jeudi, avril 06, 2006

 

The Shield.

"Au départ de The Shield, nous avons la rencontre entre un sale gosse (Shawn Ryan) et une petite chaîne câblée (FX) qui rêve de prendre la place de HBO (Soprano, Six Feet Under, Carnivale, Deadwood) dans le cœur du public. D’un côté Shawn Ryan, scénariste sur Angel, nourri à NYPD Blue, Homicide, et les polars de James Ellroy, et de l’autre FX qui cherche désespérément le projet ambitieux qui la propulsera au sommet. FX jette donc logiquement son dévolu sur Shawn Ryan, qui, après quelques années certainement traumatisantes dans l’univers de Whedon, décide de créer et écrire le pilote d’une série policière classique dans son univers, mais radicale, subversive et désespérée dans son traitement sans concession. Sur ce point il est important de souligner le courage de cette petite chaîne (à l’époque), qui malgré le boycott de plusieurs gros annonceurs puritains ne voulant être associés à la série, décida de maintenir sa production et sa diffusion, acte courageux dans le paysage audiovisuel incroyablement formaté par la publicité des années 2000. A ce titre le premier épisode est un modèle du genre et présente en 45 minutes l’immense potentiel de son background et de ses personnages. Nous suivons le quotidien d’un ripou, Vic Mc Kay et de sa Strike Team dans les rues de Farmington, quartier brûlant de Los Angeles. Dès les premières images, le choc visuel est immédiat grâce à l’utilisation presque exclusive de la caméra à l’épaule, de cadrage façon docudrama, en saturant les couleurs et en usant habilement d’un montage frénétique. Réalisé par Clark Johnson (SWAT, sic !), il réussit un travail remarquable et offre à The Shield une identité visuelle en parfaite adéquation avec l’univers crée par Ryan. Usant habilement de la dualité du scénario, il utilise la cité des anges comme acteur à part entière, cité désincarnée et tiraillée entre Hollywood et les ghettos ; il arrive à retrouver le lyrisme de cette ville mythique, notamment dans les scènes nocturnes, un peu comme Michael Mann (même si évidemment il ne travaille pas dans la même cour). Ainsi il contraste la brutalité des bas fonds de L.A pour poser les rapports humains dans le commissariat, ancienne église dans la série et la réalité, tout un symbole. Enfin, dernier coup de génie et incontestable pilier de toute la série, la profondeur et l’interprétation de tous les personnages principaux et secondaires, avec en tête d’affiche l’acteur Micheal Chiklis qui donne vie à l’inspecteur Vic Mc Kay, offrant sa carrure et surtout son charisme saisissant, nous permettant le plaisir coupable d’aimer à nouveau un enfoiré amoral. Usant d’une psychologie fouillée, fuyant constamment le manichéisme, il nous offre une galerie de personnages contrastés, éclectiques et surtout terriblement réalistes, laissant au téléspectateur le choix de les juger, de les aimer ou pas, mais n’oubliant jamais que ce sont des hommes pétris de doutes comme tout à chacun. On retrouve ici les séries qui l’ont influencé. Nous sommes donc à mille lieux de séries calibrées, certes avec un certain talent, que sont Les Experts (Csi), FBI porté disparu (Without Trace) et consorts, avec leurs personnages monolithiques et leur univers lisse. The Shield voit le jour en 2002 et remporte immédiatement un franc succès commercial et surtout critique. Shawn Ryan recevra un golden globe pour la meilleure série dramatique et Michael Chiklis en recevra un pour le meilleur acteur dans une série dramatique ainsi qu’un emmy awards, et nous n’en sommes qu’à la première saison. Tout commence avec le pilote de la série, véritable choc pour quiconque découvre innocemment ce qu'il croit être une simple série policière. Réalisé par le nerveux Clark Johnson (S.W.A.T.), The Shield contient dès les premières images les qualités esthétiques d'un film. Véritable plongée dans le quotidien bien dérangeant de la police de Los Angeles, filmé bien souvent caméra à l'épaule, on y fait connaissance avec les policiers d'une brigade située dans une des zones les plus "chaude" de LA. Aucun de ces héros n'est à première vue sympathique, chacun a ses défauts et même une morale douteuse, que ce soit dans ses investigations comme dans ses relations avec ses collègues. Torture, violence, tout est bon pour faire parler un suspect, au nom d'une justice qui se veut efficace mais également brutal. "Ce que veulent les citoyens ce sont des résultat" explique l'un des personnages, "quelque soit la méthode employée, ils sont prêt à fermer les yeux dessus.". Au milieu de ces personnages, l'un d'entre eux ressort en particulier : Vic Mackey. A la tête d'une brigade d'élite aux méthodes expéditives et souvent inavouables, Vic est corrompu, préférant entretenir quelques voyous pour en arrêter de plus gros. Véritable cible pour son capitaine qui fera tout pour le mettre sur la touche (à savoir l'envoyer passer le reste de ces jours en prison), Vic, personnage au faciès de grosse brute rappelant par quelques traits Bruce Willis, arrive à se faire haïr de nous spectateurs en moins d'un unique épisode au twist final renversant. A la fin de cet épisode pilote, on ne sait trop qui est le héros dans toute cette galerie de personnages peu sympathiques... La surprise n'en sera que plus grande lorsque durant les suivants, Vic s'imposera comme le personnage principal de l'histoire ! Fatigués des héros à la morale saine ? Mais le plus surprenant reste l'évolution de ces personnages. Sans pour autant excuser le moindre de leur acte répréhensible, bien au contraire, The Shield nous dépeint des policiers fragilisés par la violence démesurée du milieu dans lequel ils travaillent. Vic Mackey protège des enfants au péril de sa vie, supporte d'un amour presque paternel une prostituée l'aidant du mieux qu'il peut, sans jamais perdre se côté sombre qui l'habite, à la fois sa force et son fardeau. Chaque personnage de la série revêt donc une complexité développée d'épisode en épisode, devenant tous attachants. Rajoutons au crédit de la série un rythme infernal, de multiples rebondissements, des enquêtes hors-normes par rapport à ce que l'on a l'habitude de voir à la télévision (l'histoire du pédophile dans l'épisode pilote est presque traumatisante), et The Shield s'impose comme une série au ton révolutionnaire, aux effets addictifs et profondément attachante. La sortie en coffret DVD de la première saison est l'occasion rêvée d'enchaîner ses 13 épisodes les uns après les autres. En attendant frénétiquement la suite pour bientôt en DVD (Mai 2005)... C’est Michael Chiklis qui endosse le rôle délicat du ripou Vic Mackey. Plus habitué des rôles de second couteaux dans diverses productions, sa carrière décolle cependant en 1991 lorsqu’il décroche le rôle titre de la série The Commish (inédite en France). Cependant Michael Chiklis est avant tout un amoureux des planches, on le verra ainsi à Broadway tenir le rôle principal de Defending The Caveman. Acteur subtil sous la carrure d’un monsieur Propre, il incarne à la perfection ce flic ambigu, tiraillé dans sa conception radicale du monde. Pierre angulaire de The Shield, il offre au personnage de Mackay son charisme et une densité rare. Confronté épisode après épisode à la violence quotidienne des bas fond de L.A, et de l’Amérique en générale. Utilisant ses poings et son arme face à l’extérieur mais protecteur et d’une loyauté inébranlable envers sa famille et son équipe. Mackay campe un héros moderne, à l’image d’une Amérique apeuré par le monde qui l’entoure. Benito Martinez investi le rôle de l’anti-Mackay, David Aceveda, jeune chef du commissariat de Farmington. Rongé par l’ambition, tous ses actes ne servent que lui et sa carrière. Ennemi juré de Mackay dans la première saison, il veut le faire tomber pour s’offrir les faveurs du parti démocrate. Ils devront pourtant s’allier par la suite, lorsque les portes de la mairie s’ouvriront à lui. Rôle également ambigu, tour à tour détestable et intègre, il incarne la parfaite antithèse de Mackay. Interprète solide et même parfois très inspiré (saison 3), Benito Martinez ne semble jamais en décalage par rapport à Michael Chiklis. Connu pour son rôle dans le Mi Famila, il est également apparu au côté de Dustin Hoffman dans Outbreak , et plus récemment dans Million Dollar Baby de Clint Eastwood. Habitué des séries, il a fait des apparitions dans Firefly, NYPD Blue, X-files, Star Ttrek ou American Family. Intelligent, pertinent, psychologue et arrogant, l’inspecteur H.Dutch espère secrètement résoudre des affaires importantes de meurtre ou de tueur en série pour se faire un nom. Il est en équipe avec Claudette Wyms. Son perfectionnisme le pousse à se confronter régulièrement à la Strike Team et Vic en particulier, dont leurs rapports sont parfois tendu. C’est l’acteur Jay Karnes qui incarne l’inspecteur H.Ducth. Il est découvert par le producteur Joe Stern (Law & Order) lorsqu’il incarne Mercutio dans Roméo et Juliet au théâtre. Il apparaît par la suite dans de nombreuses séries TV telles que Ally Mc Beal, Judging Amy, Nash Bridges, The Pretender, Star Trek ou Frasier. La saison 2 de The Shield n’échappe pas à la règle de la surenchère, on craint alors que la violence assumée qui servait le script de la première saison devienne un élément commercial de la seconde. Mais ces craintes sont rapidement misent au placard tant le plaisir de retrouver la Strike Team est immense. On découvre également avec étonnement que Ryan ce joue des convenances marketing, pour nous servir une saison plus cohérente et encore plus fouillée. Chapeau l’artiste. La saison 2 démarre comme la première sur une double exposition. Une bande de mexicains qui en fond cramer d’autres d'un côté, et de l’autre la Strike Team transportant une cargaison de came pour le dealer Tio. Les problèmes commencent dès les premières secondes par l’arrestation de la Strike Team par une patrouille de policiers. Ryan ne perd donc pas de temps et décide d’oublier le rappel des enjeux pour les retardataires. Cependant une fracture de poids se profile. Aceveda couvre la Strike Team et Mackay lors de leur arrestation et lui propose une alliance contre nature, élément déjà esquissé dans le dernier épisode de la première saison. Aceveda est en bonne place pour devenir le prochain maire de L.A, mais pour cela il faut que Mackay continue à faire baisser la criminalité sans faire de vague, car l’arrivée d’un contrôleur civil au commissariat risque de révéler toutes les bavures de Vic et de sa Strike Team. Le pacte est scellé, même si l’on ne se fait aucune illusion quant à son issue. Ryan redistribue donc astucieusement les cartes tout en gardant la temporalité, jubilatoire. Enfin vers le milieu de la saison, nous verrons apparaître une sous- intrigue qui va devenir la principale, l’attaque du "Money Train". Les scénaristes décident également d’étoffer encore plus les seconds rôles, même si l’on peut une nouvelle fois reprocher la densité un peu extrême que cela crée. Ainsi Dutch et Wyms prennent plus de place et deviennent même petit à petit des personnages centraux. De même on voit l’apparition d’un vrai "badguymotherfucker", avec Armadillo, jeune sadique parrain de la mafia mexicaine. On sent ainsi rapidement que la saison 2 est plus cadrée, les arcs se mettent en place dès le début de la saison et la cohérence de l’ensemble est accrûe. On se rapproche ainsi plus d’une structure à la 24, où la saison est à prendre comme un bloc cohérent. Les scénaristes utilisent également plus l’imbrication de la vie personnelle des protagonistes avec leur quotidien de flic ; Vic se retrouve ainsi obligé de dépasser à nouveau les limites, non plus uniquement pour son boulot mais pour retrouver sa famille. Dutch s’assombrit également ; personnage quelque peu en décalage avec le reste du bercail dans la première saison, on le redécouvre ici dans une quête de compréhension des serial killer, et on le sent glisser peu à peu. Même Wyms et son indéboulonnable intégrité se laisse happer à son tour par son envie de prendre les rênes après le départ d’Aceveda. Enfin l’arrivée dans la Strike Team de Tavon, jeune black, est encore une fois une très bonne surprise, autant sur le point de l’acteur, impeccable, que sur son personnage qui s’intègre presque naturellement à l’équipe de choc et apporte une fraîcheur dont on n’avait pourtant pas l’impression d’avoir besoin. On se retrouve donc face à une saison 2, qui même si elle reste très proche de la saison 1 sur la forme, creuse d’autres thèmes. Ainsi Armadillo offre un vrai badguy à The Shield et un vrai challenge à Mackay, nous offrant à chacune de leur rencontre explosive de grands moments d’anthologie, notamment lorsque Vic lui crame littéralement la gueule. Bref The Shield continue sur les rails de l’excellence et c’est déjà assez rare pour le souligner. La saison 3 est pour beaucoup la meilleure car elle représente le tournant de cette série devenue culte. Après avoir laissé nos quatre flics de choc autour d’une table remplie d’une pyramide de billets verts, on les retrouve quelques semaines plus tard préparant leur plan pour faire profil bas. Dutch est chargé de l’enquête sur le braquage du Money Train, promettant encore une fois de jolies confrontations et sueurs froides pour nos héros. Mais les points majeurs de cette saison se situent ailleurs. D’un côté dans la gangrène qui se répand au sein de l’indestructible Strike Team et qui sera le fil rouge de la saison, et de l’autre la descente aux enfers d’Aceveda. Mais aussi la mise à pied de Dani, le mariage de Julian, les premiers pas de Wyms en chef de la Strike Team et enfin l’arrivée de l'équipe "Decoy Squad" qui va concurrencer l’équipe de choc. Cette troisième saison regroupe également le plus grand nombre de moments forts, émouvants, drôles ou dramatiques. Loin du côté surenchère, du toujours plus, Ryan se concentre plutôt sur la construction d’histoires complexes et sur le développement de ses personnages pour leur offrir une épaisseur presque inégalée dans une série policère. A ce titre la mise en abîme d’Aceveda est remarquable et terrifiante de sadisme, et comme il l’avait réussi dans la première saison pour Vic, le créateur de la série parvient à nous faire aimer ce personnage que l’on avait appris à détester. Une nouvelle fois, Ryan se joue des convenances et des codes, et redistribue les cartes brillamment. Cette troisième saison voit aussi le retour de Margos face à Vic. Le chef de la mafia arménienne, est sur les talons de la Strike Team et cherche à récupérer son argent. Badguy moins original qu’Armadillo dans son traitement mais beaucoup plus violent, l’homme est adepte de l’amputation. La confrontation est également inversée à la première, là où Armadillo et Vic s’étaient lancés dans une guerre ouverte, ici l’ombre de l’arménien plane sur la Strike Team sans qu’il apparaisse réellement et le tout se termine dans une confrontation astucieusement sobre et rapide. Parce que finalement ce n’est pas la confrontation directe entre le badguy et Vic qui est intéressante. The Shield saison 3 s’approche donc de la perfection dans son genre et il devient presque impossible de lui trouver quelques défauts. On retiendra ainsi la confrontation musclée entre Shane et Tavon qui touche son paroxysme dans un cliffhanger scotchant, les sévices subis par Aceveda qui vont remettre en cause toute sa vie, la rencontre entre Vic et son mentor qui nous offre la vision de ce que pourrait être Vic dans dix ans, Dutch tuant un chat (dit comme ça, ça ne ressemble à rien, mais la scène est l'une des plus traumatisante de la série), ou encore le passage à tabac de Julien. Sans oublier évidemment l’explosion de la Strike Team dans les derniers instants de la saison au travers d’une scène sobre ou chacun s’entredéchire. On reste là, spectateur de leur autodestruction, et l’on ne peut s’empêcher de se dire que tout cela était écrit dès le début. The Shield referme un premier livre avec ce final, et entame une petite révolution : la Strike Team n’est plus. Incontestablement la plus faible, la quatrième saison est un échec, la révolution amorcée en fin de saison 3 déstabilise complètement l’univers mis en place, et ce qui s’annonçait comme une bonne idée sur le papier retombe rapidement lorsque l’on voit le résultat. Aceveda est devenu conseiller municipal et Wyms qui devait reprendre le poste a été évincé et remplacé par Monica Rawling. De son côté Vic est presque rangé dans un placard et ne se contente que d’une affaire de surveillance avec Ronnie seul rescapé de l’explosion de la Strike Team. Shane est aux stups avec un nouvel équipier et Lem est parti aux mœurs. Après un démarrage un peu laborieux on découvre donc l’attraction de cette nouvelle saison en la personne de Glenn Close. Elle représente le nouveau chef de la police de Farmington à la place d’Aceveda. Malgré une interprétation solide et un rôle plutôt bien écrit, à côté la mayonnaise ne prend pourtant pas. Vic est devenu un bon flic qui suit les règles et tout un pan du potentiel du personnage s’écroule. Le nouveau badguy, Anthony Anderson, n’a rien de terrifiant et fait même parfois peine à voir. On commence donc à se remémorer les moments forts des saisons précédentes : rien dans cette quatrième saison ne fait le poids par rapport aux trois premières et l’on commence à se dire que Ryan a pris le melon et qu’il a cru pouvoir tout faire. Déjà réussir à nous faire aimer une crapule tueur de flics en la personne de Vic était un tour de force, mais vouloir que l’on continue en le transformant en une photocopie des autres flics de cop show transparent, c’est un peu tirer sur la corde. Bref, pas grand-chose à sauver et beaucoup de frustrations à la vision de cette saison. Mais que l'on se rassure : une mauvaise saison de The Shield renferme tout de même un grand nombre de qualités : la tension est bien présente, le scénario connaît de multiples rebondissements bien prenants, et la relation entre le personnage de Glenn Close et Vic Mackay évolue étrangement sans que l'on sache jusqu'au dernier épisode à quoi elle va aboutir. Mais la vraie jouissance reste le final, laissant présager un retour aux sources pour la saison 5. Peut-être Shawn Ryan avait-il tout simplement besoin d'une saison pour remettre l'intrigue à plat et mieux rebondir par la suite ?"

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