vendredi, mars 10, 2006

 

Public enemy.

"Un Polar sanglant et musclé qui joue avec les règles du genre pour mieux le transcender. Une pure merveille inédite en France qui trouve à travers cette édition double DVD une légitime réhabilitation. Incroyable tout de même qu'aucun distributeur n'ait eu l'ardent désir de faire cheminer "Public Enemy" jusque dans les salles obscures. Carton public et critique assuré, le film y aurait eu amplement sa place !!! Il manque sur cette édition double DVD un supplément : celui qui nous expliquera un jour les raisons de tant de réticences de la part des distributeurs en France à l'égard d'oeuvres sud-coréennes. Tout comme JSA - Joint Security Area, "Public Enemy" méritait un grand écran de cinéma. Le Polar est à la mode, c'est bien connu ! Longs-métrages cinématographiques, documentaires, téléfilms, séries et même courts-métrages ont un gros faible pour le genre tout simplement parce que nous public nous révélons frénétiquement demandeurs et que nos amis les producteurs (artistes mais hommes d'affaires avant tout) exploitent jusqu'à la trame cet inépuisable filon. Certains vont même par souci de réalisme jusqu'à éplucher les faits divers. A moins que ce ne soit par manque d'imagination ??? Toujours est il que les intrigues fleurissent, les personnages s'interchangent et que le polar tourne en rond. Buddy Movie type L'Arme fatale, Thriller horrifique type Seven ou patronage réflexif type Maigret... parmi ces modèles, faîtes votre choix. Dans ces conditions, difficile de ne retenir autre chose que l'original sous les traits de pululantes copies. Alors, quand on voit passer un "Public Enemy", on ne peut qu'être immédiatement frappé par l'audace de sa construction et son humour si franchement décalé. "Public Enemy" sort visiblement du lot !!! Est-ce que "Public Enemy" renouvelle le genre pour autant ? Pas vraiment. On peut même affirmer qu'il s'inspire très nettement des polars occidentaux à mi chemin entre l'amer réalisme de Black Rain et la fascinante perversité de Basic Instinct. Par conséquent, "Public Enemy" serait-il une pâle copie ? Résolument non puisque le film évite soigneusement de se gargariser de scènes réchauffées. Funambule averti, son réalisateur marche sur le fil tendu par ces deux sources (volontaires ou involontaires) d'inspiration bien décidé à transformer ce "Black Instinct" (ou "Basic Rain") en oeuvre personnelle. A ce petit jeu, Kang Woo-Suk qui n'est pas un débutant (à qui l'on doit déjà le remarquable "Two Cops" toujours inédit en France) excelle. Quelques scènes lui suffiront à poser l'ambiance. Introduction accrocheuse : on parle de flics, on parle de meurtre, on parle de ripoux, on parle d'un sociopathe. Titre ambigü : "Public Enemy" puis on passe aux choses sérieuses. Une fois les jalons efficacement posés, pas question de jouer les touristes. Woo-Suk enchaîne par le portrait aussi surréaliste que misérabiliste d'un Séoul gangrené par une corruption tolérée et même organisée. Couleurs pâles, quasi délavées et rapidité des plans dessinent des séquences saisissantes de vérité empruntant largement au documentaire. Le look du policier, "Serpico" dans ses plus mauvais jours, accentue l'impression de déchéance qui émane de l'ensemble. Puis apparaît le tueur ! Séduisant, propre sur lui, distingué. Une atmosphère glaciale l'enserre tantôt d'une clarté aveuglante, tantôt d'une noirceur inquiétante. Deux pôles d'une schizophrénie ici parfaitement balisée (cf la confrontation dans le bureau du tueur et le jeu de l'inspecteur qui utilise les rideaux). Le jour, sociopathe arrogant, dépouillant de leurs biens la clientèle qui a eu le malheur de lui confier ses investissements. La nuit, meurtrier sans pitié, tuant tous ceux qui ont eu l'outrecuidance de le contrarier. Woo-Suk stabilise son objectif, filtre la lumière et multiplie à l'envie les travellings longs et lents. Il dépeint ainsi l'univers du nemesis : ambiance macabre et raffiné. Rarement contours auront été si brillamment dessinés ! Woo-Suk s'applique et prend son temps. Intervient l'inévitable rencontre, choc social et culturel. Là encore Woo-Suk fait différent. Il étire la scène, y introduit des éléments scatologiques et par jeu ou par cynisme renvoie tueur et flic, tous deux pourris, dos à dos. L'un, le tuteur, devant son amateurisme que ses erreurs répétées peinent à masquer. L'autre, le policier, dans son ruisseau qu'il n'arrive pas à quitter. L'intrigue puise dans ce traitement singulier davantage d'intensité et de gravité. Violence et dérision mènent à la satire. L'humour est cynique. Le crime choquant. Les procédés policiers révoltants. Ni règles, ni décence dans cet affrontement. L'entreprise manque de virer au joyeux bordel. Un moment, on perd de vue l'intrigue ou plutôt on croit la perdre. Illusion d'optique ingénieuse pour mieux salir les protagonistes et les laisser se débattre avec suffisamment de fils narratifs pour alimenter 3 ou 4 histoires policières made in Hollywood. Woo-suk s'interdit la facilité du "droit au but". Pas question de laisser le spectateur indemne. "Public Enemy" sera une promenade jouissive dans les méandres d'un polar remarquablement bien ficelé. Psychologie des personnages fouillée, scènes abouties, situations décalées, dialogues ciselés. Le thème a beau ne pas faire preuve de nouveauté, Woo-Suk le transcende comme s'il voulait ne pas simplement l'exploiter mais bien se l'approprier. Impensable pour le cinéaste de filmer une scène sans qu'elle porte sa marque (cf Evasion d'un des suspects par la fenêtre, l'interrogatoire de ce même suspect habile à manier les couteaux ou bien encore l'autopsie). Woo-Suk ne laisse rien au hasard. Pas le temps d'improviser, tout est minutieusement écrit et impeccablement répété pour ne perdre aucun fil tout en insufflant rythme et originalité. Résultat : nombres de séquences sont marquantes et celle qui ne le sont pas demeurent au pire jubilatoires. "Public Enemy" va à 100 à l'heure sans pour autant flinguer ou taillader à tout bout de champ. La plupart du temps, cette violence physique est suggérée. Le voyeurisme de certaines scènes à déconseiller aux âmes sensibles n'en est que plus terrifiant. "Il n'y a pas pire fantasme que de ne pas en avoir" affirmait Stanley Kubrick dans Eyes Wide Shut. Woo-Suk dans "Public Enemy" met en pratique l'idée. L'horreur, c'est de voir les meurtres mais pire encore et d'imaginer leur sauvagerie et leur cruauté (cf l'assassinat de la mère dans un hurlement de douleur étouffé). La violence morale, quant à elle, est omniprésente. Woo-suk en fait son alliée. Folie meurtrière mais aussi violence des échanges sociaux. Derrière le polar, une réflexion désabusée sur le développement de Séoul qui favorise les riches et oppresse les pauvres. Une seule valeur, un seul Dieu : l'argent. Cet argent qui pervertit le système et corrompt les hommes. Le message est sans ambiguïté. Woo-Suk condamne ces nouveaux riches, criminels sans foi ni loi. La sentence est sans nuance et sanctionne avec exemplarité le crime. Dominante rouge assumée pour un "Public Enemy" opiniâtrement musclé. L'absence de complexe fait savourer l'absence de nuance. On est au spectacle. 2h10 d'un jeu du chat et de la souris protéiforme bourré d'humour. Exaltante surprise d'un cinéma sud-corréen efficace et inspiré. Un polar excellent à ne pas manquer"

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