lundi, mars 06, 2006

 

Fritz Lang of the dead.

LE TIGRE DU BENGALE LE TOMBEAU HINDOU L’Inde, à une période difficilement identifiable de la première moitié du 20ème siècle. Un architecte, Harald Mercier (Paul Hubschmid), est appelé par le riche Maharadjah d'Eschnapur, le tout-puissant Chandra (Walther Reyer), pour procéder à divers travaux de construction et de restauration. Durant le voyage qui le mène à Eschnapur, il sauve la vie d’une jeune femme, Seetha (Debra Paget), attaquée par un tigre, et en tombe aussitôt amoureux. Mais Seetha, jeune danseuse du Temple de Bénarès, se rendait elle aussi à l’invitation de Chandra pour se produire lors d’une cérémonie se déroulant en présence des prêtres du Temple. Chandra, veuf depuis peu, avait lui aussi déjà été subjugué par sa beauté, et s’en était également épris peu auparavant. La rivalité entre les deux hommes est désormais inéluctable. Pendant ce temps, dans la ville, les proches du Maharadjah estiment que ce dernier subit trop, dans son comportement et sa politique, les influences européennes ; Ramigani, frère aîné de Chandra, profite de ce courroux grandissant pour mettre en place un complot destiné à le renverser. Seetha va devenir l’enjeu de ses noirs desseins ; Une tempête de sable s’élève sur les dunes et les deux protagonistes, épuisés, s’écroulent sous le soleil brûlant, les rapaces venant tournoyer autour des deux corps inanimés…Et Le Tigre du Bengale nous laisse sur ce goût d’inachevé ! Effectivement puisque, fait assez rare au cinéma, ce diptyque en est un au sens fort du terme, à savoir constituant un seul et unique film. Il n’est en effet pas concevable de n’en voir qu’une partie puisque, comme pour Kill Bill de Quentin Tarantino tout récemment, les deux œuvres forment un tout cohérent et indissociable. Encore une fois, le tournage de ces deux films (en les évoquant à partir de cet instant, pour plus de facilité, nous ne parlerons plus que d’un film que nous appellerons "le diptyque") ne fut ni un caprice de vieillard (Fritz Lang allait sur ses 70 ans) et encore moins une commande purement commerciale mais une histoire qui prit naissance quasiment 40 ans plus tôt. En 1919, en plein expressionnisme allemand, Fritz Lang écrit avec sa future épouse, Thea Von Harbou, l’adaptation du roman de cette dernière, Das Indische Grabmal. Cela donne un film en deux parties dont la réalisation lui glisse des mains au profit du producteur Joe May. Conrad Veidt en est l’acteur principal et le succès est immense. En 1938, un remake est mis en chantier, toujours en deux épisodes filmés par Richard Eichberg qui y ajoute au passage quelques péripéties (témoin le générique de début du film de Lang, ce dernier reprendra ces derniers ajouts dans sa version de 1958). Après l’échec d’un projet sur le Taj Mahal, Fritz Lang accepte la proposition que lui fait Arthur Brauner en 1957 : filmer une troisième fois cette intrigue, en couleurs ce coup ci et avec un budget très important (pas moins de 4 millions de Marks). « C’est un signe du destin » dira le cinéaste qui obtient pour l’occasion carte blanche pour mener à bien cette superproduction avec une totale liberté de mouvement. Le diptyque est alors pour Fritz Lang un véritable retour aux sources à la fois géographique, après avoir fui l’Allemagne nazie et s’être exilé en France puis longuement aux USA, et professionnel, reprenant une histoire créée en tout début de carrière pour en faire, à une œuvre près, son testament cinématographique (Le Diabolique Dr Mabuse étant son dernier film). L’Inde exerça, dès les années 1930, une incroyable fascination auprès des cinéastes occidentaux. Ce furent d’abord toute une série de films anglais et hollywoodiens sur l’Inde coloniale avec ses lanciers du Bengale bondissants, ses toutes jeunes mascottes du régiments, ses épiques charges de la Brigade Légère, ses porteurs d’eau héroïques ou ses quatre plumes blanches ; des œuvres réalisées par John Ford, Alexander Korda, George Stevens ou Henry Hathaway appelées à glorifier les exploits de l’Empire Britannique aux Indes. Certains, comme Les Trois Lanciers du Bengale, sont, malgré cette prise de position aujourd’hui réfutable, des chefs-d’œuvre n’ayant pas pris une ride. Puis les mentalités changent ; le choc des cultures devient alors le sujet principal d’œuvres apparaissant de manière plus sporadique, mais d’autant plus précieuses qu’elles se font rares et, la plupart du temps, donnant lieu à de superbes films. Ce "serial de luxe" ou "devoir de vacances", comme il fut souvent taxé, contient absolument tous les clichés du film d’aventure dit "exotique" : personnages unidimensionnels avec prêtres fourbes, princes ambitieux, politiciens véreux, domestiques bafoués, danseuse charmante, héros au cœur pur ; péripéties vraisemblables ou non à foison ; happy-end... Mais derrière la naïveté voulue de ce somptueux livre d’images se cache une richesse symbolique étonnante (d’innombrables signes parsèment les deux films, symboles que je vous laisse le loisir et le plaisir de découvrir par vous même), un certain sadisme et un fort potentiel érotique, témoin la seconde danse de Seetha devant le cobra, la danseuse se déhanchant lascivement pendant cinq bonnes minutes quasiment nue devant les prêtres et le spectateur. Même les péplums italiens des années 60, qui iront assez loin dans cette veine, n’arriveront jamais à un tel degré de volupté et de sensualité. L’autre thème (peur) que Lang a fait sien dès sa première période allemande est celui du pouvoir absolu, symbole du Mal, déjà abordé dans Metropolis ou Mabuse avec leurs personnages mégalomanes. On reconnaît dans les lépreux jetés dans les geôles obscures situées dans les bas-fonds de la ville, les mêmes gestes, la même peur et la même folie que le peuple dans Metropolis ou que la foule dans M ou Fury. Ces "morts-vivants" préfigurent aussi étrangement les zombies de Romero et pourront impressionner les plus jeunes spectateurs. D’ailleurs, le fantastique mystique se fait très présent dans le courant de l’intrigue : une brume de fumée passe sur le visage de la déesse au moment même de l’apparition d’un intrus dans le temple ; une araignée tisse sa toile pour cacher l’entrée de la grotte. Il est évident que pour apprécier ce film, il faut se laisser prendre par la main par le conteur hors-pair qu’est Fritz Lang qui nous déroule sa "BD" épurée, philosophique, sociale, exotique et rocambolesque sans aucun second degré. Il faut accepter les invraisemblances et la naïveté voulues, la fadeur d’ensemble de l’interprétation (même Debra Paget, sublime danseuse, se révèle assez décevante en tant qu’actrice), une partition plutôt ratée de Gerhard Becker pour Le Tombeau hindou (alors que Michel Michelet nous délivre par exemple dans Le Tigre du Bengale une marche triomphale d’une puissance assez phénoménale) et certains effets spéciaux totalement loupés comme la "marionnette" du cobra qui aurait très bien pu être créée par Topor pour son émission Téléchat. Mais la beauté plastique irréprochable du film, sa trame agitée de serial (dont Spielberg s’est certainement souvenu lors de la préparation d'Indiana Jones et le Temple maudit), la rigueur absolue de sa mise en scène, la magie de cette intrigue intemporelle, le rythme de ces péripéties incessantes, devraient au final mettre un terme à vos réticences et vous faire tomber sous le charme de ces 195 minutes assez uniques.

Comments:
ah ben bravo le jeu de mots. Je ne vous félicite pas.
 
C'est mon côté Laurent Ruquier...

J'avais aussi Friz Lang de porc, Fritz Lang fourrée...Fritz Lang tern, La bière de l'ami Lang...

Bonsoir.
 
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