vendredi, décembre 09, 2005

 

Osamu Tezuka.

Né le 3 novembre 1928 à Toyonaka, dans la préfecture d’Osaka, Osamu Tezuka n’est pas le pionnier de la bande dessinée japonaise, titre revenant de droit à Rakuten Kitazawa (1876-1955), mais il est celui dont le coup de crayon et les coups de génie ont, sitôt après la guerre, donné à l’industrie du manga ses nouvelles fondations, celui dans lequel plusieurs générations ont reconnu leur maître. Ses travaux ont bercé des auteurs comme Hayao Miyazaki et Katsuhiro Otomo, tous deux reconnaissant que se sont les mangas d’Osamu Tezuka qui leur ont transmis l’envie de conter et la vocation artistique. "J’ai toujours eu la plus grande admiration pour les mangas d’Osamu Tezuka. Sa rigueur et sa force créatrice m’ont beaucoup diverti et impressionné aussi. Ses travaux demeurèrent longtemps ma référence absolue". Hayao Miyazaki. Artiste fécond, Tezuka a laissé une oeuvre défiant le recensement, sans doute la plus vaste du monde. Dans chacune de ses planches éclate un talent débonnaire et généreux, celui d’un homme simple s’amusant en dessinant, laissant courir au fil de la plume son imagination et sa culture débordante. La générosité de Tezuka était celle d’un agitateur et d’un humaniste soucieux d’exprimer sous mille travestissements une même idée : "Aimez-vous les uns les autres. Aimez toutes les créatures. Aimez tout ce qui est vivant". Au cours de sa carrière, Tezuka va adapter, réinventer et rendre de vibrants hommages à des mythes cinématographiques et littéraires aussi divers que King Kong, Pinocchio, Le Tour du Monde en 80 Jours, Blanche Neige ou Crime et Châtiment de Dostoïevsky... Pourtant, l’oeuvre de Tezuka demeure infiniment personnelle. Elle adopte souvent des allures de méditation sur la nature de la destinée humaine. La sincérité des messages véhiculés va frapper énormément d’artistes à travers le monde, qui n’auront de cesse d’exprimer à Tezuka leur admiration, leur reconnaissance. Face à l’adversité, à la faillite ou à la maladie, Tezuka a toujours su, sans se renier, hisser de plusieurs crans ses ambitions narratives déjà élevées. Quand les critiques pensaient que son talent s’essoufflait, il leur a systématiquement répondu en enfantant une oeuvre servant aujourd’hui encore de phare pour les jeunes générations. "Le monde indifférent dans lequel nous vivons, devient, grâce à la contribution de l'amour et de l'art, plus heureux et plus généreux. Osamu Tezuka est un artiste qui déborde d'amour, dont les films d'animation, de la première à la dernière image, respirent la bonté. Nous l'avons perdu. Mais nous pouvons toujours sentir dans notre cœur sa fougue, sa passion et sa générosité, car son art est vivant. Nous devons regarder ses films. Nos enfants doivent les regarder. Les enfants de nos enfants devront les regarder. Pour rencontrer le grand maître, l'homme remarquable qu'est Tezuka Osamu, et pour être heureux". d’Edward Nazarov. On trouve peu d'exemples dans l’univers de la bande dessinée et du cinéma d’animation d’un auteur parvenu au sommet de la popularité et qui, loin de se contenter de gérer à satiété les mêmes personnages, se soit constamment fixé de nouveaux objectifs. Curieux, avide de s’essayer à toutes les aventures artistiques, Tezuka aborda tous les genres, du drame classique à la science fiction la plus débridée, avec un bonheur et un égal succès. Le plus surprenant, pour un lecteur européen, est qu’il parvienne à faire rire ou pleurer, réfléchir ou divertir, en conservant exactement le même coup de crayon, un style convivial, moelleux et rebondi ! Considéré dans son pays et de son vivant comme le "Dieu des mangas", en atteste le gigantesque musée construit à son oeuvre (elle aussi immense) et à sa gloire, Tezuka demeurera à jamais un grand auteur populaire, un homme ayant influencé de manière décisive la destinée d’un art (l’animation), d’une industrie (les mangas) et d’une culture (celle du Japon). "Si on admire son inépuisable capacité à inventer et son savoir-faire, on est parfois moins enclin à reconnaître au premier coup d’oeil une profondeur thématique, ni des ambitions véritablement artistiques à l’oeuvre de Tezuka. Bien sûr, on a tort. Un film sans image n'est plus le même film. L'art du cinéma d'animation sans Tezuka Osamu n'est plus le même art". Bruno Bozzetto. La vocation d’Osamu Tezuka se dessina sur les bancs de l’école primaire (1935) lorsque, moqué par ses petits camarades à cause de ses cheveux bouclés, il gagna leur respect en reproduisant fidèlement Norakuro et Fuku-Chan, deux célèbres héros de comics strip. Le père d’Osamu Tezuka, Yutaka, étant un grand fan de mangas, la bibliothèque familiale était donc remplie de modèles utiles à un artiste en herbe. Agé de dix et habitant dans la région de Takarazuka, le petit Osamu fut abonnée par sa maman au planétarium et au théâtre local. Se distinguant du Nô et du Kabuki, le théâtre Takarazuka se rapproche de l’opérette, tous les rôles étant interprétés par des femmes. Cette forme d’art eut sur Tezuka un énorme impact. Le jeune garçon commença d’ailleurs très tôt à croquer des pièces qu’il transforma en mangas dans ses cahiers de brouillon. Un autre tournant dans la vie du petit Osamu fut l’achat par son père d’un projecteur de films. Les bobines des courts et des longs-métrages de Walt Disney et de Charlie Chaplin s’entassant à la maison, il est impossible de savoir combien de fois Osamu a visionné ses classiques. Par contre, l’influence de ses films et l’amour de Tezuka pour le cinéma sont indubitables (il fut aussi un grand fan du cinéma britannique et hollywoodien), comme en attestera ses oeuvres à venir. Deux ans après l’entrée en guerre du Japon (1943), Tezuka doit accomplir son service militaire. Mais il est envoyé dans un camp d’entraînement spécial, et non sur un champ de bataille, en raison de sa forte déficience oculaire. Là-bas, il contracte une mycose maligne risquant de mener à l’amputation de ses deux bras. Tezuka est sauvé grâce à la compétence d’un médecin militaire zélé. Impressionné par le sang-froid et l’abnégation du praticien, il décide d’épouser la même vocation. Entrant à l’université de médecine à l’âge de 16 ans, Tezuka est enrôlé pour soutenir l’effort de guerre en travaillant comme manutentionnaire dans une usine fabriquant des munitions. Lors de chaque pose, entre chaque cours et pendant une grande partie de la nuit, Tezuka continue à dessiner des mangas. Il prend alors l’habitude de dormir seulement quatre heures. C’est d’ailleurs au cours d’un raid nocturne qu’il entra dans un cinéma pour voir le film d’animation Momotaro, dieu soldat des océans (Mitsuyo Seo), une fable, entre allégorie et oeuvre de propagande, décrivant les conditions de vie des marins japonais pendant la guerre. Suite à cette projection, germa dans l’esprit de Tezuka la volonté inébranlable de produire avant la fin de sa vie au moins un film d’animation tiré d’un manga. A la fin de la guerre, les forces d’occupation alliées investissent Takarazuka. Un jour, un soldat américain saoul aborda Tezuka. Ce dernier ne comprenant pas un mot d’anglais resta muet. Enervé, le militaire roua le jeune homme de coups. Cet incident où la violence fut engendrée par une déficience du processus de communication resta gravé dans le coeur de Tezuka, et devint l’un des thèmes récurrents de son œuvre. En 1946 Tezuka a déjà dessiné plus de 3000 pages de bédés. Etudiant brillant, il continue pourtant d’esquisser des mangas en classe, au point de décrocher à 17 ans une place de rédacteur permanent pour le quotidien Shôkokumin Shimbun (le journal du jeune citoyen), où il publia sa première bande dessinée professionnelle, Le Journal de Ma. L’année suivante, toujours parallèlement à son travail d’ouvrier et à ses études de médecine, Tezuka est pris d’une véritable fièvre créatrice. Il tire alors parti des procédés cinématographiques dont il s’est abondamment nourri : composition audacieuse, mise en images en vignettes donnant au lecteur des perspectives inédites, découpage hérité du story-board, développement rapide du récit, théâtralité augmentant l’impact des instants tragiques et traitement de sujets adultes non édulcorés... Le résultat produit se nomme La Nouvelle Ile au Trésor. Le volume se vend en quelques mois et dans un pays détruit où la population peine à trouver l’argent nécessaire pour se nourrir, à plus de 400.000 exemplaires, soit dix fois plus que tout autre succès de librairie. Caractéristiques essentielles de la patte de Tezuka, le mélange des registres, le métissage des cultures et des mythologies du monde entier donnent ici naissance à un cocktail explosif. Tezuka est alors sollicité de toute part, il devient une publicité vivante pour les magazines pré-publiant des mangas, mais n’abandonne pas ses études de médecine et réalise un nouveau rêve en décrochant un poste de critique de cinéma (il écrira des articles sur le sujet jusqu’à la fin de sa vie). Bien que son style graphique soit vivement blâmé par les ²anciens², l’artiste dessine près de 100 pages de bédés par mois, et son triomphe ne se dément pas. Puisant à satiété dans sa très riche culture cinématographique, comme le prouve trois de ses premières oeuvres, Lost World, Metropolis et Le Monde à venir, Tezuka s’octroie logiquement dans l’histoire des mangas une place d’importance égale à celle de David Ward Griffith dans l’histoire du cinéma. Il introduit la notion de montage et de rythme dans la bédé japonaise ainsi qu’un certain nombre de techniques qu’Hollywood essaya de fixer dans les années 10 : adoption du gros plan, de l’angle de vue et du panoramique, changement libre de la distance de prise de vues entre deux vignettes... Tezuka utilise aussi ses personnages comme des acteurs. Avant de réaliser une bédé il ²cast² littéralement ses créatures, n’hésitant pas à faire réapparaître les mêmes têtes d’ouvrage en ouvrage dans des rôles complètement différents (processus qu’il nomma Star System, ou actor studio). Ces techniques finissent par être appréciées par tous les créateurs de sa génération, qui vont les adopter, changeant ainsi littéralement le visage des mangas japonais. A titre d’exemple isolé nous pouvons citer les fameux ²gros yeux², que Tezuka emprunta à Disney pour, comme lui, rendre ses personnages plus expressifs. Ainsi, un seul homme, pas encore âgé de 20 ans, a défini les standards de production et de qualité d’une industrie qui est aujourd’hui, et de loin, la plus importante du monde en terme de création d’images dessinées (8 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel pour plus de 2,5 milliards d’ouvrages imprimés par an). En 1950 Tezuka publie, entre autres travaux, le Roi Léo *1, l’une de ses oeuvres les plus populaires, qui est aujourd’hui encore l’emblème d’une célèbre équipe de base-ball et d’une grande compagnie ferroviaire. A l’âge de 24 ans il obtint son diplôme de médecin, qu’il validera définitivement 8 années plus tard en soutenant une thèse sur ²la membrane des spermatozoïdes atteints de malformations². Tezuka est alors au fait de sa gloire. Son manga Le Chevalier au Ruban (publié de 1953 à 1956), plus connu en France sous le nom de Princesse Sapphire, établit de manière définitive les règles du shojo manga (bande dessinée pour filles dont le chiffre d’affaire annuel excédait en 2000 trois milliards d’euros !). L’engouement suscité par Princesse Sapphire fut tel que les idées véhiculées dans ce récit ont été recopiées par tous les auteurs désireux de travailler dans le domaine du shojo manga. Délaissant, une fois n’est pas coutume, la mise en image cinématographique, Tezuka adopta dans cette bédé l’esthétique et le rythme du théâtre Takarazuka. Se faisant, son ambition était d'injecter l'action et la vitalité caractéristiques des mangas pour garçons dans une bande dessinée pour filles. C’est ainsi que les grands yeux, les personnages témoins, le personnage mannequin, le thème de l’histoire d’amour romanesque transposée dans un lieu exotique, l’ambiguïté sexuelle et physique concernant l’identité du héros/héroïne, s’imposèrent instantanément en stéréotypes incontournables. Même le "macro" phénomène des "idoles" (starlettes poussant la chansonnette pour faire vendre des voitures ou de la pâté pour chiens) trouva un point de départ dans Princesse Sapphire. Bien sûr, le génie et l’abnégation de Tezuka finirent par faire de lui une cible privilégiée pour les quolibets. Cette situation eut de positif que tous les jeunes artistes rivalisèrent d’inventivité pour "abattre" le maître qui, compétiteur né, ne s’en laissa pas compter. Cette saine émulation favorisa énormément le développement de l’industrie du manga. Le revers de la médaille fut que le rythme de travail acharné (il a déjà écrit plus de cent volumes) et les fortes sommes d’argents gagnées par Tezuka ne correspondant pas à son niveau de vie très modeste, il fut accusé de mener une vie licencieuse. Le gouvernement censura même plusieurs de ses mangas sous des prétextes fallacieux , car il craignait que le pouvoir médiatique de l’auteur ne se transforme en force politique. En effet, durant toute sa carrière, Tezuka s’amusa à célébrer la vie, l’antimilitarisme, l’écologie et la nature. Par contraste, le scientisme, l’économisme et les déterminismes de toutes eaux furent systématiquement plongés dans les abîmes de perplexité du maître. Evidemment, l’ascétisme de Tezuka n’était pas la conséquence d’actes honteux ou d’ambitions machiavéliques. En fait, il économisait d’énormes sommes d’argent pour être en mesure de réaliser une utopie : monter un studio indépendant d’animation afin de donner un écho animé à ses rêves d’encre et de papier. Aussi, dès 1958, et parallèlement à toutes ses autres activités, Tezuka travailla avec la Toeï sur différents projets, notamment comme scénariste. Finalement, un de ses mangas, Saiyuki fit l’objet d’une adaptation cinématographique. Ce conte inspiré par la légende du singe Sun Wukong sera diffusé aux USA dans une version tronquée (déjà !), l’année même de sa sortie au Japon (1960). D’autre part, cette collaboration avec la Toeï fut le lieu de nombreuses divergences d'opinion (artistiques notamment), qui confortèrent Tezuka dans son souhait de fonder son propre studio. Mushi Productions naquit en 1961. Au départ, le staff de Mushi Productions n’est composé que de six personnes, qui ont réalisé l’essentiel du premier film du studio, un court-métrage de 38 minutes nommé "Les Histoires du Coin de la Rue". Cette oeuvre au caractère social déjà bien trempé décrit de croustillantes tranches de la vie dans un Japon à l'aube de la période industrielle. Il est à noter que ce film, bien que racontant la vie de plusieurs individus, ne représente à aucun moment les personnages dont le narrateur évoque l'existence. Le succès fut immédiat, et Mushi Productions draina et forma alors un grand nombre de jeunes talents, parmi lesquels un certain Rintarô (Metropolis)... Si le premier programme animé diffusé à la télé au Japon fut Manga Calendar (1962), 52 épisodes éducatifs d’une durée souvent inférieure à 5 minutes, c’est Astro Boy *2 d’Osamu Tezuka qui mérite le titre de première série d’animation japonaise. Diffusé sur Fuji Télé à partir du 1er janvier 1963, le serial "indépendant" obtint immédiatement un immense succès et brisa le tabou concernant l’impossibilité de réaliser un épisode animé de 30 minutes par semaine. Les grands studios ne devaient pas tarder à s’immiscer dans la brèche en adoptant exactement les mêmes procédés que ceux inventés par Tezuka. Le maître venait de poser les jalons de l’industrie de l’animation japonaise. Ces derniers n’ont toujours pas changé, à peine évolué (narration par le montage et le plan plus que par le mouvement caricaturé -école Disney-, psychologie des personnages dominant l’action, prépondérance des dialogues et de la musique pour conférer du rythme au récit). "J’aimerais énormément réaliser un film sur un sujet aussi novateur qu’Astro Boy. Des séries comme celle-ci et Le Roi Léo sont formidables. Tezuka est un grand créateur, un grand cinéaste, il faudrait qu’un jour nous puissions travailler sur un projet commun. Je suis certain que le résultat serait formidable". Walt Disney. Déjà impressionné par les mangas de Tezuka, Stanley Kubrick décida suite à la vision d’Astro Boy (diffusé sur la NBC dès 1964) de commander plusieurs centaines de croquis à l’artiste pour 2001, l’Odyssée de l’Espace. Ignorant qu’il s’adressait au Dieu vivant des mangas, un sculpteur d’âme virtuose, Kubrick fit preuve de son habituelle "tyrannie". Tezuka mit donc officiellement un terme à son association avec le cinéaste en 1965, refusant mordicus de subir ses légendaires sautes d’humeur. Quant à lui, Kubrick garda un souvenir ému d’Astro Boy et un œil sur l’évolution de l’animation nippone, ne protestant même pas lorsque Tezuka digéra une partie des fruits de leur collaboration dans le fameux long-métrage Phoenix 2772 (1980). D’ailleurs, le script de 80 pages de A.I. dont hérita Steven Spielberg à la mort de Stanley Kubrick fourmillait de références (encore visibles dans la version finale du film) à l’oeuvre de Tezuka. N’oublions pas que dix ans avant la publication de la nouvelle de Brian Aldiss, Astro le petit Robot était déjà un récit d’anticipation décrivant une ère où la technologie domine le monde. Le héros, Astro, fut le premier croisement entre Peter Pan et Pinocchio, un androïde en quête de ses origines, d’une famille et d’humanité... D’autre part, c’est avec Astro que le thème du robot acquit ses lettres de noblesse dans l’animation japonaise. La descendance du petit robot est aujourd’hui innombrable. En 1965, Tezuka réalisa la première série d’animation japonaise en couleurs : Le Roi Léo. Des années plus tard, les studios Disney tentèrent vainement d’en racheter les droits. Finalement, Le Roi Lion (le plus gros succès de la firme américaine) plagia sans vergogne les figures majeures et des scènes entières de la série de Tezuka. Evidemment, la politique de Disney fut de nier en bloque toute influence. Or, cette défense paraît dérisoire quand on sait que la série japonaise eut aux USA un impact comparable à celui de Goldorak en France (le show fut renommé : Kimba the White Lion, le héros du long-métrage de Disney s’appelle Simba). Après la sortie de l’adaptation du Roi Léo sur grand écran, la Mushi produisit Pictures at an Exposition. Ces sketchs musicaux, souvent comparés à juste titre au Fantasia de Walt Disney, n’étaient en fait qu’un prétexte utilisé par Tezuka pour mettre en scène 10 épisodes satiriques, métaphores et pamphlets s’attaquant à la folie des hommes. Ce film demeure l’un des chef-d'œuvre de Tezuka et de l’histoire du septième art. "Monsieur Tezuka était de ceux dont le destin est de nous montrer le chemin. Il était extraordinairement altruiste et talentueux. La valeur d’un film comme Paintings at an exposition est inestimable. Monsieur Tezuka, du fond du cœur, je veux vous dire : merci". René Laloux. Toujours avide d’expérimentation, Tezuka engagea en 1968 le pari risqué de faire coexister des acteurs "live" et des "toon" dans la même série : Vampire. Mais la greffe ne fut pas vraiment une réussite. En 1969, après avoir été contraint d’encore augmenter sa production de mangas pour éponger les dettes contractées par ses dessins animés (la concurrence étant féroce), Tezuka trouva la force d’innover en proposant aux spectateurs le premier long-métrage d’animation nippon érotique : Les 1001 Nuits. Le public fit un triomphe au film. Malheureusement, même une autre fiction historique et coquine, Cléopatra, ne suffit pas à sauver Mushi de la banqueroute. Tezuka était un artiste ubiquiste, malheureux lorsqu’il menait moins de trois projets de front. Mais en contrepartie de son génie, Tezuka était aussi un très mauvais gestionnaire, un comptable pitoyable et un homme d’affaire au mieux médiocre. Sa vie, son oeuvre, étaient dédiées à la création, pas à la gestion. Accablé par des problèmes d’ordre financier, Tezuka commença donc à imaginer des fictions de plus en plus noires, reflets de son état d’esprit et de la mauvaise santé de sa société. Cependant, bien que cela aurait pu le sauver, en conteur né, Tezuka refusa de lénifier ses propos, de se laisser racheter ou de réduire sa productivité. Pour prouver que ses ambitions demeureraient à jamais inchangées, Tezuka publia en 1972 son adaptation de la vie de Bouddha *1. Au-delà de la fidélité au mythe original, l’artiste livra une bédé d’une portée philosophique inédite. Cette saga épique et picaresque est l’aboutissement du style graphique de son auteur. La souplesse du trait, la rondeur des personnages et le dynamisme des mouvements sont ici parfaitement maîtrisés. 1973 fut pour Osamu Tezuka une année des plus sombres, de celles qui marquent les grands artistes jusque dans leur chair. Certains en meurent, d’autres en sortent plus fort ! Cette année là, la faillite contraint le Dieu des mangas à vendre Mushi Productions. Rien d’étonnant donc, si, quelques mois après l’annonce de la funeste nouvelle, le maître prêta vie à un (anti)héros manquant de couleurs. Black Jack portait le Deuil de Mushi, il était l’exact reflet des états d’âme de son créateur, voire un autoportrait mélancolique et désabusé de Tezuka, le médecin égaré qui devint mangaka et n’exerça jamais son métier véritable et respectable. Black Jack (Tezuka) est un médecin (artiste) génial qui a décidé d’exercer son art sans se soumettre aux lois théoriques et figées imposées par les grands pontes de sa corporation (les dirigeants de la Toeï). Médecin hors-la-loi (réalisateur indépendant), sa condition le pousse à assumer pleinement les conséquences de ses actes (la mort de la Mushi). A l’hypocrisie (la censure), il préfère l’action (le dessin). Il opère, littéralement, sans licence (sans studio). Il ne se lasse jamais d’explorer la corruption du monde médical (de l’animation), et de la société en général, pour mieux en extraire les merveilles. Il demande des sommes astronomiques pour sauver la vie de ses patients (produire des films d’animation et faire rêver les gens). Pourtant, il reste profondément simple, généreux et humaniste. S’il pouvait faire profiter gratuitement l’humanité entière de ses talents, nul doute qu’il en ferait don. Toutefois, le personnage n’est pas dupe, il sait que le monde dans lequel il vit ne récompense pas les utopistes, mais il ne se décourage pas (Tezuka fonde un nouveau studio en 1977), car c’est la pire des censures. Black Jack *1 est la preuve qu’il est toujours possible de raconter de belles histoires sur la vie, même si cette dernière est, comme les mangas du maître, plus noire que blanche. En 1977, la maison d’édition Kodansha publia la première anthologie complète des oeuvres de Tezuka. Il s’agit d’une collection de 300 ouvrages de plus de 300 pages chacun ! Déjà à l’époque, les travaux de Tezuka composaient, de très loin, la première oeuvre dessinée du monde et faisait officiellement partie du patrimoine national japonais. En 1980, la nouvelle société de production de Tezuka frôla la banqueroute suite à la réalisation d’un luxueux film d’animation (122 minutes) adaptant l’un des chapitres les plus célèbres de son manga, Phénix *1. Les épisodes de cette oeuvre fleuve sont tous situés à des époques différentes. Dans chacun d’eux un personnage part à la recherche du mythique volatile réputé impossible à capturer (comme toutes les utopies). Malgré la diversité des intrigues, Tezuka délivra une leçon unique : le bonheur de l’homme n’est pas dans l’immortalité. Se découvrir une raison de vivre, tout est là ! La qualité de vie importe plus que la durée. A quoi s’ajoute l’idée que tous les êtres vivants sont égaux, que la vie est une valeur en soi, aussi respectable chez les insectes que chez les hommes. Enfin, dans Phénix, Tezuka ébaucha et augmenta tous les thèmes classique du cinéma d’anticipation, au point que des oeuvres comme Ghost in the Shell, A.I. et Abyss sont presque entièrement contenues dans ce manga. Agé de 55 ans, après une vie entière dédiée au travail, la santé de Tezuka déclina. Il fit d’ailleurs un premier séjour à l’hôpital dès 1984. Mais, conformément à la tradition, les médecins nippons lui cachèrent (ainsi qu’à sa famille) la gravité de son état, même si on peut supposer que le vieux sage ne fut pas dupe. Fidèle à sa réputation, Tezuka transforma l’adversité en une formidable énergie lui permettant d’écrire l’une de ses mangas les plus célèbres : L’Histoire des trois Adolfs *1. Dans la carrière du mangaka humaniste ayant dénoncé tous les totalitarismes, cette oeuvre apparaît comme un exorcisme nécessaire. Sans détour, ni emphase, l’artiste lance un regard éclairé sur les préjugés, les engagements idéologiques et militaires des hommes pendant le seconde guerre mondiale. Il dévoile ses convictions profondes en évitant tout sectarisme, mais se pose en juge implacable de l’histoire : celle d’un Japon profondément xénophobe et expansionniste qui, il y a 60 ans, choisit de continuer à rêver à un improbable mariage de raison fondé sur une réciprocité d’intérêt entre le nazisme et la tradition. En 1988, le cancer d’Osamu Tezuka atteint son stade terminal. Une nouvelle fois l’artiste parvint à puiser la force nécessaire pour continuer son oeuvre. L’auteur entama alors avec la bénédiction du Vatican une adaptation animée de la Bible, ainsi qu’une biographie (en manga) de Ludwig Van Beethoven... En janvier 1989 Osamu Tezuka emporta son matériel de dessin jusque dans sa chambre d’hôpital. Il continua de respecter les échéances imposées par ses éditeurs jusqu’à ce que le 9 février 1989, Dieu invite l’artiste à venir faire rêver les anges."Nous regrettons la mort de ce génie qui nous a quittés trop tôt. Si Mozart ne s'était pas éteint aussi jeune, combien de monuments musicaux aurait-il encore érigé ? De même, combien de films d'animation réalisés par Tezuka auraient-ils fait notre bonheur ? Mais n'oublions pas que comme Mozart, Tezuka a réalisé un très grand nombre chef-d'œuvres. C'est là notre plus grand réconfort". Raoul Servais*1 : ouvrage actuellement disponible en librairie en version française.*2 : ouvrage actuellement disponible en librairie en version française. Le manga d’Astro Boy fut populaire au point qu’avant même l’adaptation télévisée d’Osamu Tezuka, la bande dessinée fut portée au cinéma avec des acteurs de chairs et d’os dans les rôles principaux. Lors de sa diffusion aux USA, aucun auteur japonais n’était crédité au générique d’Astro Boy. Cette pratique généra une ambiguïté malsaine qui aura la vie dure."

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