure tiède de «ce média très compassé». Avec tout ça, qu'en est-il des emblèmes de son personnage ? De cette signalétique, vestimentaire, idéologique qui marquait sa différence, validait son existence ? Postures ou impostures ? Le costume de clergyman est toujours noir. Il l'a dit souvent : ça mincit, il n'aime pas son physique, il a un gros cul. Le ton est moins rogue. Le sarcasme traîne un peu en chemin. La vacherie patiente en gare. Il semble avoir perdu ces façons de rejeter de guingois la fumée de ses Marlboro, en mâchouillant des «ouais» dubitatifs, très mec à la redresse. Au front, la perplexité des rides en réseau confirme son désabusement, sa perplexité devant la nature humaine. Mais sans excès. Là où il persiste et signe avec le plus de vigueur rusée, c'est en matière de convictions. Quand l'adorateur des Beatles parti faire hippie à Goa, l'ancien accro à l'héroïne prônant la légalisation du cannabis, le libertaire ferraillant pour un hédonisme individuel s'était déclaré royaliste et catholique, Paris en avait fait des gorges chaudes, flairant un marketing de dandy. Dix ans après, la paternité venue qui peut lui faire interroger ses origines, Ardisson confirme qu'il se sent plus proche du traditionalisme de la branche paternelle que du communisme de la filière maternelle. «Je me souviens de mon père en prière, à genoux devant son lit. ça marque», admet celui qui rechigne à évoquer une enfance solitaire, avec souvenirs empilés dans une caisse en bois qu'il trimbalait lors des fréquents déménagements de l'ingénieur des travaux publics. L'élève des Salésiens ne met pas les pieds dans les églises mais apprécie que son aînée aille au catéchisme. Il croit à la vie éternelle et «respecte» la Vierge Marie, admettant juste : «Bon, l'Immaculée Conception, je ne m'en mêle pas trop.» S'il est pour le préservatif, il est plus réservé quant à l'avortement. «Chacun est libre de faire ce qu'il veut de son corps, mais personnellement...» Et cela «peine» celui qui réalisait des interviews-confessions en soutane quand on attaque Jean Paul II, «quand on dit qu'il sucre les fraises ou qu'il a un anus en plastique». A l'abord, son royalisme paraît bien tempéré, européen, moderne. Né un 6 janvier, jour des rois, Ardisson en pince pour une monarchie constitutionnelle qui ne serait pas sans afficher un lointain cousinage avec une Ve République par temps de cohabitation. Il célèbre la rupture de Juan Carlos avec le franquisme. Essaie de découpler tout ça d'avec Maurras et l'extrême droite. Précise que «Louis XVI n'était pas Hitler». Semble étonné que l'écrivain Gérard Guéguan l'ait accusé d'avoir «dérapé dans une flaque de sang bleu». Comprend mal qu'on n'adhère pas à un pouvoir héréditaire et génétique que sauverait son refus de l'absolutisme. Mais que répondre à ce légitimiste qui a l'outrecuidance de taper sur l'épaule du prétendant au trône, le citoyen Bourbon, en l'appelant par son petit nom (Louis) quand il est convenu de lui servir du «monseigneur» ? Catho-provo, sarcastico-aristo? Peut-être, au-delà des étiquetages qu'il sollicite, Ardisson est-il surtout un maniaco-dépressif devenu homme d'ordre pour endiguer ses pulsions destructrices (tentative de suicide, Cocaine, héroine). Celui qui aime à se présenter comme «ne respectant pas grand-chose mis à part les rois et les papes» vit dans un univers totalement ritualisé. Poche intérieure gauche de sa veste : la carte de crédit et la «médaille de la chapelle miraculeuse de la rue du Bac». Poche extérieure droite : les cigarettes. Poche extérieure gauche : le portable. Toujours à la même place. «Un médecin m'a dit : "De toute façon, vous resterez un addict." Maintenant, je me drogue à la normalité. Je suis devenu ultranormal.» A force, il a fini par réaliser ses rêves les plus standardisés. S'il n'a toujours pas passé son permis de conduire, il estime gagner 35000 € par mois. Il se serait bien vu écrivain, mais l'intendance ne lui aurait pas suffi. «J'avais envie de voyages en première classe, de chambres de palace.» Il admire l'imaginaire de Philip K. Dick, et le style de Paul Morand. Couleur de deuil. Quand Yves Mourousi pose la fesse sur le bureau présidentiel de Mitterrand, les analystes transforment «ce geste naturel, en quelque chose de prodigieux» s'étonne-t-il encore. Lui se lasse, fait deux ans de trop sur la Une rachetée par Bouygues. Un Bouygues qu'il a reçu chez lui. Comme un ami. L'homme du BTP s'arrête devant les photos du présentateur-star qui surchargent la déco intérieure. «Qui est ce vieillard à côté de vous?», demande-t-il. «C'est Karajan, président.» «Et celui-ci, c'est un militaire?» «C'est David Bowie, dans Furyo, président.», «aussi à l'aise avec les ministres qu'avec les gens de la rue», dit une de ses relations. On a vu chez lui des hommes de droite vautrés sur les tapis, des architectes mondains rouler des pétards, de jeunes toreros ne rien comprendre aux agissements de Coluche mimant la corrida, des «malfrats côtoyant des ministres», des chanteuses et des abbés. La fête perpétuelle, les délires et les excès, il ne dément ni ne confirme, concède juste: «J'ai horreur de l'impudeur justificatrice.» Renvoyant entre les lignes les dernières confessions d'un Johnny cocaïnomane: «On peut se livrer, si on n'a pas un album à vendre derrière.» C'est la vie par tous les bouts, et les disparitions qui la frangent., Coluche, le parrain de sa fille, le valet de chambre assassiné. Et Véronique, son épouse morte un soir d'été. Avec les vilains bruits que lui prête la rumeur à un taux usuraire. « on l'a sortie des toilettes des Bains-Douches victime d'une overdose,», lui répond maladie fulgurante, rappelle l'organisation d'un faux dîner au Fouquet's pour donner le change aux paparazzi, pour que l'ambulance arrive discrètement à la maison, et que sa femme y passe ses derniers instants. Passe sur la grande déprime qui a suivi la disparition, et la frime surjouée pour ne rien montrer à Sophie, sa fille. Il part avant la fin du siècle. Bonsoir. Daniel Darc, tout au long de sa vie, oscillera souvent entre la croix au cou et les déclarations en hébreu, comme entre l'influence divine et la magie noire, d'une déclaration fracassante à son contraire tout aussi péremptoire. Jamais l'expression "écorché vif" ne concernera mieux quiconque que cet éternel adolescent qui n'en finit pas d'être en crise. Sexuellement, bien sûr, il se revendique homosexuel avec la même fougue farouche qu'il emploie pour affirmer aimer les filles. Et de toutes façons, les deux sont vrais, notre héros saute sur tout ce qui bouge et emballe tout le monde de son charisme irrésistible, même et surtout celles et ceux qui le prennent pour une vraie tête à claques. Il dit tout naturellement "Je suis simplement tombé amoureux de garçons comme je suis tombé amoureux de filles, et ces garçons j'ai fait l'amour avec eux comme j'ai fait l'amour avec des filles, parce que je les aimais. La bisexualité n'a rien de choquant. Pourquoi se priver de la moitié du monde ?" Au lycée, il se lie avec un bel Afghan taciturne, Mirwaïs Ahmadzaï. Taxi-Girl, se forme autour de Mirwaïs à la guitare et Daniel devenu Darc au chant. Cadeau empoisonné : un bidouilleur aussi jeune qu'eux, au culot monstre et publicitaire dans l'âme, l'incroyable Alexis, sera leur manager, correspondant trait pour trait à ce qu'était alors Malcolm McLaren aux Sex Pistols. D'ailleurs nous sommes tout près des années punk et Daniel y croit encore, même quand la mode en arrive aux "garçons modernes". Le temps passant, il accusera les autres de le maintenir dans le soft et le clean, alors qu'il ne rêve que d'incarner le héros rock mythique, défoncé, bourré, ne tenant pas debout et crachant dans son micro. Un soir de 1979, le public lui semble rester hermétique à sa prestation scénique. Daniel entre alors dans la légende en se tailladant méthodiquement l'avant-bras, continuant de chanter en pissant le sang crânement. Il voulait forcer l'indifférence, c'est réussi. Mais dès lors une grosse partie de son public ne recherchera plus en lui que le scandale, la tendance macabre, le spectacle et la révolte que l'on aime tant vivre par procuration. Et commence cette longue histoire d'amour glauque avec des fans inconditionnels qui lui excuseront tout, disques ou concerts au talent sous-exploité, pourvu qu'il leur donne leur frisson d'autodestruction en direct. Et comme Daniel est timide, influençable, et surtout d'une sensibilité exacerbée, il ne cessera que rarement de se complaire dans ce rôle de beau héros incompris qui lui va si bien. Sur scène, en tous cas, parce qu'en studio se concoctent des disques bien propres. (Même si souvent la musique guillerette fait passer les morceaux pour de la variété gentille, alors que les paroles sont d'une noirceur et d'une violence rarement égalées; "Jardin Chinois", par exemple, est d'un abord charmant, mais en prêtant l'oreille on entend : "Je te tuerai, je te tuerai lentement, le temps est si long, pourquoi nous presser, ton corps est si doux à déchirer...."). En fait les disques, beaucoup trop léchés, gomment la spontanéité et l'émotion qui passaient dans les premières versions, non retenues, et qu'il faut rechercher dans les lives du groupe ou sur des rééditions posthumes, une fois le groupe devenu mythique. Une étape est franchie quand survient la collaboration avec les Stranglers pour le premier véritable album de Taxi-Girl et la tournée anglaise qui s'en suivit. Beaucoup de choses lient Daniel et J-J Burnel, tous deux passionnés d'occultisme, (l'album Seppuku, catalogue de vierges rouges, de sacrifices humains, de meurtres de la tribu Manson, etc...), d'arts martiaux, de samouraïs et de leur suicide rituel, le seppuku qui donnera son nom à l'album. Ils partagent goûts musicaux et littéraires et vouent le même respect à la dernière personne à avoir pratiqué le seppuku, l'écrivain japonais Mishima Yukio, qui avant de mourir rituellement avec son amant en 1970 avait écrit: "D'un coup puissant du bras, il plongea le couteau dans l'estomac. A l'instant où la lame tranchait dans les chairs, le disque éclatant du soleil qui montait explosa derrière ses paupières." Seppuku, l'album, c'est aussi l'apparition de Viviane Vog. C'est une chanson du disque, c'est aussi un pseudonyme que Daniel prendra longtemps à son compte, après l'avoir confié puis repris à un ami qui n'avait pas osé s'en servir. Puis Daniel finit par se faire peur, et à avoir peur de l'influence qu'il exerce sur autrui. Il va passer près de dix ans sans chanter un seul titre de Seppuku et évite même d'en parler en interview. Daniel doute. Sa face noire est parfois bien pesante et il cherche régulièrement à se réfugier dans l'amour, la religion, le constructif. De la même façon qu'il tente mille fois de décrocher de la drogue. "Vieux démons", encore une expression toute faite qu'on croirait inventée pour lui. D'hémorragie en hémorragie, le groupe finit exsangue. La drogue a tué Pierre Wolfsohn, le batteur. Le couple terrible Mirwaïs-Daniel reste seul en lice. En 1984, Les Enfants du rock leur consacrent une émission. Daniel et Mirwaïs y parlent plus qu'ils ne jouent, de Burroughs, de Rimbaud, de Jerry Rubin, de Dylan. Taxi-Girl se démarque par sa fébrilité. En 1985, quand Taxi-Girl donne ses derniers concerts, la décision de se séparer est déjà intervenue. Daniel est "Déjà parti". Pourtant rien ne change vraiment : ses concerts, même imparfaits, sonnent toujours infiniment plus que ses disques, même parfaits. Nijinski. S'il ne fait pas oublier les versions sauvages et brûlantes des concerts de, par exemple, 1990, il offre l'immense joie d'écouter Daniel, de le retrouver, d'avoir des textes, des émotions et certaines chansons qui donnent envie d'être passées tout le temps. Daniel y est aussi un peu plus serein sans se forcer, il semble s'accepter et s'y excuse une bonne fois pour toutes d'être comme il est : invivable. "Prenez-le comme il est" et surtout comme vous pouvez quand vous pouvez. Craignez surtout ses déclarations d'amour, il est probable qu'il prépare en même temps sa fuite par la fenêtre des chiottes. N'interrompez pas son débit, même s'il va deux mille fois trop vite, il n'y reviendrait pas. Il est déjà parti.
Comments:
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Quand deux verbes se suivent le second est toujours à l'infinitif. Sinon effectivement oui, je me suis fait spammer.
et merde.
et merde.
Monsieur "jedonnedesleçonsd'orthographe" ! Enlèves d'abord toutes tes ç ! Et puis on s'en fout, tu as vu spammer dans le dico français ?
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