jeudi, mai 04, 2006
L'île de l'épouvante.
Le temps d’un week-end, un industriel invite des relations d’affaires sur une île méditerranéenne. Bien que le but principal était la détente, les affaires vont vite reprendre le dessus, l’enjeu étant une formule pour laquelle les convives sont littéralement prêts à tuer… Ce giallo de facture classique est sorti juste un an avant La baie sanglante (1971) qui allait inspirer toute une génération de slashers. Mais ici, il n’est nullement question de violence ou de brutalité sadique. Bien que Mario Bava possède un certain penchant pour l’élimination de ses acteurs, les meurtres se déroulent tous hors caméra et ne sont guère sanglants. Pour ce film de commande, Bava réécrivit une grande partie du scénario qu’il détestait pour sa ressemblance avec 10 petits nègres d’Agatha Christie. Malgré une histoire un peu compliquée par moments, le suspens reste soutenu jusqu’à la fin. Mais l’intérêt principal réside sans doute dans le sens de l’esthétisme surdéveloppé du cinéaste italien, qui démontre encore ici tout son talent. Le film débute sur une soirée des plus seventies, avec alcool, musique et danse lascive à la clé, où Bava nous présente ses acteurs de façon très originale. Chaque nouveau visage a droit à un zoom extrême sur le visage et l’on note la différence de la couleur des yeux de ses actrices : Le marron pour les personnalités «chaudes», le bleu pour les plus distantes et le vert pour les malicieuses. Un petit détail amusant et très astucieux. Et juste au moment où les évènement commencent à prendre une tournure trop réaliste, nous réalisons que ce n’était qu’un jeu, ma foi un tantinet macabre. Débute alors l’histoire pour de vrai avec l’arrivée des protagonistes sur l’île en question, où le jeu n’aura plus sa place et où l’ambiance détendue se changera peu à peu en une parano ambiante et une cupidité non feinte. Les personnages se révèlent à travers leurs conversations privées et l’on se rend rapidement compte que chacun cherche quelque chose pour lui, tandis que les meurtres s’enchaînent. La note morbide du film viendra de la suspension des cadavres dans la chambre froide à côté des quartiers de boeuf, le tout accompagné d’une musique des plus étranges que l’on imagine mieux servant comme illustration sonore pour un enterrement grotesque dans un film muet. Le reste de la bande originale s’avère plutôt psychédélique, lorgnant un peu vers les années soixante-dix, agrémentée de quelques malheureux zooms avant-arrière rapides très disgracieux. Mais Bava laisse tomber le côté baba cool vers la moitié du métrage au profit d’un giallo où le suspens règne, baigné d’un érotisme présent dès le générique de début et ne lâchant prise qu’à la fin. Malgré quelques images de filles peu vêtues, Bava ne tombe jamais dans la lourdeur et réussit à les intégrer de façon non gratuite (voir le très joli plan où Marie est dans la douche et qu’on ne la voit qu’en ombre chinoise). Le coeur de l’histoire tourne autour d’une mystérieuse formule scientifique pour laquelle les protagonistes sont littéralement prêts à tuer. L’inventeur refuse de la vendre, même pour un million de dollars et mal lui en prend, bien sûr. Bava va explorer la convoitise et les manigances féminines à travers la séduction mais jamais tomber dans une misogynie,par exemple, à la Dario Argento. Ici, Bava traite ses femmes avec respect bien qu’elles soient clairement présentées comme étant le sexe dominant : L’accent est mis sur leurs émotions et leurs hommes sont attentionnés. Le réalisateur leur accorde presque de la tendresse et démontre surtout une volonté d’explorer autant leur psyché que leur physique avantageux. Du côté des acteurs, on retrouve dans le rôle du Professeur Fritz Farrell, William Berger, qui a joué dans de nombreux westerns-spaghetti et quelques films d’épouvante. On retrouve, à ses côtés, la troublante Edwige Fenech dans le rôle de Marie, plus connue pour sa participation à des oeuvres entièrement érotiques. Faisant aujourd’hui partie de la jet-set, Ira von Fürstenberg s’était auparavant essayée au métier d’actrice sans grand succès et son rôle ici ne se démarque pas du restant de la distribution. L’image se montre un peu fade au départ et surtout très sombre pendant les scènes de nuit. Mais cela s’améliore vers le tiers du film où elle devient plus contrastée, contenant toutes ces touches de couleurs fortes si caractéristiques des oeuvres de Bava. Le changement s’opère en douceur, tout comme l’ambiance du film, ce qui laisserait à penser que cela puisse être volontaire. Cependant, une ligne verticale apparaît à quelques minutes du début puis vers la quinzième minute. Elle ne se montrera plus pendant le reste du film. Le disque ne propose pas de transfert 16/9 mais conserve tout de même le cadrage "cinéma". Le doublage italien est assez mal ajusté au mouvement de lèvres des acteurs et, pour une fois, le doublage français passe bien mieux. L’intonation un peu vieillotte est ainsi plus en phase avec les personnages et l’histoire. En ce qui concerne les suppléments, pas grand chose à se mettre sous la dent avec Les biographies de Mario Bava, Ira von Fürstenberg, Edwige Fenech et William Berger d'ailleurs annoncées comme des filmographies, ce qui n'est pas le cas. Il y a également une présentation du film par Damien Granger, le rédacteur en chef du magazine Mad Movies. Cela ne dure qu'à peine plus de trois minutes et peut se regarder avant le film étant donné que cela ne dévoile rien de l'intrigue. Au contraire. Ce n’est vraiment qu’une petite présentation et bien que Damien Granger sait sûrement de quoi il parle, il ne semble pas très à l’aise devant la caméra, surtout qu’il est évident qu’une personne se trouvant derrière fait ce qu’il peut pour attirer son attention et le faire craquer. Enfin, ce n’est pas bien méchant et n’enlève rien au plaisir du film. Au final, ce film est un très bon giallo de la part de l’un des maîtres du genre, à l’ambiance Hitchcockienne et au suspens non prévisible.