jeudi, octobre 13, 2005
Bancal city, 1er étage.
Ma ville est mal foutue. Les rues trop étroites. Les fontaines ridiculement minuscules (où le bruit les voitures couvre le bruit de l’eau) ou alors boursouflées, dignes de Versailles (où le bruit de l’eau couvre celui des voitures). Les parkings au milieu des cafés. Pas d’arbres en centre-ville, pas d’ombre, Les places bétonnées ne laissent que peu d’espoirs de jeux aux gamins. Une piscine d’hiver high-tech (hum !) collée à une piscine d’été en ruine. Les ambitions démesurées de chantiers mal cadrés tuent la logique et le bon sens. L’administration part en sucette. Jean Christophe est derrière son bureau. Il gagne 1100 € par mois, il se dit c’est pas terrible mais j’ai quand même de la chance d’avoir trouvé du taf. C’est pas chose courante ces temps ci. D’ailleurs son supérieur hiérarchique ne manque pas de lui faire remarquer. Alors, derrière son guichet, il s’emmerde. Il tamponne, tamponne, relie, agrafe, souligne, trombone, stabylote, regarde les aiguilles de la grande horloge qui trône dans la salle commune. Il baille en attendant 17h30. Il se dit que demain il amènera l’équipe, comme ça le temps passera plus vite. Il envie Gyslaine, en arrêt maladie parce que youpi son poisson rouge est décédé d’une mort atroce. Ca fait trois semaines qu’elle est plus là et son arrêt est prolongé d’autant. Vous ne comprenez pas, c’est super dur de perdre un être cher. Des crétines à l’accueil répètent sans cesse, comme des perroquets, des phrases toutes faites qu’on leur a appris dans des séminaires de crétins. « En raison d’un mouvement de grève nos bureaux seront fermés toute la journée merci… » On ne prends plus aucun risque, tous les dossiers passent entre les mains de ralentisseurs de projets qui envoient vos courriers dans les profondeurs abyssales des méandres administratifs. On tire la chasse, quoi. Ils vous convoquent pour que vous refassiez votre demande car elle n’est pas conforme au règlement sur la mise en page de documents administratifs et vous convie à participer à une colloque sur la communication interne : supérieur-subordonné. Mais, réveillez-vous ! Merde ! Notre société crève des ces lenteurs administratives à la con. Remarquez à 1000 € par mois avec aucun espoir d’évolution de carrière, on ne va pas en plus leur demander de sourire…Alors je me casse la main tous les matins sur des poignées des bureaux. Absent s’adresser porte B. Ses collègues me disent qu’ils reviendront lundi, qu’ils sont en congés toute la semaine, et qu’il vaut mieux attendre son retour car eux ne sont absolument pas au courant de ce qu’il faut faire ni où sont rangés ces putains de dossiers…. Je m’appelle Damoon, j’ai trente ans et je suis saoulé par toutes ces conneries. Alors je me fais des films dans ma tête, ma collègue de bureau est ce que je la connais vraiment ? Je m’aperçois que non. En fait les collègues de boulot on est avec eux presque autant qu’avec sa femme et on connaît que très peu de choses sur eux. Sylvianne qui est tu réellement ? Ferait-elle partie de ces gens hors normes ? de ceux que la société qualifie de « déviants » ?. BDSM ? coprophilie ? urologie ? soumission ? domination ? Tous ces gens en marges ?. Toutes ces choses dont on ne parle pas, ces sexualités cachées, ces pratiques de portes cochères. Je serais curieux de voir ces cadres et magistrats se faire talquer le cul et changer les couches, pendant que des avocats et des ministres se font pisser dessus (dans le milieu SM, on appelle ça des douches dorées). Mais je n’arrive pas toujours pas à savoir pourquoi…..Je cherche à comprendre pourquoi et comment Brigitte, cadre supérieur, chargée de mission, mange ses excréments et prends du plaisir en se barbouillant de merde. J’aimerais savoir pourquoi Gilbert, magistrat respectable et respecté, ne peut jouir qu’attaché avec des électrodes plantés dans le sexe. Pourquoi ? Jusqu’où peut on aller ? Où sont les limites ? Où est la barrière ? J’apprécierais qu’un maître ou un esclave accepte une interview en radio. Je n’arrive pas à expliquer pourquoi ces pratiques me fascinent autant, comme je n’arrive pas à savoir pourquoi j’ai toujours ces regards plantés dans un coin de ma mémoire comme notamment celui de cette jeune héroïnomane rencontrée en 1997. J’étais embauché pour garder le camping de Municipal pendant le premier festival punk avec les P*****, je n’ai jamais autant distribué de coton hydrophile et d’alcool à 90° que ce week-end là. Cette fille avait quelque chose de troublant dans le regard, comme une barrière entre elle et moi qu’elle franchirait tous les soirs, toutes ces contrées inconnues qu’elle visitait et que je ne connaîtrait jamais…Il y avait de la magie en elle. Elle, si jeune et si fragile mais glacée dans son attitude, repoussante et terriblement envoûtante à la fois…Plus tard je l’ai sortie des toilettes inconsciente, une seringue dans le bras. Je cherche à comprendre comment des idées poussent à la désobéissance civile, à franchir le pas du passage à l’acte. Action directe et ces quatre jeunes qui voulaient changer la société, vite, et de manière irrémédiable. Je veux voir le monde tel qu’il est. Toucher de quoi il est fait. Voir la fange pour savourer la pureté. Comment peut-on grimper tout là-haut et descendre aussi bas. Pourquoi tous ces gamins n’ont qu’un seul rêve celui d’être célèbre et sont prêts à tout pour y arriver : le meilleur comme le pire. Trop souvent le pire. De la même manière je me demande comment des gamins de 16 ans trouvent la force de se faire sauter en plein marché de Bagdad, comment peut on cumuler autant de haine ou tant d’amour. Comment un homme comme Pablo Escobar peut-il être aussi aimé par la population locale ? Et comment à t-il pu se forger un tel empire ? Comment la Colombie peut-elle transpirer à ce point la transaction de poudre ? Comment peut-on encore arriver à dormir en sachant que l’on est responsable de l’overdose du gamin de 14 ans, qui finira par crever un matin sur un trottoir de Medellin ou raflé une nuit par une patrouille de la mort. Dégoût. Comprendre l’horreur. Je crois que je cherche la limite, le bout du bout, je veux tout savoir. Tout savoir des jerk off parties, tout connaître des Fistfuck pratiqués dans la pénombre de certaines backrooms. Je veux tout. Puis oublier. Certaines images ont pété mon innocence. J’envie ceux qui ne savent rien de tout ça. J’envie la naïveté de certains de mes proches. Finalement, si tu imagines le pire, dis toi qu’il existe déjà.