mardi, décembre 23, 2008

 

Le château des ombres recluses.

Un jour j'en ferais un film de cette histoire. "Une famille vit terrée depuis des mois sous la coupe d'un personnage trouble. Monflanquin, Bordeaux, envoyé spécial - C'est un fait divers inachevé. Une famille dont les secrets n'auraient pas dû sortir des encoignures et des tiroirs des beaux meubles. L'affaire se trame autour d'une jolie gentilhommière au portail clos. Par une fente, on aperçoit des fenêtres dont les volets intérieurs ne laissent pas passer la lumière. Une tanière ? La façade Nord, qui donne sur un petit vallon, n'a que quatre volets ouverts. Il y a une couronne de l'avent sur la porte close et une caméra tournée vers la cour intérieure, à côté d'un cyprès. Dans la cour, une Clio gris métallisée et poussiéreuse. On est à "Talade", dans le Lot-et-Garonne, près de Villeneuve-sur-Lot. Ombres. C'est un fait divers où, des victimes, on n'a que des échos. Et des lettres, des e-mails, une vidéo, des souvenirs de proches. Des ombres. Ils sont onze personnes d'une même famille, les V. Vieille famille protestante enracinée depuis des siècles, "gravures bordelaises, droit et rigoureux, avec des devoirs", selon leurs amis. Des châtelains, dans le coin. Ils ne répondent plus au téléphone. Ont rompu avec leurs proches. Renvoient les courriers. Sortent rarement. Ils sont onze, des adultes, mais aussi des plus jeunes de 18 à 90 ans. Et cela dure depuis plus de deux ans. Leurs proches, inquiets, ont quitté leur discrète réserve. Ils croient la famille piégée, veulent les aider à s'en "sortir". Sud-Ouest a tiré le premier, en septembre. Depuis, la bastide moyenâgeuse de Monflanquin n'a jamais vu autant de télés. Les amis se téléphonent, se perdent en conjectures, s'énervent. Ils s'inquiètent pour la santé physique des châtelains. Ils ont «grossi», témoin cette vidéo prise cet été. "A croire qu'ils bouffent que des patates", glisse une amie. Les femmes sont vêtues de robes démodées, ceinturées. On s'alerte pour leur patrimoine. Leurs comptes en banque ont été vidés, certains de leurs appartements vendus. Les meubles de leur château de Martel ont été saisis. Ils ne paient plus leurs impôts. On craint pour leur santé mentale. Eux se voient des "ennemis" qui les menacent, partout, des gens qui les suivent "avec des oreillettes". Ils se disent "en danger" permanent. En cause, les francs-maçons. Pathologie mentale extrêmement contagieuse ? Les proches louent les services d'un détective. Au centre de l'histoire, deux personnages principaux. Un frère et une soeur, la cinquantaine. Et un visiteur, le porteur de malheur. Le frère, c'est Charles-Henri. Un gynécologue bordelais, très impliqué dans la médecine privée, un temps sur la liste d'Alain Juppé, en position inéligible. Bon vivant et rondouillard, affable. D'un "bon contact" avec ses patientes. Charles-Henri a dévissé sa plaque en un week-end, en mars dernier, sans prévenir son associé. La soeur, c'est Ghislaine. Une femme de tête, énergique, organisatrice, dynamique. A la tête d'une école de formation de secrétaires parisienne pour jeunes filles de la bonne société ("la femme secrétaire") en attente de trouver un parti. Ghislaine dirige de main de maître, avec son mari Jean, pièce rapportée de la famille, un festival de musique en Guyenne. Elle a viré Jean, il y a plus de deux ans, en lui jetant un gant de jardinage, et épelant : "Voilà les signes maléfiques de ton réseau que j'ai trouvés dans notre jardin. Tu as une demi-heure pour faire tes bagages et quitter cette maison." Des phrases soufflées par "l'étranger". Il s'appelle X. Pour les proches, Ghislaine s'est entichée de lui. Peu à peu, il a pris place dans ses affaires. Elle l'a présenté à la famille. Ça paraît être le début de l'histoire. Ce X, aussi urbain qu'astucieux, se montre prévenant, à l'écoute, toujours prêt à donner un coup de main, a une solution à tous les problèmes. Conseils. Il se présente aussi comme un "espion chargé de mettre fin aux agissements des francs-maçons en Franc". X prodigue ses "conseils", propose des affaires. A Charles-Henri, le gynécologue : un audit (100 000 francs) pour son cabinet de gynécologue. A Jean, des ordinateurs (200 000 francs) pour l'entreprise dont il fait partie. Il sera salarié de l'école de Ghislaine. Il n'y aura point d'audit. Les ordinateurs, payés d'avance, n'arriveront jamais. L'école est aujourd'hui en cessation de paiement. Les ruptures avec les proches sont violentes, identiques, incohérentes. Ceux qui sont dehors ne parviennent plus à entrer en contact avec un père, une mère, des enfants. Une fille, qui vient de se marier, quitte son jeune époux et revient au château. La raison ? Sa mère, accuse le jeune marié de faire des "coucheries" avec son propre mari. Autres suspicions pour la famille d'Anne, une soeur morte il y a plusieurs années. Ses descendants ne sont plus "dignes" de faire partie de la famille. On les juge responsables de sa mort. Pour les amis, les punitions sont d'un autre acabit : "Tu participes à des messes noires, et à des partouzes, je sais. Tu ne mets plus les pieds ici», dit Charles-Henri à un ami. L'une se fait traiter de "salope". L'autre est insultée de longues minutes au téléphone. Lors de leurs dernières visites au château, les amis ont l'impression d'être "surveillés". A Paris, bien avant d'être recluse, Ghislaine ne voulait pas sortir. Elle se faisait livrer des pizzas, pour «échapper à un tueur à gages» payé par son mari. A chaque fois, reviennent les maîtresses, la pédophilie, les dangers extérieurs. L'angoisse est à géométrie variable. Ils sont cloîtrés, mais sortent. Tous les matins, en voiture, "pour aller chercher le pain", selon un voisin. "Surtout la nuit" d'après un autre. "Ce sont les jeunes, qui vont au cinéma." Un chasseur a rencontré un des frères de Ghislaine à une "soirée choucroute". Un autre a vu Ghislaine à La Poste, avec des lunettes noires. Ils font semblant de ne pas voir leurs anciennes relations. De multiples plaintes sont en cours. L'enquête préliminaire, qui semblait piétiner, devrait être confiée dans les jours qui viennent à la section financière du SRPJ de Toulouse, «dans un souci de cohérence», explique-t-on au parquet d'Agen, qui trouve qu'il faut dans cette affaire où tout semble "ténu, éparpillé", "retrouver du sang-froid". C'est un fait divers aux hypothèses ouvertes. Certains proches parlent d'une secte, dont X. tirerait les fils. Avant de s'exiler à Talade, Christine, épouse de Charles-Henri, a confié à son amie Marie-Hélène qu'il y avait derrière tout cela un "énorme secret de famille". Cet été, alors qu'ils étaient encore à Martel dans l'autre château, les plus jeunes jouaient au ping-pong, un adulte tondait la pelouse et Ghislaine sortait faire les courses. Les autres restaient dedans. Aujourd'hui, les portes sont fermées. Il y a du bruit. Un homme apparaît à une fenêtre, coiffé d'un masque de poussière. Il lance aux journalistes : "Cassez-vous !" Il dit qu'il va porter plainte. Il a des "consignes". C'est une histoire de famille. Et les clés y sont encore."

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