vendredi, mars 17, 2006

 

Narc.

"4 lettres qui claquent comme le contact d'un fouet sur une peau tendre et vierge. Comparaison étrange ? Méritée puisque le film gifle à la fois nos certitudes et les conventions du film policier. Ni méchant, ni gentil, Narc est un enfer, celui de la came ruinant les vies de ce qui y touchent de près ou de loin. Flics ou Toxico, la came souille les âmes, englue les esprits et flétrit les corps, décharnés à son contact. Elle n'a qu'une seule couleur, bleu acier, celle du désespoir ! Dominante d'une pellicule nerveuse que l'overdose guette à tout moment. Comment lui résister ? Filmer la famille, le cercle protecteur, ou bien alors se shooter ! Surexposition, kaléidoscope de couleurs vives...le shoot fait retrouver la sensation première, le flash de départ. Idée fabriquée d'un Nirvana certain. Carnahan réutilise l'insert des deux aiguilles plantées dans la came ; présence démoniaque, transitions habiles avant un noeud dramatique et / ou une scène d'action. Tout est la cause de ce premier flash, trop plein d'énergie indélébile, ineffable que jamais aucun autre shoot ne reproduira. Le bleu, c'est l'après, la grisaille immuable dans laquelle évolue cet univers que les sensations du premier flash ont trop tôt, trop vite abandonné. On lutte, on court, on inculpe, on arrête en vain. C'est une guerre perdue d'avance. Un seul gagnant : la came qui corrompt tout, jusqu'aux flics qui la combattent. "Narc" est l'héritier de 2 autres polars précurseurs. Le premier est French Connection à qui il emprunte sa poésie réaliste voire surréaliste. Moments forts, dangereusement fascinants, fruits empoisonnés de la plus terrible des violences. (cf la scène du cadavre dans la baignoire, celle de l'interpellation d'un suspect qui a tenté de défigurer sa petite amie). Tableaux baudelairiens d'une déchéance sociale et humaine consommées. Comme lui, il dépeint alors l'univers policier, nourri au sein de cette atrocité endémique. Les flics : mal payés, mal préparés, mal armés, somme toute impuissants, contraints à se sacrifier pour donner le change auprès du citoyen lambda... poursuivre ainsi la folle illusion d'une répression salvatrice. Sauver des vies pour sauver la face...à chacun son héro ! Au flic le service, aux dealers le crack. De maigres résultats à la clé que réduisent à néant une armada d'avocats et de ronds de cuir à coups de commissions, d'ordres, de contre-ordres, d'enquêtes et de contre-enquêtes quand ce qui les attend n'est pas le plomb d'une balle. Hasard putride de ses vies qu'on envoie faire le sale travail. Qu'on désavoue après... comme pour se laver les mains d'avoir exiger que les rues fussent "nettoyés". Le dealer en victime, le flic en bourreau...mais quand l'enfer frappe à nos portes alors le bourreau devient héros...il faut tuer pour notre liberté...tuer pour nos vies qui ne valent pas les leurs... ces flics que la drogue a détruit et qui l'acceptent parce qu'ils ne savent plus trop quoi faire... en quoi être utile...ce qu'on attend d'eux. Ils ont vu l'enfer et en sont revenus... mais la peur au ventre que cette saloperie dévore le monde, leurs villes, leurs quartiers. Combattre la drogue pour les autres ou pour eux-mêmes. Juste la combattre sans avoir l'infime espoir de l'emporter. Voilà de quoi parle "Narc", de cet inextinguible enfer, de la cause, du Mal avec un grand "M" qui poursuit sans relâche de pourrir l'homme et son univers. "Narc" évite soigneusement le traitement de ces films précautionneux, expurgeant ainsi la platitude et le neuneuisme dont nous gratifie abondamment tout bon polar hollywoodien. Oui...la dope est un problème ! Oui...quelques policiers s'acharnent à la combattre ! Certes ces hommes ont du courage mais ils sont faillibles ! Non...la hargne et la détermination qu'ils y mettent ne viendront pas à bout de ce fléau ! Si vous croyez que tout ceci va se terminer par un gentil petit happy end...pas la peine de continuer...hâtez-vous, vous risquez de manquer le dernier épisode des "Experts" ou de "Hooker". Ici, politiquement correct, diplomatie, connais pas ! "Narc" leur préfère sens du rythme et maîtrise du sujet. Première scène : le calme avant la tempête. Transition flash puis scène d'action en ouverture digne de Spielberg et de son Il faut sauver le soldat Ryan. Caméra à l'épaule, bruits de pas, de sueur et souffle haletant...on est dans l'ambiance. Le plan-séquence dans toute sa splendeur avec pour seules lignes force violence et vélocité. Climax pour clore. On passe à la scène suivante, le film semble prendre une courte pause. Je dis bien "semble" parce qu'immédiatement, le flash back (ennemi juré des bluettes hollywoodiennes) prend le relais, écrouant le spectateur dans cette geôle qu'est le commissariat aux murs grisâtres, à l'atmosphère étouffante, sale et malsaine. On y respire les miasmes (bleu acier) du désespoir. Puis vient l'enquête ou devrais-je dire la quête. Se forme alors l'un des tandems les plus réussis du 7ème Art. Face à face au sommet entre Jason Patrick, officier revenu de l'enfer qu'est l'infiltration chez les dealers, et Ray Liotta, massif, musculeux, concentré d'amour, de haine et de brutalité. Deux extrêmes, deux figures...chacun à un bout de cette grande chaîne qu'est l'éventail des effectifs de police. Ensemble, ils allient force et intelligence, enquête et répression, circonstances atténuantes et sanctions. Sybillin est le regard que chacun d'eux portent sur leur "onfrérie" ! Il haïssent le système policier conventionnel...celui qui triomphe, qui se veut moderne, celui qui passe bien à la télé...foutre des PV aux automobilistes, patrouiller dans des quartiers où ils ne risquent rien, faire bonne figure devant les commissions d'enquête, ils laissent ça aux arrivistes. Eux appartiennent à une classe supérieure ; celles des hommes à principe, francs, honnêtes et droits. "Narc" est un film engagé, radical...extrême par certains côtés. Désobéir aux ordres pour appliquer la justice, mentir pour défendre ce à quoi on croit, flinguer l'innocence aveugle d'un monde à la dérive. D'une Humanité qui s'arrange de boniments politiques et d'un fragile sentiment de sécurité. (cf la scène dans le bureau du Commissaire). Surtout pas de vague, la vérité on s'en balance d'autant qu'elle serait inacceptable à entendre...parce qu'il n'y a aucune solution, aucune issue, aucune légale en tout cas et que rien (ni enquête, ni procès, ni sanction) ne serait satisfaisant. Alors, on suit une piste, n'importe laquelle, on trouve un bouc émissaire (mort de préférence) pour lui coller les maux de la terre entière. Affaire classée, maintenant qu'on nous foute la paix !!! 13 ans après Rush (second film à légitimement réclamer la paternité de "Narc"), Joe Carnahan, illustre inconnu, sorti de l'anonymat par un Tom Cruise tout puissant, prend la suite de Lili Fini Zanuck pour signer un film terrible sur le Mal qui infeste nos sociétés : mensonge, orgueil, avidité humaine, concentré en un seul mot : la drogue ! "Narc" est l'histoire vraie de ces hommes, victimes et bourreaux, qui gravitent autour de la drogue...se déchirent, s'entretuent en un rituel sacrificiel. Certains pour la combattre, d'autres pour en obtenir. Narration à tiroir, mise en scène dépouillée. Retour au film noir des années 70 et ses 3 fondements : Interprétation, suspens, rebondissements. Le tout sous l'oeil indiscret d'une caméra expressive, toujours là où elle doit être, ni trop près ni trop loin, constamment en mouvement. Juste ce qu'il faut pour voir, entendre et imaginer une haletante intrigue servie par les nerveux soubresauts d'une réalisation intense. « Narc » filme le monde dans toute sa laideur et toute sa nudité,. Ni romantique, ni héroïque, ni cinématographique...ce monde hurle la sincérité...sincérité à côté de laquelle nous sommes passés en refusant trop souvent de mettre le nez dans nos poubelles. Ne dites pas que vous ne saviez pas mais bien plutôt que vous vous en foutiez... "Narc" témoigne, dérange, accuse !!! Alors les "c'est la vie, c'est comme ça" on s'en passe...laissez ça aux faibles, aux lâches, aux coupables que "Narc" dépeint et condamne...c'est à eux qu'on doit cet enfer...ceux qui ne veulent jamais rien voir pour être sûrs de ne pas s'impliquer ! Intransigeant, indépendant, brillant, fascinant...le film prend des risques, cingle les conventions, gifle le système et frappe à terre ceux qui se risqueraient à trouver en lui un simple divertissement...réalisation magistrale à l'appui, les cinéphiles apprécieront... "Narc" franchit la barre du simple film culte pour se voir propulser (selon Friedkin) au rang de chef d'oeuvre... A voir impérativement"

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