jeudi, juin 08, 2006
Damoon & the Omen, un soir de juin 2006.
"La difficulté lorsque l'on adapte un classique du cinéma d'épouvante tel que La Malédiction est que la comparaison tourne inévitablement à l'avantage de l'œuvre originale. La question est de savoir si l'adaptation au monde moderne était pertinente et si elle apporte des éléments significatifs. Verdict mitigé : comme on s'en doutait, l'intérêt s'avère limité pour les amateurs du film de Richard Donner. Ce remake de La Malédiction bénéficie néanmoins de qualités formelles évidentes qui en font un thriller horrifique honorable pour les non-initiés. Panique au Vatican : tous les signes concordent pour annoncer l'avènement de l'antéchrist. Pendant ce temps, le diplomate Robert Thorn doit faire face à un drame personnel : après un long et pénible travail, son épouse Kathryn vient enfin d'être délivrée de l'enfant qu'elle portait, mais celui-ci est mort-né. Affligé, Robert Thorn se voit faire une étrange proposition par un prêtre, celle d'adopter l'enfant d'une mère décédée dont l'accouchement se serait déroulé au même moment. Avant que Katryn ne se réveille et n'apprenne la triste issue de son accouchement, son mari décide d'adopter l'orphelin. Il ne sait pas encore qu'il a introduit la Bête dans sa propre maison… Entre les oeuvres choc teintées de prosélytisme (La Passion du Christ, L'Exorcisme d'Emily Rose) et celles qui questionnent les fondements de la foi (Da Vinci Code, Mary), force est de constater que titiller les religions est à la mode ces temps-ci, un courant qui peut d'ailleurs se révéler stimulant pour les croyants comme pour les athées. Avant d'aborder ce remake dont le but secret (outre l'objectif commercial évident du projet) est peut-être bien de nous rappeler que des "forces obscures" pourraient profiter d'une baisse de vigilance de la part des hommes pour faire leur œuvre, un petit rappel des faits s'impose. Réalisé par Richard Donner en 1976, soit dans un contexte forcément différent, La Malédiction parvenait à susciter un malaise palpable grâce à son scénario glaçant mais aussi son atmosphère véritablement malsaine, elle-même soutenue par les effets minimalistes qui caractérisaient les films d'épouvante de cette époque. En faisant progressivement apparaître au grand jour les intentions malignes du petit Damien (Harvey Stephens) et des suppôts venus le soutenir, le film parvenait à susciter insidieusement l'impression qu'une terreur ancestrale était sur le point de ressurgir. Que l'on accorde crédit à de telles éventualités ou non, l'histoire faisait froid dans le dos. Dans un monde occidental déjà dominé par la culture de l'enfant-roi et sacralisant la maternité, mettre en scène un petit garçon provoquant délibérément la chute mortelle d'un parent avait de quoi choquer. A l'heure actuelle, la représentation de l'enfant pur et innocent persiste tout en cohabitant avec l'ombre de la délinquance juvénile, une opposition que John Carpenter avait exploitée dès 1995 dans son remake du Village des Damnés, chef d'œuvre de Wolf Rilla (1960). L'idée d'un enfant tout mignon mais foncièrement malveillant a quelque chose d'universellement tétanisant en ce qu'elle soulève des questions philosophiques sur la nature humaine. Le thème est donc intemporel, qu'en est-il de son traitement actuel ? En suivant scrupuleusement la trame du film original, le metteur en scène John Moore (Derrière les Lignes Ennemies) n'innove en rien : les évènements marquant la montée en force de Damien (Seamus Davey-Fitzpatrick) sont strictement les mêmes, dans un ordre à peu de choses près identique. On retrouve ainsi la nourrice qui casse l'ambiance de la fête d'anniversaire, le sort peu enviable réservé à ceux qui se posent en obstacle, les traces sinistres sur les photos, le tout consciencieusement reproduit sans qu'aucune surprise ne vienne pointer le bout de son nez pour les fans du film original – si ce n'est que la décapitation de l'un des personnages évoque davantage un opus de Destination Finale qu'une scène de La Malédiction. La tendance actuelle est cependant à l'ajout de bruitages et d'effets de spectator-jumping, pour plus de sensations fortes, au détriment de la création d'une réelle ambiance. On sursaute certes plus devant La Malédiction version 2006, mais on se sentait bien moins à son aise devant la menace effrayante suggérée dans le long métrage de Richard Donner. A défaut de faire réellement preuve d'originalité, les scènes horrifiques bénéficient d'une réalisation soignée dans ce remake. Si les changements restent pour le moins frileux, les idées de mise en scène font parfois preuve de bon goût. Pas toutes, comme en témoigne la scène du cimetière, avec les chiens enragés arrivant brutalement par surprise, ce qui a pour effet paradoxal de réduire la sensation du danger. En revanche, sans détrôner la séquence originale, le suicide de la nourrice joue habilement sur le balancement du cadavre en arrière plan. De même, la chute de Kathryn fait joliment participer le décor et le costume de la jeune femme pour évoquer la chute d'un ange. Afin d'adapter l'histoire au contexte actuel, La Malédiction de John Moore ne lésine pas sur les références à l'actualité : 11 septembre, Tsunami et autres catastrophes récentes et douloureuses sont brièvement évoquées afin de donner corps aux signes perçus par le Vatican. Il n'est pas dit que ces allusions soient du meilleur goût. La naïveté et l'opportunisme de ces parallèles feront cependant sourire et on les envisagera de manière purement fonctionnelle voire avec un certain second degré. Du point de vue du modèle familial, le milieu de la politique ne semble pas avoir été atteint par la révolution féministe. L'image du couple est certes rajeunie mais l'épouse possède à peine plus de contrôle sur sa propre vie que la Kathryn incarnée par Lee Remick, même si l'époux n'exerce plus une autorité aussi évidente. L'approche des personnages a cependant été modernisée, en particulier en ce qui concerne la descente aux enfers de Kathryn, dont le développement prend en compte avec une certaine empathie les tourments de la jeune femme. D'abord simplement anxieuse pour son enfant, celle-ci semble plonger progressivement dans une profonde dépression. Si l'on faisait abstraction du contexte, on pourrait la croire atteinte d'une angoisse chronique liée à une difficulté à faire face à sa maternité. Le choix de Julia Stiles (La Mémoire dans la Peau) dans le rôle de la mère dépressive s'avère judicieux, la comédienne possédant la profondeur de jeu nécessaire pour exprimer les états d'âme de son personnage. Liev Schreiber (Un crime dans la tête) reprend quant à lui dignement la suite de Gregory Peck dans le rôle de Robert Thorn et force la sympathie, de même que David Thewlis (Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban) dans le rôle du photographe. Seamus Davey-Fitzpatrick fait en revanche un Damien nettement moins effrayant que Harvey Stephens (lequel est aujourd'hui âgé de 36 ans et apparaît brièvement dans le film, en journaliste !). Mia Farrow, elle-même mère d'un enfant de Satan dans Le Bébé de Rosemary (Roman Polanski), renvoie en revanche une image assez subtile du Mal : son personnage s'introduit à travers son discours convenu sur la maternité comme vocation, pour laisser ensuite succéder à son sourire mielleux un regard bestial. Si le but de La Malédiction était de détrôner le premier opus de la célèbre trilogie sur la vie de Damien, l'entreprise est un échec. Ceux qui comptent le film de Richard Donner parmi leurs films cultes trouveront l'intérêt fort contestable, les éléments de modernisation n'étant pas assez significatifs pour justifier de revivre les mêmes événements, en moins bien. Cela dit, cette nouvelle version ne fait pas honte à l'original. Si l'on ne saurait bien évidemment que trop conseiller aux novices de se tourner vers ce dernier, ils prendront certainement plaisir à découvrir cette histoire à travers ce remake efficace et bien mis en scène."