mardi, janvier 31, 2006
Jack, tueur de géatns.
Ma première grosse claque, j’avais 12 ans c’était un mardi soir à la dernière séance…"Le sorcier Pendragon fait enlever la princesse du royaume de Cornwall - dont il fut chassé - avec l'aide d'une dame de compagnie, d'un nain démoniaque et d'un géant. Il exige comme rançon l'abdication du roi et même son trône. Jack a tué ce premier géant et est anobli par le roi pour ce fait d'arme. Et chargé d'aller délivrer la princesse qui se trouve dans une forteresse maritime peuplée de créatures monstrueuses. Un voyage périlleux commence... Ce classique du cinéma fantastique devenait rare et il faut remercier Cinémalta, vecteur des belles reprises de l’Étrange Festival parisien fondé par Frédéric Temps et Gilles Boulanger, de nous le restituer en DVD zone 2 Nathan H. Juran (1917-2002) - d’origine tchèque d’où le "H" (Herz) que l’on trouve parfois rajouté à sa signature - livre un film assez lourd, un peu inférieur à celui de 1958 mais qui est néanmoins un vigoureux produit de série B de sa veine "enfantine" à qui le temps confère une patine très séduisante. On comprend qu’Eddy Mitchell ait voulu lui rendre hommage au cours d’une de ses "Dernières séances" il y a près de 20 ans à la télévision française. Certes moins apprécié des spécialistes que son The Seventh Voyage of Sinbad (1958) en raison de l’absence aux effets spéciaux de Ray Harryhausen et à la musique de Bernard Herrmann, il constitue pourtant un dyptique tout naturel avec celui-ci. Après un conte oriental digne des Mille et Une Nuits, un conte médiéval : dans les deux cas, une princesse à sauver des maléfiques entreprises d’un magicien démoniaque. Et une volonté identique de fabriquer un film "pour enfants" que les adultes ne se lassent bien sûr pas de revoir ! On peut préférer, dans la filmographie de Juran, des films fantastiques destinés aux "adolescents" plus angoissants et impressionnants comme The Deadly Mantis [La chose surgie des ténèbres] (1957) ou 20 Millions Miles to Earth (1955). Sans parler de la veine "adulte" proprement violente qui s’exprime dans le film d’épouvante, le western, le policier : The Black Castle [Le mystère du Château noir] (1952) avec Boris Karloff, Law and Order [Quand parle la poudre] (1950) avec Ronald Reagan en shériff "nettoyeur", Highway Dragnet (1954). Ici Juran a collaboré aussi au scénario : il ne s’est pas trop fatigué ! Son film est le produit d’une tradition anonyme qu’il reproduit sans innovation particulière. Et les décors qu’il créa pour les autres, on voudrait qu’il les soigne autant dans ses propres films car, ici, la faiblesse du budget est tout de même flagrante cf : la cabane de Jack ou le bout de château de Pendragon. Et le producteur Edward Small n’est sans doute pas de la veine d’un Charles H. Schneer, grand producteur indépendant de cinéma fantastique Reconnaissons que les effets spéciaux d’animation de Lloyd L. Vaughan copient lourdement ceux de Harryhausen : le géant monocéphale du début et celui bicéphale de la fin évoquent tout à fait les créatures harryhausenniennes du film de 1958. À l’inverse, notons aussi que les soldats en armure qui jaillissent du sol et naissent des dents d’un dragon ont dû inévitablement inspirer Harryhausen deux ans plus tard pour la création de ses futurs squelettes nés de la même manière dans Jason et les Argonautes (1963) de Don Chaffey. Dans le milieu restreint des «sfxistes» des années 1960, chacun se révèle prédateur de chacun. Les trucages en "Fantascope" de Howard A. Anderson, le format 1.66 en Technicolor utilisé par le directeur de la photographie David S. Horsley, le travail de Vaughan et aussi celui des techniciens de la "Stop motion animation" Wa Chang, Gene Warren et Tim Barr : tout cela contribue à la beauté du film même si ses couleurs sirupeuses sont souvent bien agressives. Comme souvent dans le cinéma fantastique populaire, la vulgarité du matériel de base permet précisément l’épanouissement de la poésie la plus pure. L’ouverture du film est ainsi plastiquement splendide : on passe d’un temps mythique (les pages du livre) à une temps historique légendaire (le début du film avec des personnages en chair et en os) qui doit s’en dégager pour devenir autonome. L’interprétation est correcte : Torin Thatcher compose un mémorable magicien Pendragon même si dans ce registres il est inférieur à la finesse d’un Basil Rathbone chez Bert I. Gordon ; Anna Lee (l’héroïne de Hangmen Also Die [Les bourreaux meurent aussi] (1943) de Fritz Lang et Bedlam (1947) de Mark Robson, ici encore belle en blonde platine dans le rôle de Lady Constance) et la mièvre princesse Judi Meredith ont chacune de belles scènes de possessions et de double jeu ; enfin Kerwin Mathews compose un héros sympathique quoiqu’un peu fade. Restent l’aide-démon défiguré, le gnôme irlandais enfermé dans sa bouteille qui s’exprime en vers ridicules, le petit garçon et le vieux marin : ils donneront une crise d’urticaire légitime à tous les adultes et lasseront ferme les enfants qui, tous, leur préféreront bien sûr les monstres et les combats. Les apparitions des sorcières sont ridicules en scène d’intérieur et, de nuit sur l’océan, utilisent des équidensités colorimétriques et des animations de couleurs : elles sont un peu répétitives et manquent de saveur. Une seule idée géniale – inspirée par La Belle et la Bête (1945) de Jean Cocteau ? – celle des bras anonymes jaillissant des murs. Ils ne tiennent plus des torches comme chez Cocteau mais des épées et on doit se battre contre eux pour traverser un couloir. Idée bien plus sublime et terrifiante en soi que celle du dragon final par exemple, même si le spectacle en est remarquablement réalisé. Pour elle, au moins, le film mérite absolument d’être vu. Roman Polanski utilisera à nouveau d’une façon novatrice cette image névrotique dans Repulsion (1965) avec Catherine Deneuve. Freddie Francis la portera à son paroxysme dans l’hallucinante scène du «mur aux lames de rasoirs» de Tales from the Crypt [Histoires d’Outre-Tombe/La crypte des horreurs] (1972). Nathan Juran, ancien décorateur et directeur artistique oscarisé comme tel par Hollywood, concevait la mise en scène comme une affaire purement technique et ne se voulait nullement visionnaire ou artiste créateur. Il avouait que son art était, de son point de vue, une pure technique et qu’il n’avait jamais conçu ses films que dans un simple but commercial. Mais, puisque nul n’est moins bien placé que l’auteur pour juger de son œuvre, avouons notre plaisir d’enfant retrouvé à la vision de cette séquence sur laquelle plane l’inspiration la plus pure. Ici au moins le souffle de la folie et de la peur réussit enfin à s’incarner : c’est l’essentiel."