lundi, décembre 12, 2005

 

Ferrara roche d'or.

Abel Ferrara est sûrement le cinéaste indépendant américain le plus controversé de sa génération : cocaïnomane, alcoolique, ne dormant que deux heures par nuit, tournant frénétiquement film sur film, il vit au rythme de ses personnages dérangeants... On le connaît dirigeant des films comme Bad Lieutenant (1992), au propos volontairement provocateur et choquant. Il impose un style net et un sujet subversif ; même dans Body Snatchers, pourtant, au départ, une oeuvre de commande, qu'il transforme en un magnifique pamphlet politique. Son premier film, Driller Killer est plus un exercice de style que réellement un film où il explique son propos. Ce n'est qu'en 1987 que Ferrara connaît le succès avec King of New York : un film avec Wesley Snipes et Christopher Walken où il aborde le problème de la drogue à New York. Mais Ferrara ne le traite pas de manière conventionnelle, et il évite le piège moralisateur. Il transpose l'univers de la banlieue New Yorkaise dans un univers à la mesure de la splendeur des personnages (Il utilise une grande partie de son budget pour la création de décors majestueux). Grâce à l'argent gagné avec ce film, Ferrara produit et réalise Bad Lieutenant, film dans lequel il s'interroge sur le déclin d'un officier de police (symbole de l'Amérique malade?!) magnifiquement interprêté par Harvey Keitel. Toujours dans le plus pur style subversif, Ferrara utilise les décors comme éléments narrateurs majeurs, et amplifie le dramatique de la situation sans jamais tomber dans le cliché. Harvey Keitel reprendra du service auprès de Ferrara dans Snake Eyes, où il interprète un réalisateur décadent et névrosé. A ses côtés, Madonna joue le rôle d'une actrice en proie à de nombreux vices (alcool, drogues, sexe). Ferrara nous dévoile une ambiance sombre et inquiétante dans laquelle baignent des personnages complexes et mystérieux. En 1993, la MGM lui commande Body Snatchers, un film de science-fiction apparemment banal, qu'il transforme en un magnifique pamphlet sur l'holocauste et la vie. Body Snatchers est la suite d'une longue série de films SF qui a commencée dans les années soixante, mais Ferrara nous subjugue là encore avec son style incisif et percutant. Il nous prouve une fois de plus qu'il est le réalisateur de l'imprévisible. C'est à ce jour son film le plus coûteux. En 1995 il réalise The Addiction, une merveilleuse parabole du vampirisme, et une réflexion sur la nécessité du "Mal" pour l'homme. Le film s'inspire très fortement de philosophes comme Nietzsche ou Heidegger, et l'héroïne, Lily Taylor est une étudiante en philosophie. Ferarra atteint là un niveau de réalisation et d'utilisation de la caméra qui plonge le spectateur dans une atmosphère toute aussi étrange que celle de la diégèse: la caméra se comporte comme un personnage (le spectateur), et Ferrara utilise un maximum de symboles pour connoter l'angoisse de l'héroïne (comme cette lumière qui glisse lentement vers le crucifix). Malheureusement le film est d'un abord assez difficile. Il est nécessaire de posséder quelques rudiments de la philosophie de Nietzsche, Heiddeger, Schopenhauer, avec un soupçon de connaissance de l'oeuvre de Dante, pour bien saisir la profondeur du propos. (C'est à mes yeux son plus grand film!). The Addiction est tout entier une métaphore qui remet en question la "moralité" de notre société, et son prétendu "Bien". Il est quand même regrettable que seulement quatre bobines aient été " disponibles " en France, ce qui prive un large public de ce chef d'oeuvre qui a obtenu le Grand prix du Festival de Sundance!) Sorti aux Etats-Unis depuis juillet 96, The Funeral apparaît en France. Le film parle de vengeance entre des familles de la communauté italienne à New-York. Le rôle principal est toujours tenu par Walken, aux côtés d' Anabella Sciorra, déjà présente dans The Addiction, et de Isabella Rossellini. Ferrara tourne avec Béatrice Dalle, Claudia Schiffer, Dennis Hopper et Matthew Modine. Le film est une oeuvre qui lui a été commandée et devrait s'intituler Blackout. On peut donc s'attendre après cela à un nouveau film, car Ferrara accepte de tourner des oeuvres de pure commande afin de pouvoir ensuite produire ses propres films. Zarathoustra empoudré, Ferrara opère son dépassement de la philosophie par vampires interposés.Une étude de Jacques Aumont, consacrée à Leçon de ténèbres (Body Snatchers) , de Ferrara vient tout juste d'être publiée dans la revue Cinémathèque, n° 10. (Revue semestrielle d'esthétique et d'histoire du cinéma, éditée par la Cinémathèque française, 29, rue du Colisée, 75008 Paris) Un article est paru dans les Inrockuptibles de décembre : Une journée dans la vie d'Abel Ferrara et dans son univers dérangé... Abel Ferrara ne se cantonne pas simplement au cinéma. Il a en outre réalisé deux épisodes de Miami Vices (Deux flics à Miami) et le clip de California, une chanson de Mylène Farmer. Même si l'on n'apprécie pas la musique, l'image reste déroutante et fidèle à son style. Titre Original: Bad Lieutenant, 1992, Etats-Unis, couleur, 35mm, environ 90minutes. Avec: Harvey Keitel. Nominé au festival de Cannes 1992. Beaucoup de spectateurs ont comparé la violence des films de Tarantino (Tartantino !?) à celle des films de Ferrara ! Sacrilège... A croire que certains n'ouvrent les yeux que pour regarder la violence du microcosme cathodique, cette violence dont Pradel nous parle comme d'un fléau. Cette violence commerciale par laquelle "Tartantino" est devenu le soit disant "emblème d'une génération"... Mais cette génération, dont je fais partie, ne revendique pas le "tarantinisme". Pulp Fiction est le meilleur exemple de la violence commerciale. Ferrara lui, a compris, il ne vante pas la violence par la violence; il nous parle, nous décrit la violence comme catharsis et non comme médium du vaniteux dollar de l'Uncle Sam. Comment oser comparer un seul plan de Tarantino avec les tableaux que nous projette Ferrara, un seul scénario de l'auteur de Natural Born Killer avec les poèmes que sont The Addiction ou encore le récent The Funeral. Tarantino (Tartantino ?!) se vautre dans le scabreux et la facilité, là où Ferrara nous offre un prélude malsain à la contemplation du Bien et du Mal. Tarantino ne connaît qu'une seule moconnaitrale, celle d'Hollywood : "l'argent et la gloire"... Ferrara ne moralise pas, il dépeint la décadence d'un officier de police (dont la devise est Servir et protéger), qui, lentement, va se superposer au déclin de l'Amérique malade et rongée de l'intérieur. Tarantino ne conçoit de l'Amérique que la puissance et l'égocentrisme. Ferrara nous lance à la figure une oeuvre chaotique, pamphlétaire, inspirée de Nietzsche et des auteurs décadents de la Beat Generation comme Burroughs ou Ginsberg, parfois même marquée par l'absurdité du catholicisme; comme la scène finale de Bad Lieutenant où apparaît le Christ rédempteur, et face auquel Keitel ne trouve pas d'autre mot que "Fuck". Quand "Tartantino" se contemple dans la presse hollywoodienne, Ferrara se rallie au symbolisme de Fassbinder et de Godard (qu'il site en référence comme ses maîtres!). On peut maintenant se poser la question: "Quel camp Harvey Keitel a-t-il choisi de rejoindre ?" L'acteur de Pulp Fiction, Reservoir Dogs, mais aussi (et surtout) de Bad Lieutenant et de Snake Eyes, serait-il suffisamment "amphibie" pour supporter les deux ? Titre original : The Addiction (1995), Etats-Unis, Film de vampires, noir & blanc, environ 90 minutes. Avec Christopher Walken, Lili Taylor, Annabella Sciorra. Grand Prix du Festival du film de Sundance. Pour écrire le scénario de The Addiction, Abel Ferrara s'est inspiré de philosophes comme Friedrich Nietzsche ou encore Heiddeger. Il remet en question les valeurs de bien et de mal dans notre société, et s'interroge sur la valeur de la nature humaine. Pour cela il choisit de transformer Lili Taylor, jusqu'alors une simple étudiante en philosophie, en une vampire assoiffée de sang. La médiation de ses symptômes vampiristiques se fait grâce à une femme, Annabella Sciorra, qui un soir l'agresse et la mord au cou. Dès lors Taylor commence une lente et pénible descente aux enfers (la référence à Dante est explicite), elle apprend à connaître ses pulsions, et à maîtriser sa soif de sang. Elle entraîne son professeur de philo chez elle et le mord au cou. Plus tard, après la remise des diplômes, elle organise une fête chez elle où elle regroupe tous ses amis vampires et d'autres illustres personnages. Mais la fête est en réalité une embuscade pour se nourrir des autres invités non vampires. Ferrara filme cette scène comme une scène de viol collectif, caméra portée... Taylor ne parvient pas à accepter sa différence et tente de se suicider. Elle rencontre alors Christopher Walken, lui aussi un vampire, qui va lui apprendre à survivre en état de manque. Il incarne un personnage mystique qui fait sans cesse référence à Nietzsche ou Dante. Il lui apprend qu'elle est immortelle et qu'elle doit savoir restreindre son addiction. Elle se sent complètement envahie par le "mal" et tente une nouvelle fois de se suicider. Elle se réveille à l'hôpital, elle demande à l'infirmière de la tuer mais elle dit qu'elle ne doit pas vouloir mourir. Au dessus de sa tête est placé un crucifix, elle le regarde, la lumière qui passe au travers des stores vénitiens glisse lentement vers elle, elle parle à Dieu et lui demande de la tuer. Mais au moment où la lumière va la pénêtrer (symbole de la main salvatrice de Dieu) Annabella Sciorra baisse les stores. Taylor la supplie de la laisser mourir mais elle refuse. Le film se clôt sur Christopher Walken citant une phrase de Friedrich Nietzsche issue de Par delà le Bien et le Mal" : Titre original: The Funeral, 1996, Etats-Unis, drame, couleur, 35mm, environ 90 minutes. Avec Christopher Walken, Annabella Sciorra, Isabella Rossellini, Chris Pen, Vincent Gallo.Le film s'ouvre sur une chanson de Billie Holliday et avec, à l'écran, l'arrivée d'un corbillard. Les croque-morts sortent un cercueil de la voiture et le rentrent dans une maison, transformée en chapelle ardente... Ferrara nous plonge dans la vie d'une famille italienne mafieuse, dans le New York des années trente. La famille se réunit à la suite de la mort de Johnny (Vincent Gallo), tué lors d'un règlement de comptes. Ses frères, Ray (Christopher Walken) et Cesarino (Chris Penn), s'attristent de la mort de leur frère et préparent déjà leur vengeance. Bien au delà d'une simple histoire de vengeance, Ferrara nous décrit la violence des relations humaines, entre frères, entre amants, entre amis... La violence de ce film est bien loin de celle de Tarantino ou d'Oliver Stone, qui s'adonnent à une violence commerciale qui séduit le grand public. Ferrara nous montre, comme une suite à The Addiction, une violence humaine, un besoin (souvent masculin) de se libérer par la violence. On peut même interpréter la folie de Cesarino par un symbole de la perte de ses moyens et de l'expression de la violence comme parade. Mais le film ne se cantonne pas dans la violence physique. Elle n'est pas traduite à l'écran que par des jets d'hémoglobine ou des fusillades. Le monologue d'Annabella Sciorra est un parfait exemple de la violence intérieure d'une femme qui parle de sa vie, des études qu'elle a faites, de ce qu'elle a manqué... Là encore Ferrara fait preuve d'un incontestable talent à diriger des acteurs. Il ne bâtit pas son film sur la virtuosité technique ou sur les mouvements de caméra, mais sur un scénario puissant (écrit par Nicholas St John) et sur des acteurs qu'il dirige à merveille et avec lesquels il se sent en symbiose. Ferrara nous prouve une fois de plus qu'il est le réalisateur le plus controversé de sa génération. En ayant réalisé The Funeral, il signe un chef d'oeuvre sur la vie et la violence, et nous laisse sans voix devant une scène finale aussi surprenante que fascinante. Titre original : Body Snatchers (1993), Etats-Unis, couleurs, 35mm. Budget environ $10 millions. Ferrara accepte la proposition qui lui était faite par la MGM, et réalise ce film de commande en le transformant en un magnifique pamphlet. Ce qui à l'origine ne devait être qu'un banal film de Science-fiction, devient un prétexte à des images flamboyantes, et il nous propose en filigrane un discours sur l'holocauste et la condition humaine. Ferrara s'imspire du film de Stanley Kubrick , 2001 l'Odyssée de l'espace pour traiter en images un aspect inattendu de la vie extraterrestre. Le générique s'ouvre sur des explosions dans l'espace, qui nous rappellent le mur de lumière du film de Kubrick. De même que le "foetus astral" nous renvoie au "starchild", l'enfant-étoile qui se profilait dans l'espace sur fond de planète Terre à la fin de 2001. A première vue, l'histoire de Body Snatchers paraît bien classique, sur un thème déjà abordé dans les années cinquante : la conquête du monde par une entité extraterrestre. Mais ici, elle est traitée par Ferrara avec plus de majestuosité qu'autrefois. Dans une base militaire, une jeune adolescente s'ennuie. Elle lie connaisance avec la fille du colonel qui va la traîner dans les bars, et lui faire rencontrer un garcon dont elle tombe amoureuse. Jusque là, tout paraît normal. Mais, un soir, la base est lentement envahie par une forme de vie gélatineuse qui prend la forme de sa victime. Des centaines de GI's sont contaminés, et deviennent des sortes de mutants capable de se reconnaître les uns les autres, en dépit de la nouvelle forme, humaine, qu'ils ont prise. Ferrara rompt avec le traditionnel Happy end du cinéma américain, et abandonne le spectateur sur cette phrase : "personne ne les croira". Ici encore, on retrouve une similitude avec Kubrick, et le célèbre dénouement ouvert de 2001. Ferrara nous jette cette formule au visage, comme si l'humanité était coupable de son incrédulité et de son obstination à vouloir toujours considérer qu'elle est summum de l'intelligence dans l'univers.

Comments:
J'essaie d'imaginer une fête avec Ferrara et Argento. Bienvenue à Zombieland!
 
Faudrait un Philippe M à langue de teckel pour mettre l'ambiance...
 
comma ça ils pourraient faire un film sur la vie de Philippe M.
 
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