mardi, juin 27, 2006
Six femmes pour l'assassin.
"Dans la filmographie de Mario Bava, Six Femmes pour l’assassin arrive après Le corps et le fouet, sombre histoire de vengeance d'outre-tombe et de malédiction familiale dans la pure tradition de l'épouvante gothique l'italienne. Avec Six Femmes pour l’assassin, il revient au thriller, genre qu'il a déjà abordé l'année précédente avec La fille qui en savait trop, une production italienne. Son nouveau thriller se voit monté avec l'aide de compagnies française et, surtout, allemande. En tête de distribution, nous trouvons deux vedettes hollywoodiennes dont les présences assurent à l'oeuvre un retentissement international : Cameron Mitchell (qui venait de jouer, l'année précédente, dans La ruée des vikings de Bava) et Eva Bartok (Le corsaire rouge côtés de Burt Lancaster). Coproduction oblige, l'inspecteur de police Silvester, chargé de résoudre l'affaire criminelle nous occupant ici, se voit incarné par l'allemand Thomas Reiner. A leurs côtés, nous reconnaissons quelques visages familiers du cinéma italien, tel l'inquiétant Franco Ressel (lui aussi réchappé de La ruée des vikings) ou Luciano Pigozzi, comédien trapu évoquant irrésistiblement Peter Lorre. Luciano Pigozzi s'illustra mainte fois dans les genres de la terreur italienne, qu'il s'agisse du cinéma gothique (Le monstre aux filles de Paolo Heusch, Le corps et le fouet, Le château des morts-vivants, Le cimetière des morts-vivants) ou du giallo (Une hache pour la lune de miel – titre DVD -, Le diable a sept visages - titre vidéo -, L'Alliance invisible, Les rendez-vous de Satan). A Rome, dans les ateliers de la maison de couture Christian, Isabella, mannequin, est retrouvée violemment étranglée. Toutes les personnes travaillant dans cette entreprise de luxe sont aussitôt soupçonnées et interrogées. Les autres mannequins, la propriétaire, le directeur, les assistants… Tous semblent avoir quelque chose à se reprocher. Trafics de drogue, chantages, concubinages et perversions sexuelles vont en effet bon train dans la maison Christian où, derrière la façade de l'élégance latine, se cachent de bien sombres intrigues. Lorsque le journal intime de la morte est retrouvé, avec sans doute en son sein de nombreuses informations compromettantes, de nouveaux meurtres sont commis dans l'atelier de la peur ! Six Femmes pour l’assassin est avant tout connu comme un des longs métrages fondateurs du genre Giallo, cette forme de thriller italien que bien des aspects rapprochent de l'horreur : sadisme, fascination pour les névroses, meurtres violents et spectaculaires, ambiances flirtant avec le fantastique… Il est aussi notoire que Six Femmes pour l’assassin n'est pas réellement le premier Giallo de Bava. L'année précédente, il a déjà tourné deux films relevant de ce genre. Le long métrage La fille qui en savait trop, qui est un pastiche de thriller américain se déroulant à Rome, et dans lequel Mario Bava insuffle des éléments de mystère et de cruauté. "Le téléphone", un des sketchs de Les trois visages de la peur, pose lui aussi fermement les bases du genre. Pourtant, Six Femmes pour l’assassin complète ces prémices. Il s'agit d'une coproduction avec l'Allemagne de l'Ouest, pays dans lequel, à la même époque, les films policiers produits sur place et inspirés par les écrits d'Edgar Wallace rencontrent un réel succès. Ces longs métrages mêlaient des intrigues policières à des éléments plus mystérieux, tels la présence d'étranges tueurs masqués. Six Femmes pour l’assassin intègre sans doute cette influence à travers son assassin sans visage, vétu d’un imperméable et ganté de noir. Il commet meurtre sur meurtre en plein coeur de la nuit, tandis que la police recueille patiemment les indices qui permettront - peut-être - de démasquer ce malfaiteur. Surtout, Mario Bava met en oeuvre l’expérience qu’il a acquise dans la mise en scène de divers films d'épouvante. Pour la première fois dans ses thrillers, il emploie à fond les techniques stylistiques qu'il a pu développer en tournant Le masque du démon, Le corps et le fouet, ou encore les deux sketchs fantastiques "La goutte d'eau" et "Les Wurdalaks" de Les Trois visages de la peur. Ainsi, pour la première fois dans une oeuvre appelant à priori un style réaliste, il emploie des éclairages colorés expressionnistes, éclairages dont il avait démontré son éclatante maîtrise dans, par exemple, le sketch "La goutte d'eau". Les lumières ne sont pas utilisées de manière à restituer la vérité d'un éclairage naturel, mais, au contraire, pour créer des ambiances irréelles, fantastiques, dictées avant tout par les sentiments et les impressions que souhaitent communiquer le metteur en scène. Le crime se déroulant dans le magasin d'antiquités en est la plus éclatante démonstration : éclairage violet surgissant d'on ne sait où, spots verts, décor inondé d'une lumière rouge vif… Rien, ici, ne correspond à un éclairage naturel. L'impression d'artifice et la bizarrerie ainsi générées sont employées pour plonger le spectateur dans une ambiance fantastique, inhabituelle et, donc, effrayante. On pourrait en dire tout autant des décors et des accessoires. Les premiers plans de Six Femmes pour l’assassin semblent se dérouler aux alentours de quelque inquiétant manoir gothique, jusqu'à ce que l'apparition d'une voiture ne nous révèle que nous sommes en fait dans un cadre contemporain. Le palais dans lequel la maison Christian a installé ses ateliers s’avère abondamment décoré de fioritures rococos, ce que souligne encore l'abondance d'objets d'arts et de rideaux colorés placés dans ce décor. Quant au magasin d'antiquités, il est un prétexte à évoquer une ambiance à la fois moderne et médiévale, et ce à travers la présence d'une armure, de meubles néogothiques et, surtout, d'une arme redoutable dont va se servir l'assassin : un gant d'acier dont l'intérieur se voit serti de trois longues pointes. Bref, un instrument de mort qui n'aurait pas dépareillé dans les massacres du Masque du demon ! L'arme à feu, créée pour ceux qui veulent tuer sans se salir les mains, n'a que peu sa place ici. Strangulation, brûlure, noyade et autres mises à mort brutales sont à l'honneur, tandis que chaque meurtre s'accompagne presque systématiquement de la révélation de la lingerie des pauvres victimes féminines. Erotisme suave, encore souligné par une musique langoureuse, cet air de mambo aux relents inquiétants qui ponctue la progression des horreurs se déroulant à l’écran. Comme dans un film d'épouvante, ce sont les séquences de terreur, et surtout les séquences violentes, qui ont avant tout la vedette. Peu importe l'argument policier, lequel s'avère des plus confus et des plus anecdotiques… Au Diable la logique dans le comportement des personnages… Et si, à l'exception notable de Cameron Mitchell et Eva Bartok, les acteurs s'avèrent insipides, ce n'est pas là ce qui préoccupe Mario Bava. Le cinéma de ce metteur en scène s'avère difficile à cerner, car ses traits récurrents ne doivent pas se chercher réellement dans les histoires racontées. Certes, on peut trouver des points communs entre Six Femmes pour l’assassin et, disons, L'ile de l’épouvante ou La baie Sanglante, deux titres portant un regard acide et réprobateur sur la cupidité. Mais l'unité de l'univers cinématographique de Mario Bava est avant tout stylistique. Il se distingue, entre autres, par l’emploi personnel de la couleur, l’utilisation de silhouettes impersonnelles et sans visage, d'objets inanimés desquels la vie paraît prête à surgir, comme les armures du palais du Masque du démon ou les mannequins de Lisa et le diable. Son cinéma, c’est aussi le goût de la virtuosité, d'un langage cinématographique animé, multipliant les travellings biscornus ainsi que les jeux de reflets et de miroir désorientant le spectateur. Soyons clairs : quiconque venant chercher dans Six Femmes pour l’assassin une intrigue policière astucieuse et solidement charpentée s'expose à une déception. Ce film est avant tout un travail d'ambiance, une démonstration technique spectaculaire, effectuée avec très peu de moyens par un metteur en scène surdoué. Surtout, Mario Bava jouissait d’une extrême sensibilité à l'étrange et au bizarre, sensibilité s’avérant une qualité indispensable à tout maître du cinéma fantastique ! Si aujourd'hui Six Femmes pour l’assassin se voit considéré comme un film fondamental dans l'histoire de l'épouvante italienne, il se heurta, lors de sa sortie, à l'indifférence du public italien. Le giallo était définitivement né, mais ses premières années seront difficiles. Il faut attendre la sortie - et le succès - de L'oiseau au plumage de cristal, signé par un certain Dario Argento, pour qu’il prenne réellement son envol. En France, Six Femmes pour l’assassin connut de nombreuses éditions vidéos, que ce soit sous son titre original ou sous celui de L’atelier de la mort. Il eut même le privilège de s'y voir distribué en Laserdisc. En DVD toutefois, il n'a toujours pas fait surface. Il faut donc se tourner vers l'étranger pour se le procurer. L'éditeur américain VCI avait ainsi sorti dès 2000 une édition de ce titre (multizone, NTSC), proposant le film dans un cadrage panoramique 1.66 (4/3) et avec de nombreux suppléments. Mais, il s'agissait d'une recadrage sauvage opéré sur une copie Pan & Scan ! Plus tard, en Allemagne, un DVD (PAL, multizone) propose, cette fois-ci, une copie cadré en 1.78 (en 16/9) et respectant l'intégrité latérale du cadrage. Muni d'une bande-son italienne et d'un sous-titrage anglais, ce disque devint l'édition de référence de! Six Femmes pour l’assassin En 2005, VCI contre-attaque en proposant une nouvelle édition NTSC multizone de ce titre, édition que nous allons tester ici. Cette "Unslashed Collector's Edition" se compose de deux DVD insérés dans un boîtier. Le premier est un DVD9 contenant le film et quelques bonus. Le second, un DVD5, contient le plus gros des suppléments. La copie fournie ici propose Six Femmes pour l’assassin dans un format panoramique (environ 1.74), dans un télécinéma 16/9. Si le générique paraît provenir d'une source dans un état médiocre, à la définition grossière, le reste du film passe nettement mieux, notamment grâce à une définition affûtée. Tout n'est pas parfait cependant. Les saletés son nombreuses, les contrastes inégaux et les couleurs parfois simplifiées. On note aussi quelques légers soucis techniques, comme ces deux plans où l'image passe en 4/3, provoquant un court écrasement de l'image. La copie reste consultable, mais on ne peut s'empêcher de se dire qu'il est sans doute possible de faire encore mieux pour ce titre. En ce qui concerne les bandes-sons, nous retrouvons les mêmes options que la précédente édition VCI. Nous disposons ainsi d'une piste anglaise (qui passe du mono de l'édition 2000 à un remix en 5.1). Ce remix ne parait pas indispensable, et il offre en plus un doublage très passable. Quand il ne paraît pas décalé d'une bonne seconde par rapport au déroulement de l'image ! Heureusement, on peut se rabattre sur la piste italienne mono, très satisfaisante à tous les niveaux, pour un film de 1964 en tous cas. En plus, le disque VCI propose un doublage français artistiquement de bonne qualité, mais dont le mixage est perfectible. En tous cas, il s'agit de la seule option francophone proposée sur un DVD de Six Femmes pour l’assassin au monde. Enfin, des sous-titres espagnols et anglais complètent le tout de façon bien pratique, même si l'on regrette l'emploi d'une couleur et d'un lettrage disgracieux ainsi que l'absence de sous-titrage à certains instants (quand Peggy lit le journal intime par exemple). Nous pouvons maintenant attaquer les suppléments du premier DVD. Ceux-ci commencent par un commentaire audio de Tim Lucas, rédacteur en chef de la revue Video Watchdog, auteur d'articles et de livres, ayant énormément écrit sur Mario Bava. Ce commentaire s'avère très informatif quant aux divers techniciens et acteurs. Il propose aussi quelques anecdotes au sujet de sa création. On relève quelques approximations (Pedro Almodovar, dont le thriller surnaturel Matador fait explicitement référence à Six Femmes pour l’assassin, devient un réalisateur «mexicain») et des interprétations plus ou moins pertinentes. Mais le débit soutenu de cette intervention ne laisse jamais s'installer l'ennui. Toujours sur le premier DVD, nous trouvons la bande-annonce américaine de Six Femmes pour l’assassin, ainsi que celles de titres sortis, ou à sortir, chez VCI : City of the dead, Ruby, Crimes au musée des horreurs et L'Oiseau au plumage de cristal. Tout cela est complété par une petite biographie et une filmographie de Mario Bava, ainsi que par celles des acteurs Cameron Mitchell, Eva Bartok, Luciano Pigozzi et Mary Arden. Enfin, le premier disque nous donne des informations sur Tim Lucas, et nous invite notamment à participer à la souscription dédiée à la sortie de son livre "All the colours in the Dark", livre intégralement consacré à Mario Bava et annoncé depuis fort longtemps déjà ! Le second disque s'ouvre sur une interview filmée (8 minutes) de Cameron Mitchell faite par David Del Valle, une autre plume américaine du cinéma fantastique. Décédé en 1994, le comédien se montre extrêmement chaleureux dans sa description de Mario Bava et, malgré quelques petits trous de mémoire, il en dresse un portrait admiratif et attachant. L'actrice Mary Arden revient sur ses souvenirs du film et du tournage durant 13 minutes. Elle aussi se remémore Mario Bava avec enthousiasme, donnant ainsi une épaisseur bienvenue à cette personnalité difficile à saisir pour le passionné de fantastique contemporain. En effet, ce réalisateur n'a que rarement été interviewé ou filmé… Vient ensuite une galerie de suppléments réunissant les bandes-annonces allemande, française et italienne de Six Femmes pour l’assassin, ainsi que le générique français du film (semblable à celui, européen, proposé avec le long métrage). Nous trouvons aussi un autre générique américain, totalement différent, réalisé spécialement à la demande d'Allied Artists, le distributeur américain de Six Femmes pour l’assassin, pour sa sortie en salles. D'autres bandes-annonces de films de Mario Bava sont aussi disponibles, à savoir celles de La ruée des vikings ou de Le corps et le fouet (une en anglais et une en français). Une galerie d'images fait défiler durant quatre minutes des photos de plateaux, des photos d'exploitation et des affiches venant de divers pays (Espagne, Allemagne, France, Etats Unis...), toutes dédiées à Six Femmes pour l’assassin. Il est encore possible d'écouter la bande originale du film, en stéréo, divisée en quatre morceaux. Enfin, un supplément de 27 minutes compare les versions intégrales des meurtres à des montages censurés. Quant à savoir si la version censurée et la version intégrale du film correspondent aux copies européenne ou américaine, ce n'est pas très clair, le menu des suppléments et le supplément lui-même se contredisant à ce sujet ! Voici donc une édition correcte, largement fournie en suppléments et proposant une copie du film qui, si elle ne peut pas prétendre à être "définitive", permet déjà de consulter Six Femmes pour l’assassin dans des conditions acceptables en version italienne sous-titrée en anglais ou avec son doublage français. C'est déjà bien"