jeudi, décembre 08, 2005
Total.Tekno.Collective
Rencontré tout le posse Kourtrajme : Teki latex, Fuzati et Cie. TTC pas du rap mais une entité étrange sur des cascades electro. Quand, en 2000, James Delleck et Tekilatex conviaient une ribambelle d’artistes loufoques à partouzer sur une K7 (L’Antre De La Folie), on était encore loin d’imaginer ce qui allait se passer. Alors que le rap français s’assoupissait tranquillement, entre recopiage, misérabilisme et "représentation" (vous savez, cette fâcheuse manie de donner son code postal à chaque intervention...), un projet confidentiel allait ouvrir la scène à de nouveaux porte-drapeaux opportunistes, désinhibés et talentueux.Loin des poncifs qui étaient venus, années après années, contaminer le rap, mais avec la même sincérité que celle affichée et défendue par les "pionniers" du "mouvement" (le smurf, le Globo, tout ça…), TTC, le Klub Des Loosers, La Caution, James Delleck et leurs amis et filleuls – bercés par NWA, Cindy Lauper, Daniel Balavoine et le Juice Crew et encouragés par les nouveaux indépendants du Rap nord-américain – s’imposèrent rapidement en missionnaires de la dernière chance, en secouristes ultimes d’un rap hexagonal en dernière phase de décomposition. Heureusement pour nous (et pour eux, du coup), L’Antre De La Folie n’était qu’un apettizer. Dans la foulée, suivront un EP prometteur de James Delleck (Acouphène), une poignée d’apparitions parfois presque révolutionnaires des parrains TTC et Asphalte Hurlante, premier véritable plat de résistance. Opus annonciateur, disque-transition idéal (entre rap de rue érudit et musique du futur, imbibée de gazole), le premier album de La Caution, chef de file de la structure Kerozen, se voulait un ultimatum, une dernière leçon de savoir-faire adressée à toute une scène déjà fainéante et rabougrie. Devant une oisiveté persistante, les trois de TTC emboîtent le pas. D’abord, en offrant trois successeurs de poids au maxi 'Game Over'/'Trop Frais' ; puis, en parachutant un premier long format dévastateur et dadaïste (Ceci N’est Pas Un Disque), cristallisant une inventivité à toute épreuve, une farouche envie d’ébranler et une complémentarité fabuleuse. S’y illustrent trois mc's hors normes et une palette de producteurs égorgeurs au premier rang desquels la paire Tacteel/Para One ("Baise Une Boucle"). «Dans quelques temps, tout le monde fera ce qu’on fait, attends simplement que tout le monde écoute, analyse et voit ce qu’on fait» Les laboratoires n’ont pas le temps d’être aérés que sort Cadavre Exquis, album réunion de La Caution, TTC et Saphir le Joaillier. Ce posse d’un nouveau genre, portant le soubresaut "gilliamien" de L’Armée des Douze livre un album providentiel, ponctué de punchlines surréalistes et produit de la meilleure des manières par une équipe de metteurs en son survoltés emmenée par un Nikkfurie (jeune diplômé en terrorisme sonique) au sommet de son art. L’anti-mc Fuzati, versaillais d’origine et dépressif d’adoption, devenu membre unique du Klub Des Loosers, recouvre d’une bile acide la dépouille vacillante du rap français avec son Baise Les Gens EP , hors d’œuvre idéal à un premier album tant attendu. Entre temps, La Caution se risque à l’exercice de la collaboration en acceptant l’invitation des électroniques de Château Flight (Crash Test), TTC se fait remixer par Diplo, Detroit Grand Pubahs et Octet, le jeune combo Hustla dépose un second opus on ne peut plus encourageant (Sonophrologie), Orgasmic découpe des chiches-kebabs (Est Secrètement Amoureux De Vous), Detect revisite la Westcoast Underground (Triple Threat) et Tacteel se fait courtiser par Lex records, petit frère du géant Warp. Rien que ça. En 2003, le même Tacteel (échappé du zoo ATK avec Cyanure) crée avec quelques amis (dont Tekilatex) une usine a hits undergrounds avec le label Institubes, attestant de l’ambition des protagonistes engagés dans cette lutte contre l’ennui rappologique. L’album de L’Atelier (Buffet Des Anciens Elèves) - assemblée de rappeurs malades aux rimes amphigouriques - essuie les plâtres avec la manière et une insolence démesurée, dépeçant le rap et célébrant la paire Fuckaloop comme le combo de concepteurs le plus excitant du moment, le flow élastique du Mc Cyanure et les punchlines sous Prozac de Fuzati. Para One y va de son projet solo et met en son un Beatdown EP prodigieux, qui augure du meilleur ; Delleck épouse Le Jouage (Hustla) pour une idylle kubrickienne (Gravité Zéro) ; Fuzati – quant à lui - se trompe de bouton et vomit un Femme De Fer EP indigeste et peu rassurant tandis que les imparables TTC s’associent aux deux de dDamage pour 'Trop Singe', tube simiesque et affichent de nouvelles prétentions en pondant Dans Le Club, bande-annonce alléchante d’un deuxième LP prévu pour le premier trimestre 2004. TTC, c'est les initiales de Tido, Tekilatex et Cuizinier : les trois MCs du groupe de hip hop le plus déjanté de la planète. Rappeurs autoparodiques, ils font leurs armes au sein de plusieurs collectifs comme "La Caution" et "L'armée des 12 singes", avant de produire en 1999 leur premier maxi intitulé "Game over 99 / Trop frais".L'année suivante, le trio signe "Leguman", un album anti-végétarien salué pour son humour. En 2002, il persévère dans l'absurde avec le nouvel opus "Ceci n'est pas un disque". Il faudra pourtant attendre deux ans de plus pour qu'il envahisse les ondes avec "Bâtards sensibles", 12 titres pour faire se marrer les dancefloors. TTC avait déjà à ses débuts tout ce qu'il fallait d'atypique pour susciter l'intérêt des amateurs de musique expérimentale. Leur première trace solide, l'autoproduction Game Over 99, single dévastateur associé au collectif Kerozen, chamboulait absolument toutes les bases du rap à la française: auto-dérision, humour loufoque, flows cartoonesques et sons électroniques, le tout s'assemblant de manière insolite mais avec une constante intelligence textuelle. Ninja tune n'allait pas laisser filer ces prodiges là, et ce fut une série d'excellents maxis qui s'ensuivirent sur le prestigieux sous-label Big Dada. Ceci N'Est Pas Un Disque, titre aussi délicat que magrittien, débute par un morceau funky et totalement fêlé qui annonce la couleur. Tido, Teki Latex et Cuizinier se partagent des lyrics complètement timbrés et jouissifs, affirmant leur rejet du rap conventionnel, sur une musique de leur comparse privilégié Flash Gordon. Suivent le tube dancefloor Je N'Arrive Pas A [Danser] et De Pauvres Riches, satire sociologique et hilarante décrivant avec assez de réalisme les tribulations de trois bourgeois désireux de se faire passer pour des racailles banlieusardes. Ce titre bénéficie d'ailleurs d'une production impeccable du soviétique Dj Vadim, toujours aussi attaché à aider ses voisins du Ninja Tune. On découvrira avec plaisir d'intéressants featurings, comme le mc alternatif Dose One sur le grave et percutant Pas D'Armure, mais aussi La Caution ou James Delleck, issus du crew de TTC et qui constituent véritablement le renouveau de la scène hip-hop nationale. Cette ribambelle de paroliers crachant allègrement sur la médiocrité du rap français, se pose brillamment sur des compositions rappelant autant le hip-hop de Company Flow que l'electronica de Plaid. Mais pour ceux qui penseraient que TTC n'aime pas le rap, le morceau Elémentaire, hommage métaphorique à cette musique venue du Bronx, vient remettre les pendules à l'heure sur un beat électrique et puissant concocté par Hi-Tekk. La voix gonflée à l'hélium de Teki Latex transporte le fun à son maximum, transcende la dramaturgie, parfois au détriment de la compréhension mais on ne s'en plaint que bien rarement. Point d'orgue de l'album, le grandiose Subway rappelle aux sceptiques que le trio TTC est capable d'écrire de véritables bijoux de poésie moderne. Cette description détaillée du métro parisien sur fond de hip-hop industriel provoque un sentiment presque mystique chez l'auditeur : l'interaction parfaite entre texte et musique n'est plus une utopie. Probablement l'un des meilleurs morceaux de rap français jamais produit, et dont les subtilités nécessitent plusieurs écoutes successives. Un hit qui aura beaucoup de mal à se démoder. A l'écoute de Ceci N'Est Pas Un Disque, on se rend compte qu'il existe de véritables artistes en France, ô surprise y compris dans le rap. A l'heure où tous les rappeurs hexagonaux choisissent la voie de la prostitution médiatique ou bien celle du rebelle grotesque, TTC se trace un chemin à part, celui de l'humour et de l'intelligence. Peut-être qu'un jour le hip-hop français guérira de sa constipation lamentable et produira de bons morceaux. En attendant, écoutons TTC tordre les faux mc's :« Si le hip-hop est malade tu n'es qu'une ambulance en panne ! »