mardi, mars 14, 2006

 

People of the moon.

Nightbreed (Cabal en français) est sans aucun doute un des films que j'ai le plus regardé pendant mes années lycée. Des répliques en V.O cultissimes "God is an astronaut and Oz is over the rainbow", le vrai chef d'oeuvre de Clive Barker (et non pas Hellraiser), Cronenberg est fantastique en slasher cagoulé. "Boone est suivi par le psychiatre Decker pour des cauchemars réitérés, peuplés d’une faune étrange, où il est serial killer. Or, dans le monde éveillé, un tueur en manteau, le visage masqué par une cagoule, massacre justement une petite famille à coups de couteau. Le Dr Decker a alors une pénible nouvelle à annoncer à son patient : d’après le recoupement de ses témoignages recueillis sous hypnose et les photos prises par la police sur les lieux du crime, Boone serait bel et bien le meurtrier recherché. Accablé, Boone tente de se tuer en se jetant sous les roues d’un camion, mais ne réussit qu’à atterrir dans une chambre d’hôpital. Il y rencontre Narcisse, qui lui parle d’une mystérieuse cité réservée aux parias, Midian, avant de s’arracher la peau du crâne. Boone s’enfuit et se rend sur les lieux indiqués : à première vue, Midian n’est en fait qu’un grand cimetière abandonné. Mais voilà que surgissent deux créatures fantastiques et agressives : Peloquin et Kinski… Avant toute chose, "Nightbreed" est un massacre cinématographique, et il faut que tout spectateur du film le sache. Ce massacre, c’est celui que le producteur de la Fox a opéré sur le montage du film, sans en avertir le réalisateur-écrivain et au mépris même de l’avis positif du public qui, lors des séances tests, a eu la chance de voir la quasi intégralité du film. Et Morgan Creek avait pour cela les pires raisons qui soient : des raisons morales ("Prenez garde, Clive, les gens risquent d’aimer vos monstres !", "Vous êtes un homme intelligent, Clive, alors pourquoi faîtes-vous des films si horribles et dégoûtants ?"), des raisons d’étroitesse d’esprit (le producteur ne supportait pas que "Nightbreed" soit inclassable, et se vengea encore en organisant à la va-vite une promotion tardive et surtout mensongère sur le contenu du film), et des raisons sociales (Creek déteste les artistes, c’est-à-dire en définitive toute personne dotée d’un univers unique et ne se contentant pas de pisser dans le moule pour faire retentir le tiroir-caisse). Il faut le savoir, parce qu’il faut être juste avec un créateur fondamentalement généreux, et qu’il ne faut pas déclarer trop vite que "Nightbreed" est un film raté : personne parmi nous n’a vu cette œuvre telle que Clive Barker l’a voulue, exactement comme le "Othello" de Orson Welles, qui dut attendre quarante ans (1992) avant d’obtenir, enfin, le director’s cut. Tout la première partie du film, celle où le spectateur fait connaissance avec les personnages principaux : Boone, son amante Lori, son psychiatre Decker, Narcisse et les premières créatures de Midian, a entièrement été charcutée par la Fox, et ça se voit. Les tâcherons de Morgan Creek n’y sont pas allés de main morte, le montage obtenu étant celui d’un vulgaire téléfilm et contrastant abominablement avec la beauté des plans tournés par Clive Barker. Le rythme est systématiquement escamoté au profit d’une lecture rapide, faisant fi de toute création d’atmosphère (on a même droit à des faux raccords), et l’épaisseur psychologique des personnage y est sacrifiée sans vergogne (il vous reste le doublage français immonde, et là c’est le pompon). La scène où Rachel raconte à Lori les persécutions subie par les habitants de Midian au cours de l’histoire (sublime flashback, à l’imagerie apocalyptique digne des tableaux de Jérôme Bosch, et qui peut du coup être vue comme une mise en abîme du massacre organisé par la Fox), contient même un passage où le dialogue est répété tel quel deux fois d’affilée, et on y entend distinctement les "bip" de la table de montage, véritable lapsus technique indiquant que le métrage a été pris en charge par des crétins confimés. Et malgré tout cela, malgré par-dessus le marché un incendie qui ravagea le plateau la veille du premier jour de tournage, et malgré le manque de moyens attribués aux effets spéciaux, aboutissant à des maquillages et à des décors très inégaux (Cabal, Kinski et Lude, par exemple, sont complètement ratés, de même que la surface du cimetière de Midian), la puissance de l’univers élaboré par Clive Barker est telle qu’elle finit par transcender tous ces aléas. La sauce prend envers et contre tout, et il n’est pas étonnant qu’une grande tribu de fans se soit formée derrière "Nightbreed". Psychiatre schizophrène, David Cronenberg a pris un plaisir manifeste à incarner son rôle, tout en componction, froideur et folie pince-sans-rire ("Je suis la Mort !"), résumant à lui seul tout ce que pense Barker de la psychiatrie conventionnelle : un vigile posté à la frontière du rationnel, voué par racisme et par jalousie à la destruction des créatures de Midian, qui représentent toutes les pulsions baroques, effrayantes ou merveilleuses enfouies dans notre inconscient. Decker rejoint dans cet esprit la religion, incarnée par un prêtre sorti d’une cellule de prison, et les autorités policières, ici des rednecks abrutis et haineux se prenant pour les "défenseurs de la liberté", et dont l’attaque finale a tout du génocide. Et oui, "le Peuple de la Lune" (ou encore "Peuple de la Nuit") nous fascine et nous attire, comme une famille intérieure dont les noires particularités n’ont d’égales que leur vulnérabilité. On ne peut qu’être reconnaissant envers Danny Elfman, familier des merveilles décallées avec Tim Burton, d’avoir composé une musique aussi sublime, véritable célébration des richesses et des ensorcellements de l’imagination. Shuna Sassi, version venimeuse et sensuelle d’un hérisson humain, Babette, la fillette de Rachel se métamorphosant en pauvre petite créature lorsqu’elle s’expose au soleil, ne sont que quelques exemples de ce peuple qu’est venu sauver Cabal. Là encore, le coupe-coupe de la Fox a tranché, réduisant le nombre des monstres de 200 à 50, et ne réservant pour la plupart d’entre eux qu’une apparition unique à l’écran (si seulement Barker avait obtenu une production de Brian Yuzna…). Mais l’enchantement résiste, et dans la scène finale, c’est tout le génie de metteur en scène de Clive Barker qui explose, le film valant rien que pour elle tout l’amour que ses fans lui portent. On attend donc de pied ferme que la Fox restitue au réalisateur les rushes soit-disant perdus, afin qu’il puisse remonter la version intégrale et rendre justice aux oubliés de Midian.

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