mercredi, février 22, 2006

 

Frissons & Rage.

Toujours dans une période « premiers films », j’ai la super 8 qui me démange… "Réunis dans un coffret, les deux premiers films de David Cronenberg sont comme deux manifestes symptomatiques d'une époque et annonciateurs de la carrière à venir d'un cinéaste atypique. FRISSONS : dans un luxueux complexe résidentiel, une étrange créature protéiforme pénètre les habitants, les transformant en hédonistes furieux qui cherchent à se multiplier. Rapidement, un médecin tente de s’opposer à l’invasion. RAGE : à la suite d’un accident de moto qui nécessita une greffe, une jeune femme devient porteuse d’un virus qui s’apparente à la rage et qui la pousse à contaminer ses semblables. Frissons (1976) et Rage (1977) sont les deux premiers films de David Cronenberg, mais non rien d’une préhistoire. Ce sont même de bons livres de recettes pour comprendre et décrypter la manière Cronenberg et son obsession de l’organique et de la chair vive. Une obsession qui traverse de part en part sans discontinuer une filmographie pour le moins régulière, indépendante et hors norme. Frissons et Rage sont le produit de l’époque 70 autant dans leur traitement que dans leur thème : moquettes marron et sexualité extravertie, la digression maladive de la chair comme entité vivante et indépendante est au moins aussi troublante que dans le plus masochiste de ses films, Crash. Cette réunion de Frissons et de Rage dans le même coffret s’accompagne de deux documentaires sur le maître et d’un documentaire sur Marilyn Chambers que Cronenberg alla chercher pour incarner l’origine du mal de Rage alors même que la star montante du porno californien sautait de succès en succès (Derrière la porte verte, entre autre chef-d’œuvre organique, onaniste et orgasmique). La chair, toujours la chair. Le tout est un vade-mecum complet et précieux à l’usage du petit débutant qui ne cherche qu’à s’instruire.

RAGE (1977).
A la suite d'un grave accident de moto conduite par son compagnon Hart, où elle manque de perdre la vie, Rose doit subir une intervention d'urgence. Seule la clinique chirurgicale à proximité du lieu de l'accident peut opérer dans la demi-heure. Devant la complexité de son cas le docteur Dan Keloid n'hésite pas à recourir à une technique qui n'a pas encore fait ses preuves : la "greffe sur terrain neutre" qui permet de donner à la peau transplantée la même plasticité que celle de l'embryon. Son intervention chirurgicale a de curieuses conséquences. Il pousse à l'aisselle de Rose une excroissance phallique, une sorte de dard rétractable qui lui permet de rester en vie. Car Rose a désormais besoin de sang humain pour survivre et le dard lui permet de satisfaire à cette nécessité. La première victime est un compagnon de clinique, Lloyd Walsh, qui la découverte agitée, à demi nue sur son lit d'hôpital. Elle s'enfuit une première fois et éborgne avec son dard un paysan ivre qui voulait la violer. Celui-ci sera tué dans un restaurant au bord de l'autoroute pour s'être attaqué sauvagement à la nourriture de clients. Rose tue ensuite une compagne de chambre qu'on retrouvera dans un congélateur puis le docteur Dan Keloid qui fou furieux coupe le doigt d'une infirmière en pleine opération. Rose s'enfuit en camion pour Montréal et suce le sang du camionneur. Comme les autres victimes, celui-ci va transmettre une sorte de rage foudroyante à ses proies. Rose parvient à Montréal. Des centaines d'habitants sont désormais victimes de ces attaques de personnes infectées dont le temps d'incubation n'est que de quelques heures. Une fois pénétrées, elles deviennent à leur tour des vampires. L'Etat d'urgence est déclaré. L'épidémie s'étend. L'armé abat froidement les personnes infectées qui errent dans les rues et, après chaque exécution, des techniciens vêtus de blanc viennent désinfecter l'endroit et jettent les cadavres dans des bennes pour les emmener à la destruction Empêché de rejoindre celle qu'il aime par la géographie de la ville et par la quarantaine imposée par les autorités, Hart finit par retrouver Rose. Il la surprend suçant le sang de son amie Mindy qui l'hébergeait. Hart comprend qu'elle est à l'origine de l'épidémie, l'enlace, elle l'épargne Rose devant les accusations de Hart cherche à se prouver ce qu'elle craignait elle-même. Elle s'enferme avec un homme qu'elle a mordu et se laisse suicider par lui. Son corps sera retrouvé dans une rue au petit matin. Les éboueurs ramasseront son corps pour le jeter dans une benne à ordures. Pour Cronenberg, l'enjeu pour le sujet est de recouvrer son autonomie dans un monde où la technologie, la science et la psychologie assurément que tout est normal. C'est dans l'organisme humain, lieu de tension, que s'écrit et se construit le destin de l'homme. Si son équilibre est rompu, par l'effet d'un virus par exemple, la maladie s'installe et les cellules prolifèrent de manière incontrôlée. Elles vivent leur propre vie mais engendrent un cancer qui détruit le corps et, par voie de conséquence, entraîne la mort.

FRISSON (Shivers- 1976).
A Montréal, après avoir été artificiellement créé par un médecin, un virus se propage progressivement chez les paisibles habitants d’une résidence moderne, provoquant des troubles du comportement aussi divers qu’inavouables. La démarche d’une partie de la cinéphilie est de vouloir détecter à tout prix dans les premières œuvres d’un cinéaste les prémices et les "fondamentaux" de leur cinéma à venir : quel(s) thème(s) développe-t-il déjà ? Adopte-t-il un style reconnaissable dès maintenant ? En quoi ce film est-il le brouillon d’un chef d’œuvre futur ? Néanmoins, et ce même si Cronenberg est un auteur pur jus définition Cahiers du Cinéma, tenter de théoriser, voire même de comprendre en quoi ces premiers films parfois si particulier s’insèrent dans une œuvre de réalisateur relève parfois d’une mission impossible. De part son processus de création, son mode de diffusion à l’époque et le résultat final à l’écran, Frissons (connu aussi sous le nom de Shivers ou Parasite Murders) serait donc presque une gageure critique. Coup sur coup en 1969 puis en 1970, Cronenberg réalise deux moyens-métrages, Stereo et Crimes of the Future. Films très artisanaux, ils trahissent quelque part l’idée selon laquelle Cronenberg choisit le medium cinéma par défaut (au détriment de la littérature ou de la sculpture selon ses propres termes) pour y exprimer sa vision artistique et son intellect. Début des années 70, le réalisateur Canadien n’en est même pas réellement un à l’époque. Il ne se considère pas comme tel tant il semble persuadé avoir tout dit avec ses deux premières (courtes) œuvres. Jusqu’au jour où il décida que faire du cinéma allait tout bonnement devenir son métier. Mais métier au sens le plus noble du terme : amour de son travail ; mais amour impliquant parfois haine et rancœur : ce mode d’expression allait s’accoupler avec l’idée qu’il allait se battre sans cesse contre l’industrie cinématographique et les diktats de ses dirigeants. Cronenberg ou "La liberté contre la dictature". Frissons ne fait que marquer pour lui le début d’une lutte ‘quasi sans merci’ contre la censure et les restrictions de tout genre (budgétaires, scénaristiques). C’est ainsi qu’à cette époque Cronenberg écrivit le scénario de Frissons et se mit en tête de le proposer au studio Cinepix, studio canadien spécialisé dans le cinéma érotique et à vrai dire seul studio réellement prolifique dans cette partie de l’Amérique du Nord. C’est ainsi que de fil en aiguille et par un bon contact entre les deux parties, Cronenberg finit par réaliser une scène d’essai … pour un film érotique Vu son penchant pour la chose et l’intérêt que le cinéaste porte au sexe, cette expérience, finalement plus amusante que réellement surprenante, amène le réalisateur à prendre le taureau par les cornes en proposant clairement ses services. Seule condition pour que Cronenberg vende son scénario à Cinepix : qu’il réalise le film lui-même. De rencontres fructueuses (Roger Corman, Barbara Steele, Jonathan Demme à qui l’on a même proposé de réaliser le film !) en voyages divers (Los Angeles), Cronenberg signe donc son premier film en cette année 1975. Virus, contamination, complots politique (le bâtiment où a lieu l’action appartient à une multinationale), irrésistible attirance envers tout ce qui a attrait à la technologie (le film débute sur une présentation du bâtiment par une voix-off situant l’action dans un temps indéfini). En bref, Frissons est thématiquement une tarte à la crème recette Cronenberg. Il est amusant de constater à quel point Cronenberg utilise cet alibi du virus afin de "justifier" à l’écran ce qui pouvait choquer il y a trente ans : couple homosexuel, arsenal sado-masochiste, liaison vieux/jeune. Le réalisateur (ab)use de ce procédé afin d’échapper à toute critique morale liée à la révolution des sexes en vigueur à l’époque. Mais après tout, Everything is sexual comme il est dit dans le métrage. Il n’y a qu’à voir à quel point le virus ressemble à s’y méprendre à un sexe d’homme (l’un des titres original du film est tout de même Orgy of the Blood Parasites !). Je laisse le soin aux spectateurs que vous êtes de découvrir l’ensemble des idées qui ont traversé l’esprit du cinéaste. Pas étonnant finalement que le canadien ait choisi Marilyn Chambers comme héroïne de son film suivant, Rage (Rabid) ! De la même manière que dans eXistenZ où le cinéaste s’amusait à créer un faux orifice afin d’échapper à toute censure, ce procédé aussi amusant que culotté s’applique ici à tout le film. Ainsi, toute l’action à l’écran n’est que détournement de la réalité en vigueur en 1975. Un miroir donc. Distribué de manière très confidentielle dans les réseaux de films de genre aussi méprisés que le porno ou le gore, Frissons se présente d’emblée comme un énième film de genre aux yeux de la critique de bon goût. Cronenberg, déjà adulé à juste titre par de nombreux fans, ne peut être à cette époque qu’affilié à la mouvance underground et contestataire dont ce premier film est inextricable dans l’esprit. Film de genre en même temps que pamphlet anti-conservateur, le premier film du canadien contient, soulignons-le, de nombreuses scènes très efficaces et aux effets spéciaux de qualité (la scène de la lycéenne, les ventres "en action", le viol dans la baignoire). Alors certes, Frissons peut paraître à plusieurs reprises maladroit dans sa mise en scène, Cronenberg hésitant dans ses cadrages et sa façon de gérer l’espace (il apprenait véritablement sur le tas) mais cette première oeuvre se doit d’être abordée déjà comme l’affirmation d’une personnalité et d’un tempérament hors du commun. Personnalité qui aura tout le loisir d’exploser, de se lâcher, voire même de se libérer ultérieurement ; à l’image de l’inoubliable dernière scène du film.

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