vendredi, mars 03, 2006

 

Blowup.

Bien aimé ce film "Londres 1966 : Thomas est un riche, célèbre et jeune photographe de mode qui prépare aussi un livre d’images sur la misère urbaine. Il croit capter la réalité grâce à sa technique. Un après-midi pourtant, lassé des mannequins et de la mode, il va prendre l’air dans Maryon Park et photographie à la volée quelques beaux plans de nature déserte puis un couple qui se trouve là, dans le champ de son objectif. La femme le remarque, vient vers lui et exige nerveusement le négatif, tente même de lui arracher mais Thomas refuse : le rouleau contient aussi des photos professionnelles qu’il doit d’abord développer. L’examen approfondi des photos va bientôt lui faire comprendre qu’il a photographié - sans le savoir - un meurtre et qu’il est du même coup devenu un témoin gênant…Écrit pendant deux mois puis réalisé à Londres d’avril à août 1966 en six semaines et monté durant un mois, Blow Up (Ital.-USA 1966) de Michelangelo Antonioni obtint la Palme d’or au Festival de Cannes de mai 1967 ainsi que le Prix de la Fédération Internationale des Ciné-Clubs. Son scénario avait été inspiré à Antonioni par une nouvelle de Julio Cortazar mais le cinéaste n’en retint que le personnage du photographe interprété par David Hemmings. C’était le premier film qu’il tournait hors d’Italie. Notons qu’aux USA le titre s’orthographie Blowup sans trait d’union et en un seul mot tandis qu’en Angleterre il s’orthographie Blow Up en deux mots mais sans trait d’union : les affiches françaises l’ont ajouté systématiquement, ce qui donne Blow-Up. La richesse de signification du film est déjà inscrite dans le verbe intransitif anglais qui lui donne son titre original : « to blow up » veut dire aussi bien « éclater », « exploser », « gonfler », « agrandir une photographie » voire même « sermonner, tancer ». Cette riche étymologie renvoie bien à la dynamique profonde du film. L’univers vain et désespéré dans lequel se mouvait avec une certaine sensation d’étouffement Thomas va être « explosé » par la « révélation » chimique de l’agrandissement : il va passer à travers le miroir, par-delà les apparences, jusqu’à avoir confirmation qu’il a bel et bien photographié un meurtre. Dès lors, il comprend aussi qu’il a vu ce que personne n’aurait dû voir, été témoin de ce dont personne n’aurait dû être témoin. Mais son désir de devenir témoin se heurte à sa propre peur d’une part (son appartement a été fouillé : on sait qu’il sait), au désintérêt étrange de ses amis et relations de l’autre. La célèbre scène finale de mimétisme qui le remet en présence d’un groupe qu’il avait déjà croisé au début du film achève de donner le sens de la « révélation » : la réalité s’est dissoute dans sa représentation. Et si telle représentation intéresse tel groupe, elle existe. Sinon, elle ne renvoie à rien. Critique morale absolue de la société anglaise permissive de 1967 qui laisse Thomas seul, en marge, témoin menacé, apeuré, effrayé de l’inhumanité de son propre milieu. Le film « tance », « sermonne » intérieurement ce délaissement profond qui caractérise le monde moderne et en assène un symbole sur lequel on glosa tant à l’époque de sa vision. Cette boucle toute platonicienne d’une réflexion métaphysique sur les apparences et la réalité dont un homme d’image est le héros – héros dont la vie s’écroule à cause d’une image de mort qu’il n’a pas réfléchie ni mise en scène, qui est venue à lui par hasard – est soutenue par une mise en scène impressionnante. Inutile de dire qu’Argento se souviendra de Blow Up lorsqu’il reprendra Hemmings pour Profondo Rosso [Les frissons de l’angoisse] (Ital. 1976) que l’on peut considérer comme un hommage thématique, sinon plastique. Dans la filmographie d’Antonioni, cette critique d’un monde risquant de devenir inhumain prolongeait celle de son précédent long-métrage, Deserto Rosso (Ital-Fr. 1964) et sera elle-même prolongée avec la même beauté plastique dans son film suivant Zabriskie Point (Ital.-USA 1969) dont le cadre sera cette fois-ci la société américaine. A noter, pour les connaisseurs de cinéma-bis, que Piers Haggard, le futur réalisateur de Satan’s Skin / Blood On Satan’s Claw [La nuit des maléfices] (GB 1972) avec Linda Hayden est crédité comme « assistant dialogues » sur le générique.

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