mercredi, juillet 12, 2006
Ca ne vaut pas un Cloup.
Je me souviens du concert de noir desir "un jour à Bordeaux" avec une dizaine de groupes pour trois fois que dalle et d’un petit connard qui se la pétait à mort et avec qui je m’étais embrouillé et que j’ai revu en train de chanter avec Diabologum (honte) et ben il était chez Lullaby Vendredi soir dis donc! J’oublie jamais une sale gueule de con… J’ai chopé ce texte sur un site dont j’ai oublié le nom, et ça traduit parfaitement l’impression que j’ai eu pendant l’interview : Un mec gentil mais pas là, jamais raccord, ailleurs. C’est marrant les gens qui sont pas en phase, en perpetuel décalage comme un age bête qui finirait jamais "Michel Cloup s’arrête net dans une petite rue de Toulouse, sort un autofocus de son sac et prend une photo d’une affiche d’Experience, aux trois quarts déchirée, recouverte de publicités électorales et de 36-15 Vagina. "Elle fera très bien sur mon site internet", explique-t-il. Un jeune garçon au regard affolé, circulant sur un scooter, pile devant lui. Il lui dit salut Michel, comment ça va, tu te souviens de moi, c’était à un concert, on avait parlé, t’as deux minutes, je gare mon engin. Il lui dit d’emblée qu’il a balancé sa guitare par la fenêtre, que c’était une Ibanez, sa guitare, qu’il voudrait en acheter une autre. Michel, il sourit, il lui dit que si sa prochaine guitare il doit aussi la balancer par la fenêtre, alors il vaut mieux qu’il rachète une Ibanez. Moi je m’éclipse, salue Michel et le jeune homme. Le garçon qui m’avait ignoré au début me répond d’une voix douce et absente "Au revoir monsieur". Il le dit sur un ton atrocement mécanique, comme s’il s’adressait à un jeune balladurien. Merde, petit con. Michel sourit. Il écoute calmement et hoche la tête de temps en temps. D’un côté il semble égaré, contemplant avec un intérêt amusé les rites d’une société qui lui est autant familière qu’étrangère. Etrange ère. De l’autre, il avance, très vite, droit, rectiligne, il règle son pas sur ce qui va suivre. Il est vivant, ni sous ni sur. Michel, il dit qu’il a raté la sortie d’Aziz du loft -d’ailleurs, comme les captifs du Loft, ne lâche-t-il pas des "C’est clair" dans ses textes ?-, que la connerie humaine n’a pas de limites. Il dit aussi qu’il a raté l’expérience humaine de Diabologum, qu’il n’a plus aucune nouvelle de ses anciens camarades de Je. L’un fait un autre groupe au sein du même label, l’un monte des décors de théâtre, l’autre enfin fait du skate board... Apparemment, il s’en fout, plus son problème. Auparavant, Michel Cloup était arrivé à notre rendez-vous exactement à l’heure et ne portait, à part son visage (on dirait que ses yeux, deux traits, découpent des fentes au rasoir pour voir à travers les journaux, comme quelqu’un qui surveille une classe d’étude et qui dit : "Faites pas les cons"), aucun signe distinctif. Peut-être des baskets (sans marque) parce qu’il est jeune ou qu’il a des ampoules mais c’est tout, la seule concession faite à l’image. En fait, le leader d’Expérience est exagérément normal : il n’y a aucune attitude chez lui, aucune ostentation, aucune pose. Michel est lisse, sans aspérité, on dirait un espion, le gars qu’on croise mais qu’on ne remarque pas. Comme l’homme invisible, il lui faudrait mettre un chapeau mou, des lunettes de soleil et un grand imperméable pour le faire exister un peu au-delà du champ de vision. Sa discrétion, c’est une tenue de camouflage. "Il" nous observe, "il" voit des choses que les autres ne remarquent pas, "il" est lucide. Le Cloup de la société du spectacle. Ne comptez pas trop sur sa participation. Il le sait, il le dit, on lui a dit, comme à tous ceux nés au bord du premier choc pétrolier. Michel Cloup est Expérience désormais. "C’est ce qu’il reste de Peter Parker Expérience", dit-il, le groupe qu’il avait fondé dans le temps, bien avant Diabologum. Il a décidé dorénavant de s’occuper un peu de lui. De lui mais aussi d’autres personnes, des musiciens qu’il fallait bien qu’il embauche pour s’occuper correctement de lui. Il a pris le temps mais il a reformé un groupe, composé au compte-gouttes des soirées chez les amis et des plans "Tiens je connais un bassiste qui fait des trucs déments tu vas a-do-rer". Par trois fois Michel a adoré, du moins il s’est senti de relatives affinités avec Widy Marché (guitare), Francisco Esteves (basse) et Patrice Cartier (batterie). Tous les quatre, ils partagent un même état d’esprit : "Sinon ça n’aurait pas marché, je crois", toussote Michel. Lui a gardé l’envie de travailler à plusieurs. A moins qu’il ne soit réellement égoïste et qu’il ait eu besoin de trois corps pour monter sur scène. Impossible : il est trop candide pour tirer des ficelles. Il sait manipuler des guitares, pour le reste... Il insiste bien sur la notion de groupe. "Je ne préfère pas que tu fasses des photos de moi tout seul. Expérience, c’est un groupe..." Michel a voulu de Widy, Francisco et Patrice (eux aussi, du reste) à un moment où cela semblait impossible. Michel a dû surmonter le désastre humain de Diabologum, penser qu’une rupture pouvait à nouveau se produire... "Ce fut très dur. Je suis très méfiant, je suis toujours méfiant, très méfiant même, très très très méfiant... Mais ça n’empêche rien, hein ! Disons que par le passé j’étais vachement naïf et prêt à m’emballer pour un oui ou pour un non et maintenant je laisse les choses se faire... Cela dit, tout se passe très bien avec les autres membres d’Expérience". Il est vrai qu’on a beaucoup dégoisé, dans les cénacles pop, de la séparation de Diabologum et, pour Michel, des difficultés qui ont présidé à la naissance d’Expérience. Il dit que c’est plus simple qu’il n’y paraît. "Tour à tour ils se sont montrés intéressés, ils sont venus et puis voilà. Cela s’est fait très vite et très simplement. Après ce qui a été long, c’est la mise en place des morceaux et la répétition parce qu’on n’avait jamais joué ensemble et qu'eux, étaient un tout petit peu plus jeunes que moi et avaient moins l’expérience de la scène. Il a donc fallu pas mal répéter pour rendre le truc cohérent et soudé". Le truc comme il dit est plus que soudé. On croirait d’ailleurs qu’il a toujours existé. Vu de l’extérieur, Aujourd’hui, maintenant.LP ne marque pas la métamorphose de Michel. On le retrouve là où il nous avait laissé chez Diabologum : une voix blanche et monotone qui taquine le phrasé hip-hop ; des guitares lourdes et déchiquetées qui interviennent ultra violemment dans la construction des morceaux ; le recours à l’électronique et à des boucles armées jusqu’aux dents qui ne laissent rien passer dans le champ de tir. Le tout est un bloc. Autant Diabologum mettait en valeur quatre individus, quatre personnalités, autant Expérience, si l'on reconnaît l’omniprésence de Michel, est un monolithe qui s’efface entièrement au profit des morceaux. Derrière leur structure et la voix de Michel, l’ensemble guitare-basse-batterie n’est pas sans rappeler l’Expérience qui suivait Jimmy Hendrix (le guitariste était accompagné d’une puissante et complexe bouillie sonique) ou du jeu compact et homogène que l’on retrouve dans le jazz autour d’un chorus. Or Expérience n’a pas de soliste. C’est un vrai groupe de pop. Simple et immédiat. La différence entre un grand club et une grande équipe ? Diabologum était un grand club. Michel sourit. Il se rend compte qu’il place le mot "expérience" un peu partout. Ce nom-là le suit. Au café, autour de lui, les gens lui sourient. Il est connu dans le quartier. Des parents encouragent une petite fille à aller lui faire la bise. "Va, va, va dire bonjour à Michel..." Il lui adresse un sourire effacé en pressant la tranche de citron de son verre de Perrier. Presque un luxe le Perrier pour celui qui comme nous se souvient de "[nos] 30 mètres carrés pour 1420F, des soirées interminables, des spaghettis pour dix, de la distribution de prospectus à l’entrée du parking". C’est le décorum d’Aujourd’hui, maintenant, le titre qui ouvre l’album. Michel y dit "qu’est-ce qu’on est con à 20 ans mais quel plaisir on y prend, on est toujours capable d’en faire autant, aujourd’hui, maintenant". Texte d’une génération sacrifiée, "d’entrée vaccinée contre l’optimisme naïf". Les moins de 35 ans savent de quoi il parle. On leur a bien dit dès la maternelle qu’ils n’avaient rien à espérer, que s’ils trouvaient un petit boulot il fallait qu’ils s’estiment heureux, que la violence s’était transposée sur le terrain économique, que de toutes façons personne ne leur viendrait en aide et que les idéaux avaient précédé la politique dans l’estomac des vers. A quoi bon faire la révolution ; c’est de l’énergie gaspillée. La chasse au gaspi, la crise de l’énergie, discours des années Giscard, des années fondatrices. A défaut de pétrole on conseille d’avoir des idées, ça ne coûte rien. Michel a des idées. Il n’est guère plus fortuné mais au moins, "[il] est vivant". Et "s’il s’agit d’être libre, du moins autant que possible, essayer". Essayer, résister. Les idées, il les camoufle. Trop repérables les idées. Pas de slogans percutants mais des phrases plates et poétiques, atones, mince filet d’eau coulant d’une Fontaine, Brigitte : "En montant ces circuits électriques / qui sont en fait les pièces détachées de répondeurs téléphoniques / on s’est rendu compte que des messages avaient déjà été enregistrés / les ouvriers coréens chantent pour les tester". C’est le texte des Ouvriers coréens. Poésie d’aujourd’hui (maintenant). Le fond de l’ère y est jazz, aussi ronronnant et virevoltant qu’un four à micro ondes Daewoo. Ah ! jazz, le mot est lâché. Celui-là aussi, Michel le dérobe aux regards. Maudit jazz que l’on place à tout bout de champ quand on n’a rien à dire, méchante musique qui donne un style tout fait à ceux qui n’ont rien fait. Le jazz il faut d’abord pouvoir l’aimer avant d’en parler, d’en parler, d’en parler... Michel le résume simplement : "Des kilomètres de phrases pour ceux qui aiment le jazz". Lui a vu jouer le guitariste Noël Akchoté et le saxophoniste Daunik Lazro sur l’album de Mendelson Quelque part, un disque dont il a assuré la production. Il a écouté l’énergique Akchoté, bandant archer de la six cordes, guitar eros. Michel, c’est son truc les guitares. Il joue sur une Gibson. D’ailleurs, comme un motard lorsqu’on lui parle de motos, il est franchement heureux qu’on le branche guitares et amplis. D’ailleurs, son rêve c’est de démonter des guitares et d’en monter de nouvelles, de bricoler, de fabriquer, d’expérimenter d’autres résonances. Pour l’onde de choc. Par ailleurs choc des photos. Sur le disque, le dernier titre cédéromisé, Se détacher, est illustré par des images de Béatrice Utrilla, une artiste toulousaine qui travaille sur l’essence de la technique photographique. Sur le site internet d’Expérience, elle révèle ainsi des sources de chaleur ou de lumière cadrées de très près : ampoules, interrupteurs, cigarette, allumette, gaz de cuisinière. Michel aime mettre en rapport la musique et l’image. Avec la photographe, il a exploré une autre issue, a mis à jour une nouvelle cache d’armes. "Le point de départ, c’était la pochette du #3 de Diabologum. On cherchait une pochette, on cherchait un graphiste, en fait on ne savait pas trop ce qu’on voulait, et une amie m’a donné son catalogue, c’était une expo dans laquelle il y avait ses photos. Et tout de suite j’ai vu l’image, j’ai montré ça aux autres et je leur ai dit que j’avais vraiment l’impression que c’était ça la pochette du disque. Les autres étaient tout à fait d’accord alors nous l’avons contactée. Et alors que ce devait être un simple travail sur la pochette, nous sommes devenus amis au fur et à mesure. Et nous avons eu envie de pousser plus loin le travail. Parce que le #3 existait déjà, le disque existait déjà et ces images existaient déjà. Elle ne les a pas conçues spécialement pour le disque. Du coup nous avons voulu travailler ensemble et moi je me suis rendu compte que j’appréciais énormément son travail et je pense qu’elle aussi aime le mien. Alors ça facilite les choses et tout s’est fait très simplement. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes". Cette passerelle entre les deux disciplines artistiques existe aussi sur scène. Comme ça au moins, c’est clair. "Widy, notre guitariste, qui est aussi réalisateur de courts métrages, a travaillé l’image dans nos concerts. Les chansons sur scène ont été habillées avec des images et il y a des projections vidéo. Je pense que ça va continuer. Et le travail avec Béatrice n’est pas terminé. Il y a encore deux mois nous faisions une performance à Toulouse, à La Plage, une galerie, et nous allons poursuivre notre collaboration. Ça m’intéresse. Je suis même très content d’avoir pu concrétiser sur le CDRom, les expositions et le travail sur scène avec Widy. J’en avais envie depuis très longtemps. Avec Diabologum on n’a jamais eu la possibilité, on n’a jamais réussi à mener le truc à terme alors que moi ça m’a toujours intéressé". Un clip vidéo sur Experience ? "Il devrait y en avoir un. Nous avons quelques projets, des idées..." Des idées..." Pas mal mais je préfère Programme (plus sombre et subversif)