jeudi, décembre 29, 2005

 

Metal hurlant.

Chopé ça dans les inrocks, ça file envie de se taper quelques bouquineries non ? "En 12 ans (1975-1987) Métal hurlant a changé la face de la bd, du rock et révélé une génération d’auteurs influents et capitaux. Son histoire turbulente est désormais consignée dans un ouvrage gargantuesque. Métal hurlant : le nom, déjà, est détonnant et quasi programmatique, annonciateur d’une irréversible déchirure esthétique. Bouleversant en un laps de temps très réduit toutes les certitudes de la bande dessinée, mais aussi de quelques autres phénomènes culturels des années 70 et 80, à commencer par le rock, Métal hurlant a été un magazine dont la vie a duré environ douze ans de 1975 à 1987, s’imposant surtout comme un phénomène à la fois éditorial et social. Au hasard, ce magazine est à la bande dessinée et à la presse française ce qu’ont du être, à peu près au même moment, les sex pistols pour le rock : une troupe composée de personnalités hétéroclites et déjantées, obsédées par la double contrainte de perpétuer une certaine tradition tout en la cassant en mille morceaux. Résultat : un laboratoire d’où sont sortis les artefacts les plus populaires et les livres les plus expérimentaux de leur époques. L’histoire turbulente de métal hurlant est un vrai sac de nœuds, au départ c’est un fantasme, qui prends corps grâce à quatre jeunes gens qui vont en être les cofondateurs : Jean Pierre Dionnet, Jean Giraud (alias Gir, alias Moebius, déjà très en vogue graçe au succès de l’excellente série qu’il dessine avec génie Blueberry), Philippe Druillet (dessinateur de SF, qui s’est un peu perdu récemment : il a réalisé les décors des rois maudits de Josée Dayan) et Bernard Farkas (directeur financier de l’équipe). Une même passion pour les livres de Sf réunit Dionnet, Giraud et Druillet qui, tous les trois, tiennent au début des années 1970 une chronique sur le genre dans les pages de Pilote. Les prémices de Métal hurlant surgissent donc là et, sous l’influence conjointe des trois trublions, Pilote s’ouvre davantage à l’actualité et tente de se moderniser (Goscinny craint surtout de perdre Giraud et son Blueberry). Pour Dionnet, Giraud et Druillet, il s’agit surtout rétrospectivement d’un banc d’essai, qui va leur permettre de tester quelques idées en gestation. Celles-ci prendront en fait entièrement forme vers la fin de l’année 1974, lorsqu’ils fondent une maison d’édition, les humanoïdes associés, d’où émerge, début 1975, Métal hurlant, alors trimestriel. Jean Pierre Dionnet en est le directeur de la rédaction. Bien qu’ils aient tous la trentaine, avec déjà une expérience conséquente de la BD et de la presse, c’est lui, le plus jeune de la troupe, qui insuffle l’esprit de l’ensemble. « D’éducation plutôt bourgeoise, il n’hésite jamais à fouiller dans les poubelles et il est fasciné par les arts mineurs. Sa culture est transversale. Surtout, Dionnet est visionnaire, car il fonde son magazine autour de l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs. Serge Clerc, Denis Sire, Frank Margerin, Luc Cornillon, Yves Chaland : autant de dessinateurs qui ont débuté dans les pages de Métal hurlant et qui, les années suivantes, ont construit des carrières souvent exemplaires, dont les extrêmes semblent être le succès commercial inouï de Margerin dans les années 1980, l’oubli quasi-total dans lequel est tombé aujourd’hui Serge Clerc et le culte grandissant qui s’est construit autour de l’œuvre empreinte de nostalgie et de modernité fulgurante de Chaland, décédé accidentellement en 1990. Le magazine trouve une forme d’équilibre instable avec l’arrivée d’un transfuge turbulent de Rock & Folk, où il était pigiste : le jeune Philippe Manœuvre, qui démarre comme secrétaire de rédaction, devient vite le double de Dionnet, ou plutôt l’autre tête pensante du magazine. L’énergie de Manœuvre a été fondamentale pour Métal hurlant, il bossait beaucoup et était très complémentaire de Dionnet auquel il a apporté de la rigueur. Dionnet brassait ainsi les idées, lançait les projets et Manœuvre, une bête de travail, s’emparait de tout. Esthétiquement, il est à des lieues du savoir encyclopédique de Dionnet, notamment en BD. Son truc, c’est plutôt la SF (ce qui le lie à Dionnet) et surtout le rock n’roll. Devenu rédacteur en chef, il va initier, comme une synthèse irréprochable de ses goûts et de ceux de son complice Dionnet, l’avènement du rock au sein de la BD. Ainsi, notamment grâce à quelques bandes comme taillées à la hache par l’élégant Serge Clerc, Métal hurlant devient une sorte de caisse de résonance du punk et du rock le plus actif du début des années 1980. On y croise des pages consacrées à des histoires dessinées de Clash, des Cramps, des Rolling stones (étonnant de la part de ce cher Manœuvre), des sex pistols, etc… Loin de se contenter seulement du rock Métal hurlant investit aussi sexe et drogue, comme en écho aux préoccupations de l’époque. Le sexe se dévoile ainsi comme une composante des BD du magazine mais sans jamais sombrer dans la pornographie ou la vulgarité : détourné, dérouté ou, au contraire, dépeint de manière réaliste, il n’est rien d’autre qu’un élément des histoires, sans tabou ou censure. La dope aussi, est une composante du journal, ou plutôt des ses auteurs : Moebius dessine beaucoup sous influence de la fumette, tandis que d’autres moins hippies que lui, sont plutôt au speed ou aux amphétamines. D’une manière générale, le ton du magazine est très décapant. Et on y trouve, en plus des BD, des chroniques acides, comme celle de Berroyer à propos d’un disque de Patrick Eudeline constitué d’une unique phrase : « Je n’ai jamais su être méchant ». Très vite aussi, le magazine publie de longs papiers presque surréalistes, parmi lesquels le dossier de Philippe Manœuvre « L’homme au masculin » demeure un mélange exemplaire et hilarant d’invention littéraire, de stylisation gratuite, d’autodérision impeccable, oscillant entre un délicat travail de faussaire, la blague de potache et l’analyse plutôt fine des tendances sociales. En douze années Métal hurlant fait un parcours de comète, et son influence atteint aussi la littérature (Charles Bukowsky, Hubert Selby Jr sont publiés par les humanoïdes associés et Métal hurlant), le cinéma via l’influence des auteurs de Métal sur la SF moderne (Dionnet et George Lucas se sont même échangé des lettres…) et la télévision. C’est en fait la télé, en plus des questions d’administration et de modèle économique un peu bancal, qui a précipité la fin du magazine : une fois Manœuvre et surtout Dionnet partis faire les enfants du Rock, la vitalité du magazine s’est relâchée. Dionnet avoue « J’avais les Enfants du rock, ça marchait très bien, je buvais des coups avec James Brown, je passais mes nuits avec les coconuts, j’étais le roi du monde. Playboy m’envoyait toutes ses femmes nues en me proposant de dîner avec Traci Lords, ça allait bien, c’était bien ? C’était bon…Je cochais sur les agendas des agences de mannequins les nanas que je voulais avoir, je mettais ça dans mon bureau, au mur, je cochais d’une croix celle que je connaissais et de deux croix celles que j’avais eues, je devenais complètement lamentable. Et je me disais « Ce canard, maintenant, mais qu’il crève ! » Avec le recul, l’influence graphique du magazine se révèle essentielle, tant les dessinateurs contemporains demeurent marqués par ce qu’ils ont pu y lire ou découvrir. Et cela même aux Etats-Unis où une adaptation sous le titre Heavy metal a sans doute été un point important entre deux traditions et explique peut-être la forte prégnance d’une sensibilité européenne dans les livres de certains auteurs américains. Les travaux de Serge Clerc et Yves Chaland ont d’ailleurs dû profondément marquer les imaginaires de Chris Ware, Daniel Clowes ou Charles Burns qui en sont de logiques extensions. C’est à travers de telles contaminations que se perpétue allègrement l’esprit d’un magazine dont on a pu croire qu’il était bon pour l’embaumement muséal, mais dont l’esprit demeure ainsi encore très vivace et stimulant, exclusivement canaille."

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