vendredi, novembre 27, 2009

 

La superbe.

Benjamin d'Elista me retire les mots de la bouche, du coup je lui laisse le dire mieux que moi.
"En matière de musique et plus encore hélas de chanson d’ici, ma déception à l’écoute des disques plébiscités par les critiques est souvent proportionnelle à mon enthousiasme prématuré. Il y a une sévérité, une exigence terrible de ce côté-ci de la Manche et je ne déroge pas à la règle : les paroliers, les compositeurs, les interprètes ont une obligation de fulgurance, et, si possible, d’originalité, d’impact et de sophistication, qui ne souffre pas l’exception. Souvent injustement sali – au gré des modes et à la faveur du complexe ou du dédain d’ailleurs parfois un peu puéril, qu’expriment beaucoup de musiciens pour leur propre langue, se considérant régulièrement plus efficaces et plus crédibles dans celle de leurs fantasmes (vous aurez compris que c’est souvent un leurre, à mes yeux - mais pas toujours... écoutez le dernier Phoenix !) - la chanson est un genre en soi : elle a ses référents, ses codes, ses sentiers battus et ses chemins de traverse. S’y frotter c’est toujours se frotter aux patrons, posés depuis des lustres à la manière de barrages en travers de la route ; "attention, si tu prends à droite, tu vas te cogner à Gainsbourg, si tu prends à gauche, à Brel ; si tu vas tout droit, tu vas buter sur Noir Désir et si tu bifurques en chemin, Bashung t’attend, embusqué." Vous voyez ce que je veux dire ? C’est bien sûr intimidant et relativement dissuasif. Personne n’échappe à la comparaison flatteuse ou volontiers assassine et tout le monde en conséquence doit trouver le moyen de faire briller son propre astre. Ajoutez à cela que la plupart des labels conçoit le développement des artistes sur deux disques, là où il en fallu d’innombrables à Gainsbourg pour rencontrer son public et vous comprendrez mieux pourquoi la langue française, musicalement parlant a du souci à se faire. Bref : dans ce contexte sinistre et éminemment propice à l’auto-combustion, je dois avouer, contrit, que ça faisait longtemps que je ne m’attendais plus à recevoir des gifles aussi fortes que celles que m’ont donnés, à l’adolescence, les patrons évoqués quelques lignes plus haut, et certains de leurs héritiers, instantanément reconnus, tels Miossec ou Dominique A. Combien de "Boire" et de "Remué" par décennie ? Combien de NTM et de "Mustango" ? Combien de "La Rage de Dire", combien de "Comm’si la Terre penchait" ? Evidemment pas des masses… Variétés pour tout le monde.
Si je me trompe, détrompez-moi, je ne demande que ça, mais à mon avis force est de le constater : il n’y a plus de grands albums, il n’y a plus que des grandes chansons. Ce qui n’est déjà pas mal, mais tiens, cette tournure de phrase me rappelle quelqu’un.

Vingt-deux titres et allez donc. Un double album, en fait. Si l’on considère que sur un disque moyen, qui en contient entre dix et quinze, on en jette six ou sept qualitativement – je suis de nature pessimiste - qui sont là pour remplir l’espace autour du single, on pouvait s’attendre au pire. Tout ça pour dire tout de suite que ce disque a autant d’aplomb que de mérite : il est tout en paradoxes ou tout en opposition. Il arrive à une époque où l’on découpe un disque pour en vendre les chansons une à une sur Internet et il est rond comme un œuf, cohérent de bout en bout, d’une densité fabuleuse car tout à fait respirable – je dirais même qu’il y souffle un petit vent de folie et de liberté jouissif. Mais les chansons, alors ? Les maillons, un à un, qui forment ce beau bracelet généreux et brillant ? Disons-le : elles secouent.

"Ton Héritage", d’abord, salué de part et d’autre, a mille fois mérité ses louanges. Charnelle, précieuse, au plus près de l’os, organique, classique (et dans classique, il y a surtout "classe"), extrêmement tout, elle flirte avec tous les qualificatifs possibles, et en ressort grandie ; cette chanson, si vous en écrivez, est à vous filer des complexes – et d’ailleurs elle m’en file.
Et le reste ? Le reste aussi. "Ton Héritage" et c’est pour une fois une bonne nouvelle, c’est l’arbre qui cache la forêt. Tout ça me Tourmente, "La Superbe", "Padam", "Night Shop", "Tu es mon Amour", "Brandt Rhapsodie" : voilà les chef-d’oeuvres, peut-être en oublie-je un ou deux, on reste léger au point où on en est ; de toutes façons, rien n’est à jeter. Les textes sont à tomber par terre, ciselés et balancés, les deux ou ni l’un ni l’autre. Ils sont en apesanteur. Quand on revient sur la terre ferme, c'est renversant, je vous dis. Les mélodies sont directes, elles vont à l’essentiel, et en même temps chaque morceau fait un peu ce qui lui chante, butinant ça et là si l’envie lui en prend avant de disparaître. Ecoutez Brandt Rhapsodie : c’est d’une intelligence qu’on pressent instinctive, ça arrive avec une candeur déroutante, et pourtant, ça fait mouche, sans trucage, sans frime : ça tape dans le plexus - c’est du meilleur niveau. Touché, boum, ça transporte et ça fait réfléchir. On rêve. On est ailleurs. C'est rarissime, c'est de l'or.
Le niveau suivant, d’ailleurs, c’est celui de l’excellence : "15 Août, 15 septembre", "Mélancolique", "Raté", "Jaloux de Tout", "Si tu suis mon regard". Ça coule avec une évidence surprenante ; vingt-deux titres, disais-je ? Ils passent avec un naturel savoureux.
Et après ? Après, c’est encore magnifique. Neuf autres chansons qui lient le tout avec grâce et lui en donnent l’état – parfois, des embardées au culot merveilleux, comme cette Toxicomanie minimaliste, savoureuse, parfaite et ce curieux "Buenos Aires" dont je me dis que vraiment, sur ce disque, tout est permis. Moi, j'en ressors franchement transporté, bouleversé, ébahi ; un peu comme d'un grand huit, du haut duquel j'aurais vu, miraculeusement, le monde sous un angle inédit.

Alors voilà – entre deux recueils de nouvelles ("Hollywood en Larmes" est sorti ce mois-ci en librairies et "Kicked Ass" sort en février) et avant que ne sorte notre troisième album à nous, Elista, dont vous serez ravi de savoir qu’il est encore chaud et prêt à être livré, je n’ai pas pu m’empêcher de vous faire partager ce secret que tout le monde se répète et qui pourtant conserve tout son mystère" et qui s’appelle "La Superbe" de Benjamin Biolay.
Je vous préviens tout de suite : ça n’est pas le meilleur disque francophone de l’année. C’est le meilleur disque francophone de ces cinq dernières années. Enfin, au moins, bien sûr, parce que je suis encore loin de l'avoir épuisé, et, donc, de lui avoir complètement rendu justice. Et vous savez quoi ? Je me réjouis que ce ne soit pas fini. Lui et moi, on est partis pour ne jamais se perdre de vue - ou d'ouie, pour être précis.

Benjamin"

Comments:
Et Benjamin a bien raison
 
Tu crois que ça s'use un Cd à force de l'écouter parce que celui là je vais l'user. J'en déduis que tu aimes alors ?
 
Aha, tu as donc fait suivre le blog d'Elista... Ravi que tu te sois retrouvé dans ce que j'ai écrit. Et en espérant que notre troisième album à venir soulève autant d'enthousiasme ! Bon week-end,

Benjamin
 
Très bon article, comme toujours. Il a le mérite de susciter le commentaire
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