mardi, avril 04, 2006
Once upon the time in the west.
A chaque fois que je regarde ce film je découvre un truc et puis ça me rappelle tellement le bureau... "Une prostituée de la Nouvelle-Orléans, Jill (Claudia Cardinale), se rend dans l’ouest pour retrouver l’homme qu’elle vient d’épouser, Peter McBain. Mais quand elle arrive, c’est pour l’enterrer lui et ses enfants. En effet, la famille McBain a été assassinée par des tueurs engagés par Morton, le propriétaire de la compagnie ferroviaire, pour éliminer les "obstacles"à la progression du chemin de fer. Jill sera aidée face à ces crapules par deux hommes : un bandit injustement accusé du massacre, le Cheyenne (Jason Robards), et un mystérieux joueur d’harmonica (Charles Bronson) dont les motivations s’éclairciront au fil de l’histoire… En 1967, après le succès mondial de son dernier film, Le bon, la brute et le truand, Sergio Leone pense en avoir fini avec le western. Il vient de lire The Hoods de Harry Grey et veut adapter ce livre sur les gangsters des années 30. Il prend des contacts avec des studios américains mais tous sont effrayés par l’envergure titanesque de ce nouveau projet (et pour cause, ce film, ce sera Il était une fois en Amérique qui ne sortira qu’en 1984). Les producteurs veulent d’abord un nouveau western. Finalement, le réalisateur donne son accord à Paramount qui lui laisse carte blanche. Sergio Leone compte alors réaliser son dernier western, mais également l’ultime film du genre. C’est pourquoi cette œuvre sera différente de la trilogie des dollars. Après quelques tables rondes avec Dario Argento et Bernardo Bertolucci, le sujet du film est ébauché. Le scénario est ensuite écrit avec Sergio Donati. Ce sera une histoire complexe, mêlant notamment vengeance, rédemption féminine et arrivée du chemin de fer dans le Far West. Leone, dans son livre d’entretiens avec Noël Simsolo, explique l’idée de son film ainsi : "Je voulais faire un ballet de morts en prenant comme matériau tous les mythes ordinaires du western traditionnel : le vengeur, le bandit romantique, le riche propriétaire, le criminel homme d’affaires, la putain… A partir de ces cinq symboles, je comptais montrer la naissance d’une nation". Les personnages de ce film n’ont donc plus grand-chose à voir avec l’homme sans nom ou les chasseurs de primes de la trilogie des dollars. Leone avait d’ailleurs pensé à faire jouer les trois personnages de la scène d’ouverture, tués par l’homme à l’harmonica, par Lee Van Cleef, Eli Wallach et Clint Eastwood (la brute, le truand et le bon) pour marquer la rupture avec ses films précédents. Mais Eastwood, devenu une star refusera de se faire tuer dès les premières pages du script… Les héros sont donc en quelque sorte ici des archétypes classiques. Il était une fois dans l’Ouest est ainsi un hommage au western. Le réalisateur italien a bourré son film de références aux films hollywoodiens. Le héros musicien sorti de nulle part évoque Johnny Guitar, la première scène pastiche Le train sifflera trois fois, le plus jeune des fils McBain fait penser au petit garçon de Shane, des scènes ont été tournées à Monument Valley pour rendre hommage à John Ford, plusieurs acteurs du western américain comme Jack Elam, Keenan Wynn ou Woody Strode tiennent des seconds rôles, tel plan fait penser à La Prisonnière du désert, tel autre à 3h10 pour Yuma… Ainsi, avec Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone s’est fait un énorme plaisir, tournant un film-somme de tout ce qui l’avait touché dans le western durant sa jeunesse. Ce n’est pas pour rien que Tarantino, l’auteur du fourre-tout Kill Bill le revendique comme influence numéro un…Cependant, le projet de Leone ne se limite pas à un simple hommage au genre. Ainsi, l’inventeur virtuose du western all’italiana, continue avec ce film son entreprise de destruction de la mythologie américaine. C’est pourquoi, il a demandé à Henry Fonda de tenir le rôle de l’assassin Frank. Henry Fonda, l’interprète d’Abraham Lincoln, de Wyatt Earp, qui a incarné pendant trente ans la droiture et la justice pour des millions d’Américains, joue ici un tueur d’enfants. Pour l’anecdote, la star américaine avait d’abord refusé le film. C’est son ami Eli Wallach qui l’a convaincue de travailler avec l’Italien. Au final, l’icône du western américain sera ravie de sa collaboration avec Sergio Leone et rejouera quelques années plus tard dans un autre western produit par ce dernier : Mon nom est Personne. Il était une fois dans l’Ouest est un film-somme inscrit dans un projet d’auteur : celui de montrer la naissance de l’Amérique en détournant sa propre mythologie. Ce projet sera poursuivi dans les deux opus suivants : Il était une fois la révolution et Il était une fois en Amérique. Il était une fois dans l’Ouest enterre le genre. C’est la fin de l’ouest sauvage et le début de l’ère moderne symbolisée par le chemin de fer. Sergio Leone ne se montre ni ironique ni cynique dans ce film, contrairement à ce qu’a pu affirmer une certaine partie de la critique. Certes, il est pessimiste, comme toujours. Les cow-boys, libres et fiers sont voués à la disparition dans un monde désormais capitaliste. La fin, avec les héros Harmonica et Cheyenne perdus au milieu des ouvriers le montre très bien. Cependant, ce pessimisme est un pessimisme profondément romantique. Le Cheyenne et Harmonica, qui n’ont plus de raison de vivre, vont accomplir une ultime bonne action en aidant Jill. Un acte totalement désintéressé qui prouve qu’ils ont toujours foi en certains idéaux. C’est du romantisme désespéré. La scène dans laquelle Bronson arrache les dentelles de la robe noire de Claudia Cardinale est magnifique. Le spectateur, choqué par une telle brutalité, croit d’abord à une tentative de viol. Mais il n’en est rien. A travers une telle action, Harmonica débarrasse Jill de ses ultimes attributs de prostituée, de fille superficielle, ne lui laissant plus que sa robe noire de l’enterrement de son époux. Il lui demande ensuite d’aller chercher l’eau du puits. Il l’aide à accomplir sa rédemption morale. Après la mort de son mari, elle comptait retourner dans son bordel de la Nouvelle-Orléans. Or Harmonica la force à assumer le deuil de son mari et à s’occuper de ce qui aurait dû être son foyer. Elle qui n’a jamais tenu une maison. Elle qui, n’ayant jamais eu à se préoccuper d’une personne autre que la sienne, est plutôt égoïste. Ainsi, les héros ne sont plus des cyniques motivés uniquement par la vengeance ou l’appât du gain. Contrairement à ce qui a été écrit sur ce personnage, l’homme à l’harmonica n’est donc pas un héros totalement monolithique qui ne vivrait que pour sa confrontation avec Frank. Il aide Jill. Peut-être parce qu’il pressent qu’une fois que les héros comme lui auront disparu, l’Amérique entrera dans une ère nouvelle dans laquelle les femmes auront beaucoup d’importance. Claudia Cardinale joue ici l’un des plus beaux rôles féminins de l’histoire du cinéma : Jill McBain qui passe en un film de sublime putain à matrice de l’Amérique. En effet, elle va poursuivre le rêve avorté de son mari. SPOILER : McBain comptait faire de sa ferme une station pour le futur train. Bien qu’il ait été tué pour son rêve, son épouse va, après bien des péripéties, reprendre le flambeau. Ainsi, le rêve de McBain se réalisera grâce à l’obstination de sa femme, elle-même poussée par des héros en bout de course. Il était une fois dans l’Ouest s’achève avec la naissance d’une ville-champignon sur les terres de McBain. Une ville qui symbolise l’ensemble des villes de l’Ouest américain. Une ville dans laquelle, on s’en doute, la femme, l’ancienne prostituée Jill, jouera un rôle central SPOILER. Ainsi, ce film peut aussi être vu comme un plaidoyer pour l’ambition individuelle, la persévérance dans les idéaux personnels malgré les obstacles du monde qui nous entourent. Il était une fois dans l’Ouest n’est donc ni cynique ni nihiliste. Simplement nostalgique d’une époque mythique, l’époque du cow-boy fier et libre. Cependant, Il était une fois dans l’Ouest ne serait pas régulièrement cité parmi les dix meilleurs westerns de tous les temps s’il n’avait d’autre qualité que celle d’offrir des possibilités d’interprétation sans fin sur son contexte et ses personnages, signe de richesse thématique mais pas toujours de génie cinématographique. Il était une fois dans l’Ouest est avant tout un film qui se ressent. Sergio Leone est un cinéaste de l’émotion. A la première vision, à moins d’être totalement rebuté par son style, on ne peut qu’être terrassé par cette symphonie émotionnelle incroyable, cette beauté de tous les instants, sans prendre garde aux motivations profondes des personnages et à leur évolution dans un contexte transitoire. En effet, Leone, artiste génial, a cependant toujours eu comme préoccupation première dans son travail le plaisir du spectateur. C’est avant tout un conteur très talentueux (ce n’est pas pour rien que ses trois derniers films commencent par "Il était une fois…"). Il était une fois dans l’Ouest, c’est l’exemple parfait du caractère magique du cinéma. Ce film nous fait frissonner, nous touche en plein cœur sans que l’on sache réellement pourquoi. Comment expliquer rationnellement l’exaltation que procure la scène du duel ? A travers une telle séquence, Sergio Leone, nous fait retomber en enfance. Il ne faut plus penser, juste se laisser porter par les images d’une force inouïe et la musique fabuleuse d’Ennio Morricone. Certes, il y a bien quelques bribes d’explication à cette beauté magique. D’abord ce style. Un style baroque où tout est amplifié, tout est distordu à l’extrême. Des scènes qui n’auraient duré que quelques secondes avec un cinéaste classique, sont longues de plusieurs minutes avec Sergio Leone. Mais cela n’est jamais gratuit comme l’ont souvent affirmé ses détracteurs. Cette dilatation temporelle est là pour installer une ambiance unique, pour happer le spectateur dans le film. Ces longues séquences, portées par la sublime musique de Morricone ne sont jamais ennuyeuses, à moins que l’on soit totalement allergique au style léonien. Ce n’est pas pour rien qu’Il était une fois dans l’Ouest est le deuxième film le plus vu par les Français après La vache et le prisonnier (selon une enquête du ministère de la culture). Malgré sa profondeur insondable, il n’y a besoin d’aucune culture préalable pour goûter à ce chef d’œuvre, pour être frappé par l’incommensurable beauté de chaque séquence. Que serait Il était une fois dans l’Ouest sans la beauté de Claudia Cardinale, sans le charisme d’Henry Fonda, sans le visage impassible de Charles Bronson, sans les yeux pleins de mélancolie de Jason Robards ? Chacun de ces acteurs livre une de leurs performances les plus mémorables. Ces personnages-icônes ne sont pas le moindre atout du film. Tous sont magnifiés par la caméra, même ceux qui jouent des rôles de salaud. Il n’y a qu’à voir la manière dont est filmé Henry Fonda, la manière dont sa démarche si gracieuse est sublimée. Cet état de fait tord le cou aux accusations de certains critiques qui affirmaient que Leone méprisait ses personnages ! Enfin, l’une des grandes forces du film est la musique d’Ennio Morricone. Sa place très importante rappelle que le cinéma de Leone a toujours été proche de l’opéra. Chaque personnage a son thème. Comment oublier la scène de l’arrivée de Jill à Flagstone ? La caméra suit Claudia Cardinale avant de s’élever au-dessus de la ville grouillante au moyen d’une grue. La musique, sublime, colle à chaque mouvement de caméra, elle suit à la seconde près ! Elle donne tout son sens à cette séquence dans laquelle les talents de Sergio Leone et d’Ennio Morricone sont parfaitement conjugués pour magnifier Claudia Cardinale et cette ville naissante du Far West. Il était une fois dans l’Ouest est donc un régal permanent pour les sens, tel que l’a voulu son réalisateur. Un de ces films rarissimes que l’on ne se lasse pas de revoir régulièrement pour le plaisir mystérieux qu’ils nous apportent. Il était une fois dans l’Ouest agit un peu comme une drogue sur certaines personnes (j’en suis). Mais c’est également un film d’auteur d’une profondeur incroyable. Et c’est aussi de là que ce film unique tire sa force car chaque nouvelle vision apporte un nouvel éclairage sur cette œuvre complexe. Sergio Leone, à travers les archétypes les plus classiques du western, a montré la transition entre deux époques, le passage à une ère nouvelle, l’arrivée de la civilisation et par-là même de la "massification", et finalement la naissance d'une nation, cinquante ans après le père du cinéma américain et donc du western : Griffith. La boucle est bouclée. Certes, la suite et Clint Eastwood ont prouvé qu’Il était une fois dans l’Ouest n’était pas le western ultime mais c’est en tout cas la fresque qui offre les plus belles funérailles à un genre qui ne méritait pas moins que ce chef d’œuvre. Etant donné qu’Il était une fois dans l’Ouest est l’un des rares films à regarder en V.F (il n’existe pas de V.O : aucune prise de son n’était effectuée sur le tournage, les dialogues étaient post-synchronisés dans toutes les langues)