jeudi, mars 16, 2006
To live & die in L.A.

L’apparence glamour des personnages cache donc une réalité sordide, un faux-semblant qui vient appuyer le thème principal de To Live and Die in LA, à savoir la dénonciation de la contrefaçon de billets. La scène désormais célèbre où l’on voit Rick Masters, artiste raté mais génial contrefacteur, s’atteler avec un soin minutieux à la confection de faux billets destinés à être répandus dans toute la ville, donne les clés du superbe et mystérieux générique de début qui nous maintenait dans l’illusion que les innombrables billets qui circulaient entre toutes ces mains étaient réels les deux scènes s’accompagnent d’ailleurs de la même musique (City of Angels de Wang Chung). Le film opère une alternance constante entre quête obsessionnelle de perfection et brutal retour à la réalité, à l’image des peintures que Rick Masters brûle les unes après les autres à peine terminées. Chance, le flic téméraire, va lui aussi de désillusions en désillusions et voit toutes ses actions se retourner contre lui. Lorsqu’il prend l’autoroute en sens inverse dans cette incroyable course-poursuite en voiture qui a largement contribué à la réputation du film, l’insert sur le panneau d’entrée "Wrong way" résume à lui seul son parcours. Œuvre crépusculaire peuplée de personnages pathétiques voire peu reluisants, To Live and Die in LA est un film incontestablement déroutant, tout comme son titre : "Vivre et mourir à Los Angeles". L’ambivalence de Los Angeles, capitale mondiale de l’industrie du divertissement, mégalopole monstrueuse où l’argent règne en maître mais où tout semble possible, a rarement été aussi prégnante que dans ce film. Malgré tous les drames qui se jouent, le film s’ouvre et se clôt sur un magnifique lever de soleil comme si rien ne pouvait interrompre le cours inhumain de la vie, comme si Los Angeles absorbait les énergies pour renaître à nouveau, toujours plus puissante. De la ville immense, on n’entrevoit que ses extrêmes : les somptueuses propriétés des gangsters contrastent avec les quartiers les plus sales et les plus glauques. Chaque personnage semble enfermé dans un sentiment de solitude insupportable. Les morts qui émaillent le film finissent cachés dans une poubelle ou lamentablement abandonnés sous un pont, le pantalon baissé. Dans cette logique de séduction/répulsion qui caractérise cette peinture implacable de la légendaire mégalopole, la très belle photographie de Robby Müller oscille tour à tour entre couleurs chaudes, presque flashy, et tons désespérément ternes. La musique de Wang Chung, toujours utilisée à bon escient, ajoute une dimension presque surnaturelle, mystique à l’ambiance résolument décadente de To Live and Die in LA, que ce soit dans les deux génériques de début et celui de fin, ou bien dans la scène où John Pankow se retrouve face à Willem Dafoe dans la fabrique de faux billets. Tandis que la réalisation nerveuse et fluide de William Friedkin fait des merveilles, le casting s’avère plus qu’impeccable, dominé pourtant par des acteurs presque débutants à l’époque. William L. Petersen y trouve son plus grand rôle avec celui qu’il tient dans Manhunter (Michael Mann), sorti l’année suivante. Quant à Willem Dafoe, il n’a jamais été aussi sensuel et vénéneux, mis à part peut-être dans Platoon (Oliver Stone). Chef-d’œuvre habité, nihiliste et terriblement addictif, To Live and Die in LA est un film à découvrir ou redécouvrir au plus vite."