mercredi, janvier 25, 2006
Le pire des Mondes.
Derniers bouquins achetés. Mon rêve c'est de vivre dans un phare. J'ai un peu cette impression quand je bouquine du Ann Scott. "Ann Scott Ex-nomade des 80’s. Après "Le Pire des mondes", son quatrième livre, l’écrivaine reprend la plume avec fièvre. Et retrouve la quiétude des quartiers chics: la fin d’une parenthèse tumultueuse, du nord en passant par l’est. S’échapper. Ne jamais s’installer. Garder le minimum avec soi. Partie à 16 ans de chez ses parents, Ann Scott n’a pas connu de home sweet home jusqu’à la trentaine: squats, colocations, hôtels plus ou moins étoilés… Difficile de suivre le parcours de cette ex-musicienne devenue mannequin et qui vit aujourd’hui de sa plume. Tous les quartiers de Paris ou presque y sont passés avec un long arrêt du côté du 10e, "rue Lucien-Sampaix, dans un appartement sordide mais avec une belle cour pavée", puis "rue Sambre-et-Meuse dans un loft de 150m2 avec sauna, sous-loué à une fille, un an de rêve !" Départ il y a trois ans d’un quartier "trop triste et trop sale" et retour aux sources pour se rapprocher de son nouvel amour : direction le 16e pour cette fille élevée à Neuilly par sa grand-mère. Après une période sex, drugs & rock’n’roll, Ann tire un trait sur le passé dans "Superstars", récit de ses amours entres filles sur fond de techno et hommage à son amie Delphine (DJ Sex-Toy), aujourd’hui disparue. "Le 16e est en décalage avec moi mais j’aime avoir un vrai code à ma porte et pas de mecs affalés dans l’escalier." Agoraphobe, elle apprécie aussi "de ne voir personne sur cent mètres en sortant de chez moi au lieu du bain de foule quand j’habitais aux Halles". Elle s’est installée près de la Maison de la Radio "avec ses fenêtres éclairées en pleine nuit qui me font me sentir moins seule". Dans l’appartement, des piles de cartons pas déballés – "une habitude des squats londoniens où il ne fallait rien posséder" – et une sobriété à la japonaise. "Ne rien avoir sous les yeux sauf l’essentiel." Quelques meubles, "du design italien, très épuré", une guitare rachetée à son ami Patrick Eudeline. Sa passion pour Rothko, le peintre qui l'a fait s'intéresser à l'art moderne, transparaît: "Un seul livre reste toujours à l'écart des autres, c'est un livre sur lui. Je suis fascinée par l'obsession qui l'habitait." L’ex-ado révoltée se réconcilie avec ses racines bourgeoises, déjeune au Flore chaque semaine avec Virginie Despentes (une ancienne colocataire) et Christine Angot. La quarantaine approchant mais toujours "femme pas finie", selon son expression,Ann se recueille au Musée Rodin devant "les Causeuses" : "Je suis folle de Camille Claudel, tant de talent et de solitude, avec le sentiment d’être incomprise et une passion qui l’a détruite." Peu de flâneries. Le plus souvent, elle préfère se plonger dans les œuvres de Truman Capote ou visionner la trilogie du "Seigneur des Anneaux": peut-être un moyen d’échapper au "Pire des mondes"? Après deux romans (Asphyxie en 96 et Superstars en 2000) et un recueil de nouvelles (Poussières d'anges, 2002), l'ex musicienne et mannequin Ann Scott revient avec Le pire des mondes. Critiques et lecteurs sortent les étiquettes mais l'oeuvre, évidemment, vaut bien mieux. Paris, de nos jours. Un homme quitte la capitale au volant de sa Porsche pour aller voir la mer, à Deauville. Encore dans les embouteillages de la ville, il bloque sur trois visions successives d'horreur urbaine, tandis que la foule de passants anonymes semble vivre automatiquement comme si de rien n'était. Peu après dans le ciel, le conducteur croit apercevoir d'immenses tentacules sortant d'un trou noir. Son imagination, sans doute. Mais sans forcément le comprendre, il vient d'avoir la prémonition de quelque chose d'important, d'important et de sinistre. Parisian Psycho, après deux romans généralement qualifiés de "générationnels" sur les milieux underground parisiens, les drogues et le sexe entre femmes, Ann Scott poursuit sa démonstration de maturité nouvelle entamée avec Poussières d'Anges, beau recueil d'émouvants portraits post-mortem. Une évolution qui se traduit autant par le sujet que par sa mise en mots. Le choix d'une narration à la troisième personne du singulier masculin laisse penser que l'auteur s'éloigne des tentations autobiographiques de ses débuts. Cela dit, la description du personnage secondaire Elisabeth ressemble un peu à un autoportrait. Mais surtout, certains traits du protagoniste rappellent le parcours de sa narratrice. Adulte mais encore attaché à son héritage adolescent (il collectionne les comics comme d'autres collectionnent les disques), confortablement installé dans un loft qui lui sert de lieu de travail, exerçant un métier par passion (designer de jeux vidéo comme d'autres écrivent des livres)... Le jeune self-made-man vit ainsi dans le monde idéal qu'il a érigé, se contentant de quelques histoires sans lendemain pour ce qui concerne l'aspect sexuel. Jusqu'au jour où, par un banal concours de circonstances, il croise une actrice japonaise dont il tombe dingue amoureux. Persuadé d'avoir rencontré la femme de sa vie, il se jure de sortir de sa belle mécanique basée sur l'Internet, les repas livrés à domicile et les visionnages de DVD jusqu'à point d'heure avec pour seuls contacts son associé et une amie qu'il emmène au restaurant une fois par semaine. Apocalypse tout de suite La sobriété du style, l'économie de mots compliqués évoquent la démarche d'une Virginie Despentes lorsque celle-ci a sorti Teen Spirit, oubliant partiellement les scènes de sexe très explicites pour se concentrer sur un sujet plus cérébral. En l'occurrence, comment concilier les fantasmes véhiculés par la société de consommation et la réalité du quotidien sans perdre la tête, au sens propre comme figuré. Il s'agissait déjà de la problématique posée par les deux personnages de Fight Club, qu'Ann Scott cite explicitement. La romancière colle ici à la progression de son intrigue avec une maîtrise formelle hallucinante, alternant l'humour de l'euphorie éphémère et la cruauté des brutales incursions du réel. L'écriture retranscrit implacablement la lente descente aux enfers du héros en prenant un rythme de plus en plus sec à l'approche de l'inéluctable. La pertinence du regard qu'elle porte sur ses contemporains dans Le pire des mondes a valu à Ann Scott quelques premiers échos chargés des mots "réactionnaire" ou "raciste". Des analyses sans doute très inspirées auxquelles on ne fera pas l'honneur d'autres commentaires en ces périodes de libre expression sélective. Ce serait surtout se priver d'un excellent roman."