jeudi, juillet 20, 2006
Stereo/Crimes of the future.
Stereo est le premier film de sa filmographie que David Cronenberg considère comme réellement acceptable, réellement achevé. En effet, avant ce moyen-métrage, il a déjà dirigé deux courts aux ambiances fantastiques, en 16mm : Transfer en 1966, puis From the drain l'année suivante, dans la foulée de ses études. Toutefois, David Cronenberg, s'il était bien étudiant, avait appris le cinéma sur le tas, se documentant sur la technique en lisant des revues professionnelles telles que American Cinematographer. En effet, à Toronto, aucune école n'enseignait comment pratiquer cette activité... A l'université, David Cronenberg commence par étudier les sciences, un domaine l'ayant toujours fasciné. Mais il abandonne ce cursus au bout d'une année, déçu par la manière désincarnée dont elles sont enseignées. Il se tourne alors vers les lettres anglaises, où il s'avère un excellent élève. En parallèle, il tourne ses deux premiers courts-métrages, lesquels lui ouvrent les portes de l'univers du cinéma expérimental... Au cours des dernières années de son cursus littéraire, il écrit et dirige le moyen métrage nommé Stereo, dans des conditions plus professionnelles. Toutefois, il s'agit avant tout d'un film expérimental, tourné sans réelle volonté de le rentabiliser sur un circuit commercial. A cette époque, il n'y pas d'aide financière prévue pour les films au Canada. Pour obtenir des fonds publics d'aide aux artistes, Cronenberg prétend alors en avoir besoin pour rédiger un roman ! Stereo est donc filmé en pellicule 35mm, en noir et blanc, dans un bâtiment universitaire déserté, durant l'été, avec l'aide de sept jeunes acteurs qui n'étaient alors pas des comédiens professionnels... Sept jeunes gens, hommes et femmes, sont enfermés dans un bâtiment isolé afin de servir de cobayes à des expériences. Ils ont subi une opération les empêchant de parler, mais démultipliant leur capacité à communiquer par télépathie. Un réseau de caméras permet à des scientifiques d'étudier leurs comportements et leurs relations... Déjà, Cronenberg s'intéresse à un sujet de science-fiction, en mettant en scène le quotidien de jeunes mutants enfermés dans un centre où se déroulent toutes sortes d'expériences psychologiques, télépathiques et sexuelles. Stereo se distingue toutefois en optant pour la forme d'un pseudo documentaire, d'un pastiche de film scientifique à la mise en scène parfaitement "objective". Ainsi, les images sont présentées comme des relevés et ne sont accompagnées d'aucune bande-son. Par moment, le silence est brisé par les commentaires détachés d'étudiants, visionnant le film et émettant des remarques. Ils confrontent les théories d'un scientifique, le professeur Stringfellow, au comportement des cobayes… Stereo est donc un pastiche, voire une parodie de film scientifique. Ses commentaires se perdent dans un verbiage hermétique, supposé illustrer les difficultés des scientifiques à rationaliser et classifier des phénomènes et des réactions humaines, psychologiques, qui, en fait, leur échappent totalement du fait de leur approche désincarnée. Cronenberg disait alors réagir aux limites des sciences étudiant les comportements humains, tels que la psychologie et la sociologie. Mais on peut aussi y voir une résurgence de son année d'études scientifiques, un règlement de compte vis-à-vis de cette mauvaise expérience qui le laissa assez frustré... Ce qui frappe en découvrant Stereo aujourd'hui, c'est que, déjà, beaucoup du cinéma de Cronenberg, de sa manière d'approcher la science-fiction, s'avère présente. La perfection de la forme, la rigueur de la mise en scène nous renvoient déjà à l’oeil de Cronenberg, à son regard à la fois détaché, entomologique. Les thèmes des films plus connus de Cronenberg (Frissons, Rage, Scanners..) sont eux aussi présents. Mutations, drogues et sexualités expérimentales s'y mêlent déjà... Maintenant, ne trompons pas le consommateur sur la marchandise. S'il est visuellement et cinématographiquement satisfaisant, Stereo n’est pas une totale réussite. On se demande souvent où Cronenberg veut en venir tandis que, en fin de compte, le dénouement laisse sur une impression de frustration, d'expérience un peu vaine... Bien qu'inégal et assez déconcertant, Stereo n'en reste pas moins une curiosité intéressante, un véritable film de Cronenberg, déjà porteur de la marque visuelle et de son univers si singulier. Par la suite, Cronenberg tournera un second film dans des conditions assez semblables : Crimes of the future achevé en 1970... Aux Etats-Unis (Zone1), Stereo et Crimes of the futures sont offerts en supplément du disque de Fast company chez BlueUnderground, de dernier titre étant un des rares longs métrages de David Cronenberg ne flirtant pas avec l'horreur ou le fantastique : il traite en effet de l'univers de la course automobile. En Zone 2, l'éditeur néerlandais Reel23 propose un disque réunissant Stereo et Crimes of the future, disque destiné à une diffusion européenne et distribué notamment en France. La copie de Stereo proposée ici nous montre ce film cadré au format panoramique 1.66, en 16/9, dans un bon télécinéma. Nous apprécions notamment la jolie définition, un agréable dégradé de gris et une restitution naturelle de la profondeur de champs. Pour un film expérimental, resté longtemps assez rare, la copie s'avère dans un état satisfaisant, bien que certains passages laissent paraître des tâches ou des rayures, ponctuelles et discrètes. La bande-son est dans sa version originale anglaise, en mono d'origine codée sur deux canaux. Elle s'avère satisfaisante par sa propreté et sa clarté, mais rappelons qu'elle se limite essentiellement à du silence et des commentaires en voix off ! Nous trouvons aussi une batterie de sous-titres européens optionnels, parmi lesquels un sous-titrage français. Le disque lui-même ne comprend pas de suppléments en tant que tel, mais rappelons tout de même que ce disque contient deux films : Stereo et Crimes of the future! Par ailleurs son boîtier propose un feuillet plié (déplié, il s'agit d'une feuille au format A3) réunissant des notes d'intention de Cronenberg sur ces deux films, ainsi qu'une biographie lui étant consacré. Bref, pour les passionnés de Cronenberg qui comptent découvrir Stereo, cette édition européenne s'avère un achat de bonne qualité, à effectuer sans arrière-pensée... Après avoir tourné Stereo en 1969, David Cronenberg rempile dès l'été suivant, pour son nouveau long métrage. Il adopte un modus operandi très semblable. Il loue du matériel 35mm (en couleur, cette fois-ci), et, pour interpréter les personnages, il réunit des amis, acteurs non professionnels, dont certains jouaient déjà dans Stereo. Pour la technique, Cronenberg fait office d'homme à tout faire : il est réalisateur, opérateur, monteur, scénariste et producteur simultanément ! A nouveau, il n'y aura pas de bande-son traditionnelle, et, en particulier, pas de prise de son direct. Cronenberg veut en effet éviter la gène constituée alors par le bruit émis par la caméra qu'il utilisait. Un nommé Adrian Tripod enquête sur Antoine Rouge, un dermatologue qui serait associé à une terrible épidémie ayant provoqué la disparition de toutes les femmes sexuellement matures... Cette maladie mortelle trouverait sa source dans un étrange produit de beauté... Crimes of the future reprend non seulement des méthodes techniques héritées de, Stereo mais il en retrouve aussi l'atmosphère et certains principes de narration. A nouveau, l'action est commentée par une "voix off", augmentée pour l'occasion de bruitages abstraits. A nouveau, des personnages énigmatiques déambulent dans des décors modernes, stériles, sans s'adresser la parole, mais en se livrant à des gestuelles parfois abstraites, toujours insolites. Comme Stereo, Crimes of the future contient de nombreux éléments annonçant nettement les futurs films du metteur en scène. Cette fois-ci, sa narration s'avère plus traditionnelle. Nous n'avons pas affaire à un faux documentaire, mais bien à un long métrage relativement classique, racontant une histoire développée progressivement. Nous y trouvons des épidémies (comme dans Rage), des mutations psychiques (comme dans Scanners) ou physiques (comme dans Chromosome 3), des sociétés secrètes (comme dans Videodrome)... Bref, tout Cronenberg paraît déjà bien en place dans cette étrange intrigue de science-fiction, encore plus précisément que dans Stereo. Mais, si Crimes of the future s'avère plus "construit" que Stereo, il n'en reste pas moins un long métrage expérimental, appelé à rester déconcertant pour une bonne part du public. Les explications passent beaucoup plus par la voix off que par l'image, le spectateur ayant du mal à reconnaître les personnages, à démêler leurs actions, à comprendre leurs déplacements dans divers bâtiments. Un peu moins élégant visuellement que Stereo, Crimes of the future reste donc un coup d'essai qui, s'il annonce de façon intéressante la carrière de son metteur en scène, reste assez aride et confus. Il s'agit donc d'une curiosité, qui intéressera surtout les fans de David Cronenberg. Par la suite, ce metteur en scène cesse de tourner des films de façon aussi totalement indépendante. Il commence à travailler abondamment pour la télévision canadienne. Jusqu'à ce que son destin rebondisse en 1974, avec le tournage de son premier vrai long métrage professionnel : Frissons... Comme nous l'avons déjà écrit dans le test de Stereo, Crimes of the future sort en France sur un DVD contenant aussi Stereo. Sur ce disque, Crimes of the future se voit proposé dans un cadrage 1.66 (en vidéo 16/9) et en couleurs. Le cadrage nous a parfois semblé un peu serré vers le haut, dans quelques plans ponctuels... A priori, la copie est un peu plus propre que celle de Stereo, et les couleurs sont plutôt réussies. Restent, par endroit, quelques soucis de granulation et de fixité, sans doute dus aux conditions de fabrication du film. En bande-son, nous trouvons la version originale anglaise mono (encodée sur deux canaux), livrée avec plusieurs sous-titrages Zone 2 optionnels, dont le français. Une bande-son plutôt propre, très acceptable pour un film expérimental indépendant... Enfin, le disque ne propose pas de supplément particulier, mais rappelons, à nouveau, qu'il contient tout de même deux films à la fois. De plus un feuillet propose des notes d'intention de David Cronenberg sur ces métrages, ainsi que sa biographie. Bref, ce disque est une opportunité très satisfaisantes de découvrir Stereo et Crimes of the future dans des conditions satisfaisantes..."