mardi, septembre 06, 2005
"Soyons réalistes, demandons l'impossible"
1985 : La nouvelle année bérurière s'engage sous le signe de l'Orange mécanique. La première prestation du groupe à Château-Thierry annonce la couleur dès la fin du mois de janvier. La gratuité de ce concert n'a pas attiré beaucoup de fans, mais les excités de la localité, eux, sont bien là. Dans le rôle des animateurs énervés, les terribles Pontotoys de Pontault-Combault répondent présents. Manifestement inspirés par les débordements cinématographiques du jeune Alex et de ses droogies, une raïa d'une vingtaine d'agités rivalisent en mauvais délires. Bras et vitres cassés, voitures volées (avaient-ils manqué l'appel du dernier train de banlieue? ) seront résumés par la presse régionale sous le titre évocateur de Jail House Rock. De la même manière, certains fanzines ont parfois quelques difficultés à accepter la pagaille qui entoure les déplacements du groupe. Mais en dépit de leur médisance, force est de reconnaître que les critiques acerbes des puristes reflètent également l'ambiance des concerts.
Peu importent les potins journalistiques qui font vibrer les beaufs par procuration, le groupe assume sa tendance à foutre le bordel et parfois à le provoquer. Et c'est avec la même détermination à tout faire exploser que les Bérus posent leurs amplis au Studio WW en février pour enregistrer l'illustrissime Concerto pour Détraqués. Le studio WW a construit sa réputation dans les anciens frigos de Paris. Ce qui autrefois avait une vocation alimentaire accueille dans les années 80 la crème de l'underground français: Oberkampf, La Souris Déglinguée, Parabellum, Les Trotskids, Nuclear Device... Ces studios auront inspiré moult hymnes rock'n'rollesques, repris en choeurs du pavé parisien aux bars des provinces les plus reculées. Pendant deux mois, Bérurier Noir va donc enregistrer ses nouveaux morceaux avec l'assistance de Patrick Woindrich, responsable de ces débordements sonores aux portes de Chinatown sur Seine.
Petit Agité, Vivre Libre ou Mourir, Conte Cruel de la Jeunesse, Le Renard, Les Rebelles, Porcherie, Commando Pernod, Les Eléphants, Fils de..., Hélène et le Sang, Il Tua Son Petit Frère. Onze morceaux balancés comme autant de tableaux vitriolés d'une société passée au crible par une jeunesse qui n'en peut plus de subir. Ni les beaufs qui leur tirent dessus, ni les porcs qui hurlent au racisme, ni la psychiatrie reine de la lobotomie aveugle et aliénante, ni la politique des politichiens, ni les tontons violeurs, ni toutes les autres saloperies que lui réserve l'avenir. Cette jeunesse voudrait enfin pouvoir marcher libre dans la rue et laisser éclater sa rage de vivre. Bérurier Noir exprime tous ces désirs constamment refoulés par le monde adulte. D'un album à l'autre, les guitares se sont faites plus agressives, la voix incisive, tandis que le sax de Paskal Kung-Fou apparaît pour accentuer l'angoisse de certains titres. Autant Macadam Massacre était le testament d'une jeunesse de banlieue, autant Concerto pour Détraqués marque une prise de conscience et un refus de la fatalité. Un album de cette trempe méritait une sortie publique exceptionnelle. Bérurier Noir ne laisse à personne le soin de s'en charger et organise sur le parvis Beaubourg, en plein coeur de Paris, un concert sauvage pour les insoumis du service militaire. Avant de partir en tournée pour promouvoir ce Concerto pour Détraqués dans des salles de concert, les Bérus tenaient à réaffirmer leur passion pour la rue. Accompagné des Endimanchés et des Ludwig Von 88, le groupe crée une fois encore l'événement. Une joyeuse bande d'agités, informellement avertie, est venue les supporter après avoir manifesté contre la fermeture des studios de répétition du Parking 2000. Le parvis est idéal pour ce genre d'opération, très fréquenté par les touristes, rendant toute intrusion policière délicate. Ainsi les flics constateront leur impuissance devant cette invasion et assisteront au spectacle toute l'après-midi. Décidément, les forces de l'ordre sont en passe de devenir les plus fins connaisseurs (amateurs?) de Bérurier Noir! La tournée Concerto pour Détraqués, qui suit le hold-up musical de Beaubourg, donne la confirmation que la contamination bérurière a gagné l'ensemble du territoire. Les concerts s'enchaînent comme autant de foyers allumés Blois, Champigny, Trelissac, Grenoble, La Seyne, Toulouse... Mais malgré une affluence croissante aux concerts et des sollicitations de plus en plus nombreuses, Bérurier Noir n'hésite pas à rentrer au bercail quand la situation l'impose. C'est le cas le 30 mai quand les curieux qui passent entre République et Bastille ont la surprise d'apercevoir le groupe en train de jouer sur un camion au milieu d'une manifestation de soutien aux chômeurs et aux précaires.
Ce concert itinérant, s'il égaye le cortège, ne plaît pas à tous et surtout pas aux Compagnies de la Répression Sécuritaire. Alors que le reste de la manifestation progresse dans une indifférence quasi générale, le défilé bérurier affronte et repousse une première charge des C.R.S. Mais arrivés à la station de métro Chemin-Vert, le camion, ses occupants et les gens qui dansaient autour subissent une attaque éclair d'une rare violence. Toute la troupe se fait copieusement matraquer par une organisation commando assermentée. La revue Actuel publiera une photo évocatrice de cet acharnement répressif, donnant un nouveau coup de projecteur sur Bérurier Noir. En dépit des policiers qui apprécient de moins en moins l'audace des Béruriers, ceux-ci continuent à s'investir régulièrement dans des concerts de solidarité. Et cet engagement va s'intensifier au fil des années. Ainsi 1985 marque un tournant dans l'évolution du groupe. Non seulement Bérurier Noir conserve sa politique de respect du public, mais de plus, par sa notoriété croissante, il devient un porte-parole pour ceux qui bien souvent en sont privés. Bien plus que du militantisme politique au profit d'un parti, le groupe participe à un mouvement social multiforme dont les médias s'empareront deux ans plus tard sous l'étiquette "mouvement alternatif". La clause première de ce mode de vie alternatif est la liberté. Vivre Libre ou Mourir représente bien plus qu'un titre de chanson pour les Bérus, c'est l'essence même de leur combat musical. Ils conjuguent cette liberté à tous les temps liberté par rapport à l'Etat, à l'argent roi, à l'industrie du disque, aux censeurs de tout poil... Indépendants par nécessité à leurs débuts (aucun label ne voulait d'eux), ils vont le rester par conviction. Un nouveau label, Bondage, vient précisément de se monter sous l'impulsion de Philippe Baïa, Kid Bravo et Marsu. Avec ce dernier, les Bérus ont déjà un pied dans la place. De plus, ils connaissent Kid Bravo depuis des années, quand celui-ci jouait encore avec Les Brigades. Il leur a d'ailleurs déjà fait profiter de son ancien label, Rock Radical Records, pour la production de Macadam Massacre. C'est donc naturellement que Concerto pour Détraqués sort chez Bondage.Le label travaille en famille. Il n'y a aucun contrat juridique avec les groupes, simplement une entente morale. Bondage avance les fonds pour la réalisation de l'album et laisse au groupe une liberté artistique totale. Une fois ces frais amortis, le groupe et le label se partagent les bénéfices avec équité. Toutes les décisions sont prises en accord avec les Bérus dont l'image est scrupuleusement respectée. De surcroît, le label suit le groupe au niveau de sa politique de bas prix. Enfin, au niveau de la promotion, ils privilégient le travail avec les fanzines et les radios locales plutôt qu'avec les médias de masse. Le résultat ne se fait pas attendre Bérurier Noir va se répandre dans la presse parallèle comme une traînée de poudre dont ils auraient eux-mêmes allumé la mèche. Ce qui n'était au départ qu'une étincelle va rapidement devenir un mouvement, avec l'arrivée chez Bondage d'autres groupes (Ludwig Von 88, Washington Dead Cats, Nuclear Device, Les Endimanchés...), la création et la croissance d'autres labels indépendants (Boucherie, Gougnaf ou New Rose), la prolifération des fanzines, et bien sûr un public de plus en plus réceptif à ces sirènes de l'underground. Tous dépendent les uns des autres les fanzines parlent des petits groupes qu'ils font connaître aux lecteurs tandis qu'ils profitent de la notoriété des grosses pointures pour écouler leurs productions scripturales. Cet activisme fait grimper les ventes d'albums de façon vertigineuse et les salles de concert ont du mal à contenir un public de plus en plus enthousiaste. Bérurier Noir va servir de locomotive à tout ce petit monde, repoussant une à une toutes les tentatives de subversion du business discographique. Certes, Bérurier Noir n'invente rien dans sa résistance face à la société de consommation et ses suppôts. Fn revanche, ils parviennent à rester fidèles à leurs idéaux en conservant une lucidité àtoute épreuve. Cela s'explique notamment par le fait que les Bérus sont également autonomes vis-à-vis de leur activité musicale. Celle-ci ne constitue pas leur source première de revenus. En effet, François est manutentionnaire dans un grand magasin et Loran anime un centre de loisirs pour les enfants en banlieue parisienne. Même si ces activités sont parfois difficilement conciliables avec la musique, elles permettent au groupe de rester à l'écoute des réalités quotidiennes et de garder un oeil critique sur ses orientations. Alors que généralement les artistes n'ont qu'un souhait, se consacrer uniquement à la création, Bérurier Noir navigue une fois de plus à contre-courant. Mais le mouvement alternatif couvre un domaine bien plus large que la simple notion artistique. On peut légitimement parler d'une véritable lutte sociale pour un mode de vie différent. Les terrains d'action ne manquent pas: l'antiracisme, la lutte contre la précarité, le droit au logement, les dérives sécuritaires... Autant de thèmes qui se confondent dans les textes de Bérurier Noir et dans leurs actions au quotidien. Les chansons ou les fanzines servent de relais de communication et donnent la possibilité à de petites associations de diffuser leurs messages. Politiques par leurs actes, les Bérus ne se laisseront jamais inféoder à la doctrine d'un parti, dénonçant tous azimuts ce qui les fait réagir, sans clientélisme. Un dicton basque résume bien les ambitions du mouvement alternatif: "La fête oui, mais la lutte aussi!". Doit-on parler de fête ou de lutte pour Bérurier Noir quand ils se retrouvent le 28 juillet 1985 au Festival Eurorock avec une flopée de groupes tels Damned, Trotskids, La Souris Déglinguée, Washington Dead Cats et autres activistes de la scène punk-rock? Apparemment, l'affiche bleu, blanc, rouge ambigument intitulée "Quand l'Europe s'éveillera" n'est pas exempte de responsabilités dans la métamorphose de la petite localité de Portbail en remake de la Fontaine des Innocents. Arrivés la veille, les Bérus constatent les dégâts. Les organisateurs n'ont produit que deux concerts avant de se lancer dans cette équipée sauvage. Le site est entouré de palissades à l'intérieur desquelles on a enfermé une véritable meute de skins et de punks. Une réserve pour les brutes! Dès le premier soir, le groupe est confronté aux inévitables accrochages dont ils sortiront indemnes grâce au tempérament d'acier de leur sonorisateur de l'époque. Le concert du lendemain promet d'être chaud Au bout du compte, c'est à 5h00 du matin, avec près de trois heures de retard, que les Bérus montent sur scène. Ils parviennent pourtant àréveiller un public qui finira hystérique en chantant La Mort au Choix. Une façon ironique de saluer le batteur de Rubella Ballet qui avait monté sa batterie sur scène et commencé ses réglages sans se soucier de la prestation de Bérurier Noir. Le malheureux aura observé à ses dépens qu'à Portbail comme ailleurs, les Béruriers sont les rois. Des rois qui résumeront parfaitement l'ambiance d'Eurorock: "De toute façon, on est tous fous!"
Sans doute pour se remettre de ces concerts chaotiques, le groupe s'embarque dans une nouvelle campagne hollandaise prometteuse en anecdotes : Tour d'Action Barbelé ! Le slogan de la tournée est évocateur: "Tour d'Action Barbelé emmerde l'oppression, la puissance, la répression, etc... en France, aux Pays-Bas, partout". En fait, mises à part les sautes d'humeur du chanteur des Portes-Mentaux, la tournée laisse un excellent souvenir de ce pays ou règne la tolérance. Et par la même occasion, le groupe renoue avec les lieux autogérés, dans lesquels ils se produisent devant 200 à 300 personnes. Après cette incartade sur les terres bataves, c'est en apothéose que les Bérus vont tirer le rideau sur une année 1985 prolifique. Tout d'abord, ils repartent à Toulouse pour un concert de soutien au S.C.A.L.P. (Section Carrément Anti Le Pen) qui attire plus de 2000 personnes. Ce soir-là, avec Dau Al Set, City Kids et les Dogs,Bérurier Noir a transformé le Parc des Expositions en un gigantesque pogo dont s'échappait un seul cri de guerre "Géronimo contre tous les fachos!". Ce concert restera comme un appel à la résistance contre une peste brune en voie de prolifération dans toute l'Europe et particulièrement en France. Par la suite, les Bérus resteront étroitement associés à la lutte antifasciste radicale. Ainsi, "La jeunesse emmerde le Front National" demeurera pendant plusieurs années le slogan de prédilection d'une jeunesse refusant d'abandonner la rue aux loups de l'extrème-droite. C'est donc débordant d'enthousiasme que le contingent bérurier - renforcé par Paskal Kung-Fou au sax, les Cornemuseurs Enragés, le Choeur des Molodoï et la Chorale des Mômes - réinvestit le studio WW au mois de novembre. L'objectif de ce déploiement de forces orchestrales est l'enregistrement d'un maxi pour fêter dignement la fin de l'année. Mission accomplie avec la sortie un mois plus tard de Joyeux Merdier. Cette farce de Noël rassemble quatre morceaux (La Mère Noël, J'aime pas la Soupe, Vive le Feu et Salut à Toi) dont le côté fun est beaucoup plus flagrant que dans les albums précédents. Certes, on retrouve les mêmes préoccupations sociales, mais le ton se fait souvent satirique. De plus, pour la première fois, la pochette du disque laisse éclater les couleurs de deux clowns qui confirment cette tendance au renouveau. A sa sortie, les fanzines le saluent de façon unanime et, fait inédit, la presse officielle en parle à son tour, notamment Libération. Ce n'est pas encore la Révolution, mais les Bérus ont bel et bien enfoncé une porte fermement verrouillée.Dans le même temps se met en place la troupe bérurière, qui regroupe Fanfan au chant, Loran à la guitare et aux hurlements sauvages, Helno et Laul (alias les Tontons) aux choeurs mâles, les Titis à la danse et aux choeurs femelles, Paskal Kung-Fou à l'intérim sax, Lulu aux lumières et Marsu à la propagande. Dorénavant, le groupe prendra également en charge la sécurité de ses concerts. Le service d'ordre bérurier se compose de quelques amis, pour la plupart rencontrés dans les squatts ou les concerts, et qui déjà à cette époque veillaient à la bonne marche des prestations exceptionnelles des Béruriers (parvis Beaubourg, Faculté de Tolbiac...). Guidé par Dom, le S.O. Mandrin ("Qui vole aux riches pour donner aux pauvres!") se déplacera avec la troupe pour la protéger, ainsi que son public, des agressions extérieures. De la sorte, les Bérus ne seront plus jamais deux, le troupeau d'rock est formé et va donner un nouvel élan à la formation. Bérurier Noir tourne définitivement la page sur l'image d'un groupe "cold", au profit d'un rock toujours contestataire mais de plus en plus joyeux et démonstratif.La nouvelle troupe, fraîchement formée, pense pouvoir dévoiler son Macadam Circus aux yeux de tous à l'occasion de la Nuit Apache qui doit enflammer le Quai de la Gare. Malheureusement, la troupe de théâtre qui occupe les lieux libère la salle bien plus tard que prévu. De plus, 700 personnes se massent devant les portes du théâtre qui peut en comporter moitié moins. Enfin, comble du désespoir, la sono est déficiente et fait sauter toute l'installation électrique après le deuxième morceau. Pour pallier à ce coup du sort, Bérurier Noir met sur pied la Revanche Indienne la semaine suivante à l'Usine de Montreuil. Ce gigantesque squatt à la périphérie de Paris était un lieu de rencontre inespéré pour une population marginalisée par la société prolos, immigrés, jeunesses perdues, peuples de la rue... L'Usine développait de nombreux ateliers de création artistique, animait des cours d'arts martiaux et organisait quelques concerts dont le prix était à l'appréciation de chacun. Avec la politique de répression du rock que menait la mairie de Paris, ce squatt devint une place incontournable de la scène underground. Les Bérus ne pouvaient rêver mieux pour roder un spectacle inédit qui explosera l'année suivante dans tout l'hexagone. En attendant cette consécration scénique, Bérurier Noir peut être satisfait d'une année fructueuse, tant sur le plan des concerts qu'au niveau de la production discographique. Le show Bérurier attire un public toujours plus nombreux dans la capitale, mais également en province. Quant aux disques, ils atteignent des chiffres de vente remarquables pour un groupe indépendant. Cette réussite est dignement saluée en décembre par une grève générale des transports parisiens, synonyme d'un Joyeux Merdier!
En ce début d'année 1986, on note une trêve sur le front des grèves. Par contre, le Joyeux Merdier déclenché par Bérurier Noir l'année précédente va se poursuivre. Il va même prendre de l'ampleur en trouvant de nouveaux alliés inattendus pour ces dissidents du rock. Le 23 février, la France entière va être confrontée à cette bande de petits agités qui, en prime de leurs clowneries, ont des messages à délivrer. Les Bérus sont à la télé. Les beaufs en gerbent leur anis quotidien, les vieilles mémés ont le dentier qui veut se faire la malle, les curés prient avec ferveur, les flics astiquent leurs matraques, des prisons et des hôpitaux psychiatriques s'élèvent des cris de revanche, les cancres arrêtent de copier leurs cents lignes... On croit rêver, eux qui commençaient à peine à sortir des squatts et des fanzines sont là, dans l'écran, en train de se démener comme des beaux diables devant les yeux effarés de tout le pays. Le mérite de ce dégel télévisuel revient à Jan-Lou Janeir et à son émission Décibels. Pendant plusieurs années, cette production "familiale" de FR3 Rennes, diffusée nationalement, aura été une lucarne d'expression pour la plupart des activistes du rock français. La Souris Déglinguée, Los Carayos, Pigalle, Les Garçons Bouchers, Camera Silens, Nuclear Device et bien d'autres encore auront eu carte blanche pour improviser des clips à leur image. Mais le premier prix de la mise en scène revient sans conteste à Bérurier Noir. C'est bien connu, les Béruriers sont les rois. Ils feront donc honneur à ce titre suprême en débarquant dans la cité bretonne avec une cour de vingt-trois agités. En renfort du désormais traditionnel troupeau d'rock, les Bérus sont accompagnés par Les Endimanchés dans leur tenue classique (slips kangourous, marcels, lunettes et bérets de rigueur), des agents doubles de Ludwig Von 88 et des survivants de la raïa de Pontault-Combaut. Cette expédition hannibalienne traîne avec elle des malles débordantes d'accessoires indispensables à une représentation bérurière: shorts, kilts écossais, couteaux, nunchaks, flingues, peluches, masques... Autant d'éléments qui permettront à Bérurier Noir de tourner dans des décors urbains deux vidéos hautes en couleurs des morceaux Commando Pernod et Salut à Toi. Ces clips seront diffusés avec une mini-interview qui, outre les mimiques éthyliques d'Helno, permettra à François et Loran d'expliquer la démarche du groupe à des téléspectateurs encore vierges de toute compromission bérurière. Cette première incursion à la télévision donne le signal sonore et visuel d'une nouvelle vague de contamination bérurière. Elle a révélé à toute une jeunesse, qui n'avait pas accès à la presse indépendante, l'existence d'un groupe qui ne marche pas dans les sentiers corrompus d'un rock prêt-à-consommer. Les mois suivants, les Bérus vont mieux saisir l'impact de cette apparition télévisuelle sur le public. Au cours des nombreux concerts qu'ils donnent, ils peuvent constater que leur popularité est en train d'exploser. Les disques se vendent de mieux en mieux et les salles ne désemplissent pas. Pourtant, sans se soucier de cette soudaine effervescence, Bérurier Noir reste fidèle à ses principes. Aussi, après un nouveau détour par Rennes, mais cette fois pour se produire sur scène, les Bérus renouent avec un passé qu'ils n'ont jamais renié. Le 22 mars 1986, l'association Rock à l'Usine, qui sent se préciser la menace de fermeture de son squatt à Montreuil, organise un concert sous chapiteau à l'Espace Galliéni. En dépit des habituels problèmes techniques et d'une anarchie scénique, le groupe pourra approcher le temps d'une soirée ses rêves de circassiens. Mais le gouvernement chiraquien veut faire le ménage parmi les quelques initiatives culturelles que la gauche a laissées se développer depuis 1981. Les derniers squatts sont dans la ligne de mire. Alain Robert, maire de Montreuil, applique à la lettre les consignes gouvernementales et ordonne, le 11 avril, que l'Usine soit murée. Le lendemain, alors qu'un concert de La Souris Déglinguée était programmé, les milices de Pasqua évacuent violemment les opposants à la fermeture du squatt. Cette opération de force provoque une véritable bataille rangée entre punks et policiers qui ne s'achèvera que tard dans la nuit dans l'antre du Forum des Halles. Les rescapés témoigneront de la haine avec laquelle les policiers chasseront jusqu'aux derniers punks. Le bilan de la résistance populaire est lourd: 72 arrestations, de nombreux blessés et quelques voitures brûlées. Après les événements, Le Parisien ne s'embarrassera pas d'honnêteté intellectuelle en titrant en première page: "200 punks attaquent la police" !
Avec la fermeture de l'Usine, c'est l'histoire des grands squatts à vocation culturelle et vitale qu'on est en train de sceller. L'existence de Bérurier Noir est étroitement associée à celle de ces lieux alternatifs grâce auxquels ils ont pu démarrer leur aventure. François, qui a squatté quelques temps, se souvient de cette expérience comme d'un moment fort, malgré les difficultés inhérentes à ce mode de vie et les clichés tant idéalistes que calomnieux qu'il véhicule. Après cette fièvre de violences policières, Bérurier Noir retourne en Belgique pour trois concerts avant la grande date parisienne de La Mutualité. Le 24 avril 1986, la salle du Vème arrondissement parvient avec peine à contenir les 2000 personnes attirées par une affiche qui promettait une fête de la jeunesse orchestrée par Nuclear Device, Ludwig Von 88, et bien sûr Bérurier Noir. La tension n'est pas retombée depuis les évènements de Montreuil. L'ambiance dans la salle est explosive. Et à l'extérieur tout est prêt pour qu'elle le devienne puisque 800 C.R.S. battent le pavé en attendant mieux. Hasard ou indice de ce déploiement de forces La Mutualité se trouve à deux rues du domicile personnel de François Mitterrand. Que redoute la police ? Bérurier Noir deviendrait-il une menace pour le gouvernement ? Lorsque Nuclear Device ouvre les festivités, une forte odeur de gaz lacrymogène se répand dans la salle et contraint le groupe à interrompre son concert. Malgré ces provocations, rien ne pourra saboter le festival qui se terminera en apothéose avec les Béruriers, toujours plus spectaculaires grâce aux acrobaties Vietnamiennes de Mickey. Dans une hystérie générale, le groupe invitera son public à sortir groupé et dans le calme, sans céder à la tentation de répondre aux bravades policières. Béruriers Noir assume ses responsabilités, ce qui ne semble pas être le cas des pouvoirs publics manifestement désemparés devant l'ampleur que prend le phénomène.Alors que Bérurier Noir squatte les fanzines depuis trois ans, la presse à grand tirage ne peut plus ignorer ce cri de la rue qui est en passe de se métamorphoser en mouvement de masse. Il leur fallait un détonateur, le concert exceptionnel de La Mutualité le leur a fourni. Dans la foulée, au milieu de cette année 1986, le mouvement alternatif devient la nouvelle mode médiatique. Le terme est accommodé à toutes les sauces et souvent des plus épicées musique, politique, fringues, art... Tout y passe, les médias savent qu'ils ont manqué un train et peu importe de le faire dérailler pourvu qu'ils puissent le rattraper. La revue Actuel, qui se doit d'orner tous les chevets d'une gauche branchée, est la première à inaugurer les séances de rattrapage. Son numéro de mai consacre un article au phénomène sous le titre "Déconnez pas avec les squatts!" Suite à l'expulsion de l'Usine, Actuel se pose en défenseur de ces lieux qui existent depuis plusieurs années déjà, sans qu'aucun journal ou magazine n'ait écrit une ligne à leur sujet, sinon pour les défigurer. "II n'est jamais trop tard pour bien faire", dit le proverbe. Mais dans ce cas précis, il est trop tard car l'Usine vient d'être démolie. Bien entendu, au passage, la revue glisse quelques lignes élogieuses sur les Bérus. Deux mois plus tard, le groupe monopolise quatre pages de Best, qui représente alors un lectorat conséquent. Francis Dordor se déplace même sur le terrain pour prendre pleinement la mesure du succès de Bérurier Noir. Après deux concerts et quelques tranches de vie pittoresques, le journaliste dresse un portrait fidèle et attachant de la troupe en tournée, photos à l'appui. De plus, il donne l'occasion aux Bérus de donner leur vision de ce qu'ils vivent sans filtre déformant. Malgré lui, le groupe est investi par les médias au rang de chef de file d'un mouvement de plus en plus fourre-tout. Avec cette soudaine exposition médiatique, les Bérus sont de plus en plus sollicités par les organisateurs de concerts. Tous veulent ce groupe qui attire quelques centaines de personnes dans le plus anonyme des villages. Pour la troupe, l'année 1986 est une longue succession de spectacles, de Lille à Montpellier, de Saint-Brieuc à Genève. Au total, quarante-sept dates qui permettent à Bérurier Noir de prendre le pouls d'une France où la colère gronde. De fait, à l'automne, le climat social s'est nettement détérioré. Toute une jeunesse, désillusionnée après les folles espérances de mai 81 et inquiète par le retour de la droite au pouvoir, a soif de changements. Elle s'affiche ouvertement antiraciste, s'investit dans le S.C.A.L.P. (Section Carrément Anti Le Pen) et écoute un groupe qui lui parle Bérurier Noir. En décembre, un projet de réforme scolaire met le feu aux poudres et déclenche un gigantesque mouvement de protestation. Les lycéens et les étudiants sont dans la rue. Les Bérus également, mais au titre de simples citoyens. Néanmoins, ils se font régulièrement interpeller par des jeunes qui aimeraient les voir jouer pour leur cause. Des tracts Vive le Feu circulent et le groupe se trouve étroitement associé au mouvement sans même y avoir pris part. Mais les manifestations dégénèrent et se terminent tragiquement par la mort de Malik Oussekine, victime des "pelotons-voltigeurs" armés par Pasqua. Quelques paroles des Bérus résument parfaitement l'atmosphère qui envahit alors Paris: "Les bagnoles crament, la zone est enflammes et la folie gagne! Les gamins rebelles brûlent des poubelles, ce soir c'est la fête..."
Ce n'est que quelques jours avant cet événement tragique, le 4 décembre 1986, que Bérurier Noir se produit à l'Elysée-Montmartre. La salle est comble (2500 personnes pour des normes de sécurité fixées à 1200 ), l'ambiance chaude et imprégnée des revendications étudiantes, le concert chaotique. La configuration de cette ancienne salle de catch voit le groupe se produire au milieu du public, sur le ring! Les Bérus sont devenus plus qu'un groupe, ils sont imbriqués dans le contexte social. Nouveau hasard du calendrier bérurier, le 45 tours L'Empereur Tomato-Ketchup, enregistré un mois plus tôt, arrive chez les disquaires. C'est un véritable hymne à la révolte des gamins, pour l'émancipation de la jeunesse. Il est repris en choeur dans les défilés par ces jeunes qui ont trouvé une cause à rallier. NRJ, déjà numéro un à l'époque et souhaitant conserver ce statut de leadership, flaire le bon coup et programme le disque. La radio trouve ainsi un moyen de réparer l'erreur de sa rédaction qui a délibérément omis de relater les manifs étudiantes dans ses flashes d'informations. L'Empereur Tomato-Ketchup brûle le système auditif de millions d'auditeurs qui deviennent un nouveau potentiel d'agitation pour Bérurier Noir.
Cet intérêt soudain des médias est un fait nouveau pour les Bérus, et ils vont devoir apprendre à le gérer s'ils ne veulent pas se laisser submerger. Eux qui contrôlaient intégralement leur image, eux qui s'imposaient à coups de concerts événementiels, se retrouvent institutionnalisés par les médias. On peut légitimement parler d'une véritable mode bérurière qui a envahi les lycées. Malgré cette explosion, le groupe parvient à garder le contrôle de la situation. Car, en dépit de la diffusion massive de Salut à Toi et de L'Empereur Tomato-Ketchup sur ses ondes, NRJ accepte de ne pas faire figurer les deux titres dans le classement de la radio. La station va jusqu'à publier une note en bas de page expliquant que: "C'est pour respecter leur démarche que le groupe Bérurier Noir n'est pas classé dans le hit-parade comme il le mériterait avec, entre autres, L'Empereur Tomato-Ketchup". La radio a également dû acheter les disques que Bondage refusait de lui envoyer. Ce n'est pas beau l'obstination?NRJ n'arrête pas en si bon chemin son prosélytisme bérurier et invite le groupe dans ses studios, en février 1987, pour une heure d'interview. Bérurier Noir accepte l'invitation, refusant de sombrer dans le snobisme d'une marginalité excessive. De plus, le direct rend impossible les manipulations a posteriori de leurs propos. Première surprise pour les Bérus : des fans, dont la punkitude porte encore l'odeur d'une visite récente des parents dans les magasins spécialisés, les attendent dans les couloirs de la station. D'abord perplexes face à cette poussée de célébrité, le groupe s'amuse ensuite de cette nouvelle tendance lycéenne. L'animateur de service, complètement speedé, parvient maladroitement à dissimuler son malaise. Cependant, grâce aux questions minitel des auditeurs, les Bérus développent leur argumentation. Les thèmes sont abordés sans tabous : antiracisme, isolement carcéral et psychiatrique, viol, drogue... Enfin, les Béruriers ont toute liberté pour diffuser des groupes dont l'ecclectisme n'a d'égal que l'excellence: Conflict, Dead Kennedys, O.T.H., Hot Pants... Les retombées de cette diffusion radiophonique vont peser considérablement dans le développement de Bérurier Noir, qui passe au statut de groupe grand public, sans se compromettre. Seules quelques voix extrémistes et dissimulant avec peine leur jalousie viendront crier à la récupération. Néanmoins, la souplesse médiatique a ses limites, et parfois cela se passe beaucoup plus mal. François se souvient d'une proposition d'un certain Patrick Poivre d'Arvor, qui avait alors troqué son costume de journaliste contre une émission de variétés sur TF1. Béatrice Dalle, fan des premières heures, avait suggéré l'invitation du groupe.
François en tirera la leçon qui s'impose: si l'émission de PPDA c'est "A la Folie, Pas du Tout", les Bérus c'est "A la Folie, Complètement!" Depuis 1983, Bérurier Noir n'a cessé de répondre aux nombreuses sollicitations des fanzines dont les desseins étaient les mêmes que les leurs. Ils se résument en un mot: la passion. Maintenant que les grands médias se sont emparés du phénomène, une dimension commerciale s'est immiscée dans cette aventure généreuse. Le groupe va donc devoir composer avec cette nouvelle donne. A l'intérieur même de la troupe, les avis divergent quant à l'attitude à adopter. D'un côté, on préconise une méfiance extrême. Mieux vaut conserver une attitude anti-système plutôt que de se faire bouffer par les médias. De l'autre, on voudrait bien rejouer l'épisode historique du cheval de Troie. Après tout, puisque les médias ont besoin du groupe, autant en profiter pour passer le message.
Malgré ces interrogations internes, la défiance reste de mise. Le groupe garde ses distances et procède à une sélection draconienne des propositions médiatiques qui lui parviennent. Preuve en est le Dossier De Presse Illustré Officiel 86, intitulé "A Bien Märrér Hiier Souàr!" Dans cet ouvrage de plus de cent pages et tiré à cinq cents exemplaires, le groupe a rassemblé une pléiade d'extraits d'articles et d'interviews parus dans les fanzines et la presse entre 1983 et 1986. Le résultat est surprenant et fidèlement représentatif de ce qu'a été Bérurier Noir durant ces quatre annees.Les Bérus ont débuté cette année exceptionnelle à Rennes avec l'enregistrement de Décibels, et c'est également à Rennes qu'ils vont l'achever à l'occasion des 8ème Transmusicales. Ce festival a acquis sa réputation en présentant les tendances musicales en vogue de par le monde. Avec le boom de l'alternatif français, il était logique de retrouver dans cette édition Bérurier Noir, aux côtés de deux autres représentants de l'underground hexagonal : Ludwig Von 88 et Washington Dead Cats. Le programme des Transmusicales prédisait que "celui qui n'a pas vu les Bérus sur scène n'a rien vu". Ils sont encore en dessous de la réalité car cette Fiesta Bérurière clôture le festival de façon magistrale. Les 1600 spectateurs de la Salle de la Cité en restent sur le cul et font une ovation au groupe. Le concert fait les gros titres de la presse régionale, Ouest France n'hésitant pas à parler de "fête des fous". Les retombées dans la presse nationale sont aussi conséquentes et Libération rend compte d'un "triomphe prévisible". Quelle année pour Bérurier Noir Le groupe a vu s'ouvrir une à une toutes les portes qui lui étaient fermées depuis 1983. Télévisions, radios, journaux, tous se jettent sur les Bérus. Cette musique de la nie, marginalisée depuis des lustres, est maintenant l'objet de toutes les convoitises. Médias et maisons de disques se sont laissés surprendre et cherchent à rattraper le temps perdu à coups de surenchères. Docteur Béru va-t-il perdre la boule et se réveiller la tête à la place des pieds en 1987 ? Mais parallèlement, cette institutionnalisation a aiguisé la paranoïa gouvernementale. L'Etat aimerait bien savoir combien de temps la mascarade va encore durer et surtout quelles vont en être les conséquences. La patrie est-elle en danger? Me pencher sur le passé Bérurier, en tant qu'acteur, n'est pas si aisé. Il reste quelques parts d'ombre dans cette aventure. De la naissance au suicide, il restera un jour à faire les dessous de l'histoire. Il restera à visiter le groupe sous des angles différents sociologiques, psychanalytiques, politiques, sentimentaux... Bérurier Noir est en effet né d'une histoire d'amour entre deux protagonistes essentiels (Loran + François) et leur public. Un public, formé d'abord par une bande de copains, ou plutôt des bandes assez différentes les unes des autres: une partie provenant d'un milieu parisien "branché" ou "artistique", l'autre issue de la banlieue-est et "prolétarienne". La fusion de ces deux groupes de "fans" a donné naissance à un public qui s'est élargi au fil des années, grâce à une auto-promotion faite de concerts, d'interviews via les fanzines et de prises de position plutôt radicales. Les médias dans leur ensemble (presse nationale, régionale, musicale et passages télés ou radios) ont également participé à cette construction de groupe-leader que nous refusions, mais que nous avions de fait. Position conquise à la sueur de nos concerts, semblables à des combats. Un concert servait avant tout à gagner! Gagner les coeurs, mais surtout se dépasser, aller jusqu'au bout de la sincérité. L'apport des déguisements et des masques dès le premier concert a donné cette dimension "commedia dell'arte" quasi inexistante dans les groupes musicaux de l'époque. Les masques ont également été très pratiques pour se métamorphoser et "jouer un rôle" à chaque titre, ils ont amené un côté jeu que quelques zines ont appelé "Macadam Circus". Combat, jeu, dérision, un certain "je m'en foutisme", une naïveté certaine et un militantisme multiforme. Pourtant, si la réussite est flagrante d'un point de vue extérieur, les "engagements militants" dans le cadre même de la "troupe" (à l'intérieur de B.N.) me laissent songeur. La vision "égalitariste" tant prônée à l'extérieur n'était pas un reflet de l'intérieur. Mais, vivant avec cette contradiction, B.N. a fini par l'assumer. Dès 1983 nous avions une vision particulière du groupe : Loran et François formant "le noyau dur", idéologique et créateur des morceaux, parfois secondés par un saxophoniste (Paskal Kung fou puis Masto), et, une nébuleuse, "une illustration vivante" des tableaux béruriers composée au départ de fans déjantés pour former par la suite "le troupeau d'rock' (selon l'expression de Laul) puis "la troupe" (composée de 13 personnes en 1989). Cette structure hiérarchisée, irrégulée comme une machine infernale a permis aux B.N. (Loran et François, puis Loran, François et Masto) de continuer envers et contre tout. Ce n'est que lorsque le noyau créateur a été grippé, que le groupe a décidé de se saborder. C'était assez logique, sans cela, pas de germination, donc pas d'arbre ni de feuilles. Ce regard rétrospectif et introspectif me permet aujourd'hui de rendre hommage aux "oubliés" de la scène bérurière: Helno et Laul, Karine et Florence, Lulu et Micky, Masto, Paskal Kung Fou et Jojo. Helno pour son humour "grimaçant", un esprit généreux, malin et fragile; Laul pour ses acrobaties suicidaires, son cynisme parfait mais aussi, on l'oublie souvent, ses illustrations qui ont façonné l'imagerie bérurière; Karine et Florence, au début inséparables Titis, pour leurs "transes" d'une extrême vivacité, leur bonne humeur, leurs rires et la dimension féminine inestimable qu'elles ont apportée au groupe; Lulu pour ses éclairages, son esprit rebelle et critique, sa gentillesse, et Micky pour ses acrobaties aériennes, une qualité de la vie contagieuse, un humour "pince-sans-rire" et inventeur du "Yes futur!'. Masto collectionnant les rôles de "méchant" et des blagues toujours inédites, Paskal Kung fou pour ses bénévolats saxophonistes sur Concerto pour Détraqués et Salut à Toi, sa présence aux grands concerts, sa générosité et Jojo, organisateur d'un concert B.N. en Belgique devenu cracheur de feu et clown, pour son bon état d'esprit, sa touchante prestation d'acteur dans Deux Clowns. Il reste Marsu, notre manager mal-aimé, qui a été le propagandiste génial de cette "furia bérurière", le commissaire-politique, la tête-pensante du mouvement alternatif, que l'on peut également remercier pour son efficacité et son flegme "écossais" à toute épreuve doublé d'un humour sympathique. Marsu, sorte de père d'une bande d'enfants terribles prêts à toutes les bêtises, d'une raïa d'adolescents attardés en culottes courtes. Celui qui héritera de cette marmaille énervante sera Mich'Boul en 1989, apres le départ forcé de Marsu. Puis il y avait tous les autres, notamment le staff "sono" composé d'Olivier aux premières années, François D. et Pierrot kamouflage puis Tinouche. Pourtant, autant que mes souvenirs me te permettent, en sept années je n'ai eu de satisfaction au niveau du son que de très rares fois. On ne peut non plus oublier le V.O. divisé entre cocos et anars, entre Arnaud et Dom, entre méchants rouges et vilains c...anars.
Enfin, et pour finir, je ne garde de mon aventure bérurière qu'un souvenir heureux même si une satisfaction totale n'est pas au rendez-vous. Contradiction et malaise ont mis fin au groupe. Lorsqu'en novembre 1989, le mur de Berlin cède sous la pression populaire et que B.N. raccroche tes gants à l'Olympia, cela reste pour moi une même et unique libération. B.N. suicidé sur l'autel de ses propres contradictions, de sa naïveté et de son refus de changer a explosé comme un mur cède sous une force extérieure. Le suicide était alors la seule solution et, à la japonaise, il symbolisait "la réparation" face au passé et la passation des "pouvoirs alternatifs" à... personne puisqu'il n'y avait personne pour les recevoir. La boucle était bouclée et je me lançais un an plus tard dans Molodoï avec ce sentiment qu'il me restait des choses à dire et que l'histoire du monde continuait, sans BN. Une nouvelle aube se levait et mes "oeillères" idéologiques tombaient. La lourdeur bérurière avait laissé ta place à un groupe et une époque sur le "fil du rasoir". Pas de leçons à donner, juste une chaleur humaine à communiquer et à recevoir. Bérurier Noir, jusqu'en 1996, dix ans après Salut à Toi, continue à donner naissance à de futurs agités sous des formes multiples: aussi bien à travers la superbe reprise de Vive le feu par Lofofora, que les agissements "agités" d'Assassin, que la création de zines, de groupes, ta propagation d'un esprit "rebelle et humaniste" avant tout. B.N. n'a pas fait mentir le chouette slogan du Che : "Soyons réalistes, demandons l'impossible ".
Peu importent les potins journalistiques qui font vibrer les beaufs par procuration, le groupe assume sa tendance à foutre le bordel et parfois à le provoquer. Et c'est avec la même détermination à tout faire exploser que les Bérus posent leurs amplis au Studio WW en février pour enregistrer l'illustrissime Concerto pour Détraqués. Le studio WW a construit sa réputation dans les anciens frigos de Paris. Ce qui autrefois avait une vocation alimentaire accueille dans les années 80 la crème de l'underground français: Oberkampf, La Souris Déglinguée, Parabellum, Les Trotskids, Nuclear Device... Ces studios auront inspiré moult hymnes rock'n'rollesques, repris en choeurs du pavé parisien aux bars des provinces les plus reculées. Pendant deux mois, Bérurier Noir va donc enregistrer ses nouveaux morceaux avec l'assistance de Patrick Woindrich, responsable de ces débordements sonores aux portes de Chinatown sur Seine.
Petit Agité, Vivre Libre ou Mourir, Conte Cruel de la Jeunesse, Le Renard, Les Rebelles, Porcherie, Commando Pernod, Les Eléphants, Fils de..., Hélène et le Sang, Il Tua Son Petit Frère. Onze morceaux balancés comme autant de tableaux vitriolés d'une société passée au crible par une jeunesse qui n'en peut plus de subir. Ni les beaufs qui leur tirent dessus, ni les porcs qui hurlent au racisme, ni la psychiatrie reine de la lobotomie aveugle et aliénante, ni la politique des politichiens, ni les tontons violeurs, ni toutes les autres saloperies que lui réserve l'avenir. Cette jeunesse voudrait enfin pouvoir marcher libre dans la rue et laisser éclater sa rage de vivre. Bérurier Noir exprime tous ces désirs constamment refoulés par le monde adulte. D'un album à l'autre, les guitares se sont faites plus agressives, la voix incisive, tandis que le sax de Paskal Kung-Fou apparaît pour accentuer l'angoisse de certains titres. Autant Macadam Massacre était le testament d'une jeunesse de banlieue, autant Concerto pour Détraqués marque une prise de conscience et un refus de la fatalité. Un album de cette trempe méritait une sortie publique exceptionnelle. Bérurier Noir ne laisse à personne le soin de s'en charger et organise sur le parvis Beaubourg, en plein coeur de Paris, un concert sauvage pour les insoumis du service militaire. Avant de partir en tournée pour promouvoir ce Concerto pour Détraqués dans des salles de concert, les Bérus tenaient à réaffirmer leur passion pour la rue. Accompagné des Endimanchés et des Ludwig Von 88, le groupe crée une fois encore l'événement. Une joyeuse bande d'agités, informellement avertie, est venue les supporter après avoir manifesté contre la fermeture des studios de répétition du Parking 2000. Le parvis est idéal pour ce genre d'opération, très fréquenté par les touristes, rendant toute intrusion policière délicate. Ainsi les flics constateront leur impuissance devant cette invasion et assisteront au spectacle toute l'après-midi. Décidément, les forces de l'ordre sont en passe de devenir les plus fins connaisseurs (amateurs?) de Bérurier Noir! La tournée Concerto pour Détraqués, qui suit le hold-up musical de Beaubourg, donne la confirmation que la contamination bérurière a gagné l'ensemble du territoire. Les concerts s'enchaînent comme autant de foyers allumés Blois, Champigny, Trelissac, Grenoble, La Seyne, Toulouse... Mais malgré une affluence croissante aux concerts et des sollicitations de plus en plus nombreuses, Bérurier Noir n'hésite pas à rentrer au bercail quand la situation l'impose. C'est le cas le 30 mai quand les curieux qui passent entre République et Bastille ont la surprise d'apercevoir le groupe en train de jouer sur un camion au milieu d'une manifestation de soutien aux chômeurs et aux précaires.
Ce concert itinérant, s'il égaye le cortège, ne plaît pas à tous et surtout pas aux Compagnies de la Répression Sécuritaire. Alors que le reste de la manifestation progresse dans une indifférence quasi générale, le défilé bérurier affronte et repousse une première charge des C.R.S. Mais arrivés à la station de métro Chemin-Vert, le camion, ses occupants et les gens qui dansaient autour subissent une attaque éclair d'une rare violence. Toute la troupe se fait copieusement matraquer par une organisation commando assermentée. La revue Actuel publiera une photo évocatrice de cet acharnement répressif, donnant un nouveau coup de projecteur sur Bérurier Noir. En dépit des policiers qui apprécient de moins en moins l'audace des Béruriers, ceux-ci continuent à s'investir régulièrement dans des concerts de solidarité. Et cet engagement va s'intensifier au fil des années. Ainsi 1985 marque un tournant dans l'évolution du groupe. Non seulement Bérurier Noir conserve sa politique de respect du public, mais de plus, par sa notoriété croissante, il devient un porte-parole pour ceux qui bien souvent en sont privés. Bien plus que du militantisme politique au profit d'un parti, le groupe participe à un mouvement social multiforme dont les médias s'empareront deux ans plus tard sous l'étiquette "mouvement alternatif". La clause première de ce mode de vie alternatif est la liberté. Vivre Libre ou Mourir représente bien plus qu'un titre de chanson pour les Bérus, c'est l'essence même de leur combat musical. Ils conjuguent cette liberté à tous les temps liberté par rapport à l'Etat, à l'argent roi, à l'industrie du disque, aux censeurs de tout poil... Indépendants par nécessité à leurs débuts (aucun label ne voulait d'eux), ils vont le rester par conviction. Un nouveau label, Bondage, vient précisément de se monter sous l'impulsion de Philippe Baïa, Kid Bravo et Marsu. Avec ce dernier, les Bérus ont déjà un pied dans la place. De plus, ils connaissent Kid Bravo depuis des années, quand celui-ci jouait encore avec Les Brigades. Il leur a d'ailleurs déjà fait profiter de son ancien label, Rock Radical Records, pour la production de Macadam Massacre. C'est donc naturellement que Concerto pour Détraqués sort chez Bondage.Le label travaille en famille. Il n'y a aucun contrat juridique avec les groupes, simplement une entente morale. Bondage avance les fonds pour la réalisation de l'album et laisse au groupe une liberté artistique totale. Une fois ces frais amortis, le groupe et le label se partagent les bénéfices avec équité. Toutes les décisions sont prises en accord avec les Bérus dont l'image est scrupuleusement respectée. De surcroît, le label suit le groupe au niveau de sa politique de bas prix. Enfin, au niveau de la promotion, ils privilégient le travail avec les fanzines et les radios locales plutôt qu'avec les médias de masse. Le résultat ne se fait pas attendre Bérurier Noir va se répandre dans la presse parallèle comme une traînée de poudre dont ils auraient eux-mêmes allumé la mèche. Ce qui n'était au départ qu'une étincelle va rapidement devenir un mouvement, avec l'arrivée chez Bondage d'autres groupes (Ludwig Von 88, Washington Dead Cats, Nuclear Device, Les Endimanchés...), la création et la croissance d'autres labels indépendants (Boucherie, Gougnaf ou New Rose), la prolifération des fanzines, et bien sûr un public de plus en plus réceptif à ces sirènes de l'underground. Tous dépendent les uns des autres les fanzines parlent des petits groupes qu'ils font connaître aux lecteurs tandis qu'ils profitent de la notoriété des grosses pointures pour écouler leurs productions scripturales. Cet activisme fait grimper les ventes d'albums de façon vertigineuse et les salles de concert ont du mal à contenir un public de plus en plus enthousiaste. Bérurier Noir va servir de locomotive à tout ce petit monde, repoussant une à une toutes les tentatives de subversion du business discographique. Certes, Bérurier Noir n'invente rien dans sa résistance face à la société de consommation et ses suppôts. Fn revanche, ils parviennent à rester fidèles à leurs idéaux en conservant une lucidité àtoute épreuve. Cela s'explique notamment par le fait que les Bérus sont également autonomes vis-à-vis de leur activité musicale. Celle-ci ne constitue pas leur source première de revenus. En effet, François est manutentionnaire dans un grand magasin et Loran anime un centre de loisirs pour les enfants en banlieue parisienne. Même si ces activités sont parfois difficilement conciliables avec la musique, elles permettent au groupe de rester à l'écoute des réalités quotidiennes et de garder un oeil critique sur ses orientations. Alors que généralement les artistes n'ont qu'un souhait, se consacrer uniquement à la création, Bérurier Noir navigue une fois de plus à contre-courant. Mais le mouvement alternatif couvre un domaine bien plus large que la simple notion artistique. On peut légitimement parler d'une véritable lutte sociale pour un mode de vie différent. Les terrains d'action ne manquent pas: l'antiracisme, la lutte contre la précarité, le droit au logement, les dérives sécuritaires... Autant de thèmes qui se confondent dans les textes de Bérurier Noir et dans leurs actions au quotidien. Les chansons ou les fanzines servent de relais de communication et donnent la possibilité à de petites associations de diffuser leurs messages. Politiques par leurs actes, les Bérus ne se laisseront jamais inféoder à la doctrine d'un parti, dénonçant tous azimuts ce qui les fait réagir, sans clientélisme. Un dicton basque résume bien les ambitions du mouvement alternatif: "La fête oui, mais la lutte aussi!". Doit-on parler de fête ou de lutte pour Bérurier Noir quand ils se retrouvent le 28 juillet 1985 au Festival Eurorock avec une flopée de groupes tels Damned, Trotskids, La Souris Déglinguée, Washington Dead Cats et autres activistes de la scène punk-rock? Apparemment, l'affiche bleu, blanc, rouge ambigument intitulée "Quand l'Europe s'éveillera" n'est pas exempte de responsabilités dans la métamorphose de la petite localité de Portbail en remake de la Fontaine des Innocents. Arrivés la veille, les Bérus constatent les dégâts. Les organisateurs n'ont produit que deux concerts avant de se lancer dans cette équipée sauvage. Le site est entouré de palissades à l'intérieur desquelles on a enfermé une véritable meute de skins et de punks. Une réserve pour les brutes! Dès le premier soir, le groupe est confronté aux inévitables accrochages dont ils sortiront indemnes grâce au tempérament d'acier de leur sonorisateur de l'époque. Le concert du lendemain promet d'être chaud Au bout du compte, c'est à 5h00 du matin, avec près de trois heures de retard, que les Bérus montent sur scène. Ils parviennent pourtant àréveiller un public qui finira hystérique en chantant La Mort au Choix. Une façon ironique de saluer le batteur de Rubella Ballet qui avait monté sa batterie sur scène et commencé ses réglages sans se soucier de la prestation de Bérurier Noir. Le malheureux aura observé à ses dépens qu'à Portbail comme ailleurs, les Béruriers sont les rois. Des rois qui résumeront parfaitement l'ambiance d'Eurorock: "De toute façon, on est tous fous!"
Sans doute pour se remettre de ces concerts chaotiques, le groupe s'embarque dans une nouvelle campagne hollandaise prometteuse en anecdotes : Tour d'Action Barbelé ! Le slogan de la tournée est évocateur: "Tour d'Action Barbelé emmerde l'oppression, la puissance, la répression, etc... en France, aux Pays-Bas, partout". En fait, mises à part les sautes d'humeur du chanteur des Portes-Mentaux, la tournée laisse un excellent souvenir de ce pays ou règne la tolérance. Et par la même occasion, le groupe renoue avec les lieux autogérés, dans lesquels ils se produisent devant 200 à 300 personnes. Après cette incartade sur les terres bataves, c'est en apothéose que les Bérus vont tirer le rideau sur une année 1985 prolifique. Tout d'abord, ils repartent à Toulouse pour un concert de soutien au S.C.A.L.P. (Section Carrément Anti Le Pen) qui attire plus de 2000 personnes. Ce soir-là, avec Dau Al Set, City Kids et les Dogs,Bérurier Noir a transformé le Parc des Expositions en un gigantesque pogo dont s'échappait un seul cri de guerre "Géronimo contre tous les fachos!". Ce concert restera comme un appel à la résistance contre une peste brune en voie de prolifération dans toute l'Europe et particulièrement en France. Par la suite, les Bérus resteront étroitement associés à la lutte antifasciste radicale. Ainsi, "La jeunesse emmerde le Front National" demeurera pendant plusieurs années le slogan de prédilection d'une jeunesse refusant d'abandonner la rue aux loups de l'extrème-droite. C'est donc débordant d'enthousiasme que le contingent bérurier - renforcé par Paskal Kung-Fou au sax, les Cornemuseurs Enragés, le Choeur des Molodoï et la Chorale des Mômes - réinvestit le studio WW au mois de novembre. L'objectif de ce déploiement de forces orchestrales est l'enregistrement d'un maxi pour fêter dignement la fin de l'année. Mission accomplie avec la sortie un mois plus tard de Joyeux Merdier. Cette farce de Noël rassemble quatre morceaux (La Mère Noël, J'aime pas la Soupe, Vive le Feu et Salut à Toi) dont le côté fun est beaucoup plus flagrant que dans les albums précédents. Certes, on retrouve les mêmes préoccupations sociales, mais le ton se fait souvent satirique. De plus, pour la première fois, la pochette du disque laisse éclater les couleurs de deux clowns qui confirment cette tendance au renouveau. A sa sortie, les fanzines le saluent de façon unanime et, fait inédit, la presse officielle en parle à son tour, notamment Libération. Ce n'est pas encore la Révolution, mais les Bérus ont bel et bien enfoncé une porte fermement verrouillée.Dans le même temps se met en place la troupe bérurière, qui regroupe Fanfan au chant, Loran à la guitare et aux hurlements sauvages, Helno et Laul (alias les Tontons) aux choeurs mâles, les Titis à la danse et aux choeurs femelles, Paskal Kung-Fou à l'intérim sax, Lulu aux lumières et Marsu à la propagande. Dorénavant, le groupe prendra également en charge la sécurité de ses concerts. Le service d'ordre bérurier se compose de quelques amis, pour la plupart rencontrés dans les squatts ou les concerts, et qui déjà à cette époque veillaient à la bonne marche des prestations exceptionnelles des Béruriers (parvis Beaubourg, Faculté de Tolbiac...). Guidé par Dom, le S.O. Mandrin ("Qui vole aux riches pour donner aux pauvres!") se déplacera avec la troupe pour la protéger, ainsi que son public, des agressions extérieures. De la sorte, les Bérus ne seront plus jamais deux, le troupeau d'rock est formé et va donner un nouvel élan à la formation. Bérurier Noir tourne définitivement la page sur l'image d'un groupe "cold", au profit d'un rock toujours contestataire mais de plus en plus joyeux et démonstratif.La nouvelle troupe, fraîchement formée, pense pouvoir dévoiler son Macadam Circus aux yeux de tous à l'occasion de la Nuit Apache qui doit enflammer le Quai de la Gare. Malheureusement, la troupe de théâtre qui occupe les lieux libère la salle bien plus tard que prévu. De plus, 700 personnes se massent devant les portes du théâtre qui peut en comporter moitié moins. Enfin, comble du désespoir, la sono est déficiente et fait sauter toute l'installation électrique après le deuxième morceau. Pour pallier à ce coup du sort, Bérurier Noir met sur pied la Revanche Indienne la semaine suivante à l'Usine de Montreuil. Ce gigantesque squatt à la périphérie de Paris était un lieu de rencontre inespéré pour une population marginalisée par la société prolos, immigrés, jeunesses perdues, peuples de la rue... L'Usine développait de nombreux ateliers de création artistique, animait des cours d'arts martiaux et organisait quelques concerts dont le prix était à l'appréciation de chacun. Avec la politique de répression du rock que menait la mairie de Paris, ce squatt devint une place incontournable de la scène underground. Les Bérus ne pouvaient rêver mieux pour roder un spectacle inédit qui explosera l'année suivante dans tout l'hexagone. En attendant cette consécration scénique, Bérurier Noir peut être satisfait d'une année fructueuse, tant sur le plan des concerts qu'au niveau de la production discographique. Le show Bérurier attire un public toujours plus nombreux dans la capitale, mais également en province. Quant aux disques, ils atteignent des chiffres de vente remarquables pour un groupe indépendant. Cette réussite est dignement saluée en décembre par une grève générale des transports parisiens, synonyme d'un Joyeux Merdier!
En ce début d'année 1986, on note une trêve sur le front des grèves. Par contre, le Joyeux Merdier déclenché par Bérurier Noir l'année précédente va se poursuivre. Il va même prendre de l'ampleur en trouvant de nouveaux alliés inattendus pour ces dissidents du rock. Le 23 février, la France entière va être confrontée à cette bande de petits agités qui, en prime de leurs clowneries, ont des messages à délivrer. Les Bérus sont à la télé. Les beaufs en gerbent leur anis quotidien, les vieilles mémés ont le dentier qui veut se faire la malle, les curés prient avec ferveur, les flics astiquent leurs matraques, des prisons et des hôpitaux psychiatriques s'élèvent des cris de revanche, les cancres arrêtent de copier leurs cents lignes... On croit rêver, eux qui commençaient à peine à sortir des squatts et des fanzines sont là, dans l'écran, en train de se démener comme des beaux diables devant les yeux effarés de tout le pays. Le mérite de ce dégel télévisuel revient à Jan-Lou Janeir et à son émission Décibels. Pendant plusieurs années, cette production "familiale" de FR3 Rennes, diffusée nationalement, aura été une lucarne d'expression pour la plupart des activistes du rock français. La Souris Déglinguée, Los Carayos, Pigalle, Les Garçons Bouchers, Camera Silens, Nuclear Device et bien d'autres encore auront eu carte blanche pour improviser des clips à leur image. Mais le premier prix de la mise en scène revient sans conteste à Bérurier Noir. C'est bien connu, les Béruriers sont les rois. Ils feront donc honneur à ce titre suprême en débarquant dans la cité bretonne avec une cour de vingt-trois agités. En renfort du désormais traditionnel troupeau d'rock, les Bérus sont accompagnés par Les Endimanchés dans leur tenue classique (slips kangourous, marcels, lunettes et bérets de rigueur), des agents doubles de Ludwig Von 88 et des survivants de la raïa de Pontault-Combaut. Cette expédition hannibalienne traîne avec elle des malles débordantes d'accessoires indispensables à une représentation bérurière: shorts, kilts écossais, couteaux, nunchaks, flingues, peluches, masques... Autant d'éléments qui permettront à Bérurier Noir de tourner dans des décors urbains deux vidéos hautes en couleurs des morceaux Commando Pernod et Salut à Toi. Ces clips seront diffusés avec une mini-interview qui, outre les mimiques éthyliques d'Helno, permettra à François et Loran d'expliquer la démarche du groupe à des téléspectateurs encore vierges de toute compromission bérurière. Cette première incursion à la télévision donne le signal sonore et visuel d'une nouvelle vague de contamination bérurière. Elle a révélé à toute une jeunesse, qui n'avait pas accès à la presse indépendante, l'existence d'un groupe qui ne marche pas dans les sentiers corrompus d'un rock prêt-à-consommer. Les mois suivants, les Bérus vont mieux saisir l'impact de cette apparition télévisuelle sur le public. Au cours des nombreux concerts qu'ils donnent, ils peuvent constater que leur popularité est en train d'exploser. Les disques se vendent de mieux en mieux et les salles ne désemplissent pas. Pourtant, sans se soucier de cette soudaine effervescence, Bérurier Noir reste fidèle à ses principes. Aussi, après un nouveau détour par Rennes, mais cette fois pour se produire sur scène, les Bérus renouent avec un passé qu'ils n'ont jamais renié. Le 22 mars 1986, l'association Rock à l'Usine, qui sent se préciser la menace de fermeture de son squatt à Montreuil, organise un concert sous chapiteau à l'Espace Galliéni. En dépit des habituels problèmes techniques et d'une anarchie scénique, le groupe pourra approcher le temps d'une soirée ses rêves de circassiens. Mais le gouvernement chiraquien veut faire le ménage parmi les quelques initiatives culturelles que la gauche a laissées se développer depuis 1981. Les derniers squatts sont dans la ligne de mire. Alain Robert, maire de Montreuil, applique à la lettre les consignes gouvernementales et ordonne, le 11 avril, que l'Usine soit murée. Le lendemain, alors qu'un concert de La Souris Déglinguée était programmé, les milices de Pasqua évacuent violemment les opposants à la fermeture du squatt. Cette opération de force provoque une véritable bataille rangée entre punks et policiers qui ne s'achèvera que tard dans la nuit dans l'antre du Forum des Halles. Les rescapés témoigneront de la haine avec laquelle les policiers chasseront jusqu'aux derniers punks. Le bilan de la résistance populaire est lourd: 72 arrestations, de nombreux blessés et quelques voitures brûlées. Après les événements, Le Parisien ne s'embarrassera pas d'honnêteté intellectuelle en titrant en première page: "200 punks attaquent la police" !
Avec la fermeture de l'Usine, c'est l'histoire des grands squatts à vocation culturelle et vitale qu'on est en train de sceller. L'existence de Bérurier Noir est étroitement associée à celle de ces lieux alternatifs grâce auxquels ils ont pu démarrer leur aventure. François, qui a squatté quelques temps, se souvient de cette expérience comme d'un moment fort, malgré les difficultés inhérentes à ce mode de vie et les clichés tant idéalistes que calomnieux qu'il véhicule. Après cette fièvre de violences policières, Bérurier Noir retourne en Belgique pour trois concerts avant la grande date parisienne de La Mutualité. Le 24 avril 1986, la salle du Vème arrondissement parvient avec peine à contenir les 2000 personnes attirées par une affiche qui promettait une fête de la jeunesse orchestrée par Nuclear Device, Ludwig Von 88, et bien sûr Bérurier Noir. La tension n'est pas retombée depuis les évènements de Montreuil. L'ambiance dans la salle est explosive. Et à l'extérieur tout est prêt pour qu'elle le devienne puisque 800 C.R.S. battent le pavé en attendant mieux. Hasard ou indice de ce déploiement de forces La Mutualité se trouve à deux rues du domicile personnel de François Mitterrand. Que redoute la police ? Bérurier Noir deviendrait-il une menace pour le gouvernement ? Lorsque Nuclear Device ouvre les festivités, une forte odeur de gaz lacrymogène se répand dans la salle et contraint le groupe à interrompre son concert. Malgré ces provocations, rien ne pourra saboter le festival qui se terminera en apothéose avec les Béruriers, toujours plus spectaculaires grâce aux acrobaties Vietnamiennes de Mickey. Dans une hystérie générale, le groupe invitera son public à sortir groupé et dans le calme, sans céder à la tentation de répondre aux bravades policières. Béruriers Noir assume ses responsabilités, ce qui ne semble pas être le cas des pouvoirs publics manifestement désemparés devant l'ampleur que prend le phénomène.Alors que Bérurier Noir squatte les fanzines depuis trois ans, la presse à grand tirage ne peut plus ignorer ce cri de la rue qui est en passe de se métamorphoser en mouvement de masse. Il leur fallait un détonateur, le concert exceptionnel de La Mutualité le leur a fourni. Dans la foulée, au milieu de cette année 1986, le mouvement alternatif devient la nouvelle mode médiatique. Le terme est accommodé à toutes les sauces et souvent des plus épicées musique, politique, fringues, art... Tout y passe, les médias savent qu'ils ont manqué un train et peu importe de le faire dérailler pourvu qu'ils puissent le rattraper. La revue Actuel, qui se doit d'orner tous les chevets d'une gauche branchée, est la première à inaugurer les séances de rattrapage. Son numéro de mai consacre un article au phénomène sous le titre "Déconnez pas avec les squatts!" Suite à l'expulsion de l'Usine, Actuel se pose en défenseur de ces lieux qui existent depuis plusieurs années déjà, sans qu'aucun journal ou magazine n'ait écrit une ligne à leur sujet, sinon pour les défigurer. "II n'est jamais trop tard pour bien faire", dit le proverbe. Mais dans ce cas précis, il est trop tard car l'Usine vient d'être démolie. Bien entendu, au passage, la revue glisse quelques lignes élogieuses sur les Bérus. Deux mois plus tard, le groupe monopolise quatre pages de Best, qui représente alors un lectorat conséquent. Francis Dordor se déplace même sur le terrain pour prendre pleinement la mesure du succès de Bérurier Noir. Après deux concerts et quelques tranches de vie pittoresques, le journaliste dresse un portrait fidèle et attachant de la troupe en tournée, photos à l'appui. De plus, il donne l'occasion aux Bérus de donner leur vision de ce qu'ils vivent sans filtre déformant. Malgré lui, le groupe est investi par les médias au rang de chef de file d'un mouvement de plus en plus fourre-tout. Avec cette soudaine exposition médiatique, les Bérus sont de plus en plus sollicités par les organisateurs de concerts. Tous veulent ce groupe qui attire quelques centaines de personnes dans le plus anonyme des villages. Pour la troupe, l'année 1986 est une longue succession de spectacles, de Lille à Montpellier, de Saint-Brieuc à Genève. Au total, quarante-sept dates qui permettent à Bérurier Noir de prendre le pouls d'une France où la colère gronde. De fait, à l'automne, le climat social s'est nettement détérioré. Toute une jeunesse, désillusionnée après les folles espérances de mai 81 et inquiète par le retour de la droite au pouvoir, a soif de changements. Elle s'affiche ouvertement antiraciste, s'investit dans le S.C.A.L.P. (Section Carrément Anti Le Pen) et écoute un groupe qui lui parle Bérurier Noir. En décembre, un projet de réforme scolaire met le feu aux poudres et déclenche un gigantesque mouvement de protestation. Les lycéens et les étudiants sont dans la rue. Les Bérus également, mais au titre de simples citoyens. Néanmoins, ils se font régulièrement interpeller par des jeunes qui aimeraient les voir jouer pour leur cause. Des tracts Vive le Feu circulent et le groupe se trouve étroitement associé au mouvement sans même y avoir pris part. Mais les manifestations dégénèrent et se terminent tragiquement par la mort de Malik Oussekine, victime des "pelotons-voltigeurs" armés par Pasqua. Quelques paroles des Bérus résument parfaitement l'atmosphère qui envahit alors Paris: "Les bagnoles crament, la zone est enflammes et la folie gagne! Les gamins rebelles brûlent des poubelles, ce soir c'est la fête..."
Ce n'est que quelques jours avant cet événement tragique, le 4 décembre 1986, que Bérurier Noir se produit à l'Elysée-Montmartre. La salle est comble (2500 personnes pour des normes de sécurité fixées à 1200 ), l'ambiance chaude et imprégnée des revendications étudiantes, le concert chaotique. La configuration de cette ancienne salle de catch voit le groupe se produire au milieu du public, sur le ring! Les Bérus sont devenus plus qu'un groupe, ils sont imbriqués dans le contexte social. Nouveau hasard du calendrier bérurier, le 45 tours L'Empereur Tomato-Ketchup, enregistré un mois plus tôt, arrive chez les disquaires. C'est un véritable hymne à la révolte des gamins, pour l'émancipation de la jeunesse. Il est repris en choeur dans les défilés par ces jeunes qui ont trouvé une cause à rallier. NRJ, déjà numéro un à l'époque et souhaitant conserver ce statut de leadership, flaire le bon coup et programme le disque. La radio trouve ainsi un moyen de réparer l'erreur de sa rédaction qui a délibérément omis de relater les manifs étudiantes dans ses flashes d'informations. L'Empereur Tomato-Ketchup brûle le système auditif de millions d'auditeurs qui deviennent un nouveau potentiel d'agitation pour Bérurier Noir.
Cet intérêt soudain des médias est un fait nouveau pour les Bérus, et ils vont devoir apprendre à le gérer s'ils ne veulent pas se laisser submerger. Eux qui contrôlaient intégralement leur image, eux qui s'imposaient à coups de concerts événementiels, se retrouvent institutionnalisés par les médias. On peut légitimement parler d'une véritable mode bérurière qui a envahi les lycées. Malgré cette explosion, le groupe parvient à garder le contrôle de la situation. Car, en dépit de la diffusion massive de Salut à Toi et de L'Empereur Tomato-Ketchup sur ses ondes, NRJ accepte de ne pas faire figurer les deux titres dans le classement de la radio. La station va jusqu'à publier une note en bas de page expliquant que: "C'est pour respecter leur démarche que le groupe Bérurier Noir n'est pas classé dans le hit-parade comme il le mériterait avec, entre autres, L'Empereur Tomato-Ketchup". La radio a également dû acheter les disques que Bondage refusait de lui envoyer. Ce n'est pas beau l'obstination?NRJ n'arrête pas en si bon chemin son prosélytisme bérurier et invite le groupe dans ses studios, en février 1987, pour une heure d'interview. Bérurier Noir accepte l'invitation, refusant de sombrer dans le snobisme d'une marginalité excessive. De plus, le direct rend impossible les manipulations a posteriori de leurs propos. Première surprise pour les Bérus : des fans, dont la punkitude porte encore l'odeur d'une visite récente des parents dans les magasins spécialisés, les attendent dans les couloirs de la station. D'abord perplexes face à cette poussée de célébrité, le groupe s'amuse ensuite de cette nouvelle tendance lycéenne. L'animateur de service, complètement speedé, parvient maladroitement à dissimuler son malaise. Cependant, grâce aux questions minitel des auditeurs, les Bérus développent leur argumentation. Les thèmes sont abordés sans tabous : antiracisme, isolement carcéral et psychiatrique, viol, drogue... Enfin, les Béruriers ont toute liberté pour diffuser des groupes dont l'ecclectisme n'a d'égal que l'excellence: Conflict, Dead Kennedys, O.T.H., Hot Pants... Les retombées de cette diffusion radiophonique vont peser considérablement dans le développement de Bérurier Noir, qui passe au statut de groupe grand public, sans se compromettre. Seules quelques voix extrémistes et dissimulant avec peine leur jalousie viendront crier à la récupération. Néanmoins, la souplesse médiatique a ses limites, et parfois cela se passe beaucoup plus mal. François se souvient d'une proposition d'un certain Patrick Poivre d'Arvor, qui avait alors troqué son costume de journaliste contre une émission de variétés sur TF1. Béatrice Dalle, fan des premières heures, avait suggéré l'invitation du groupe.
François en tirera la leçon qui s'impose: si l'émission de PPDA c'est "A la Folie, Pas du Tout", les Bérus c'est "A la Folie, Complètement!" Depuis 1983, Bérurier Noir n'a cessé de répondre aux nombreuses sollicitations des fanzines dont les desseins étaient les mêmes que les leurs. Ils se résument en un mot: la passion. Maintenant que les grands médias se sont emparés du phénomène, une dimension commerciale s'est immiscée dans cette aventure généreuse. Le groupe va donc devoir composer avec cette nouvelle donne. A l'intérieur même de la troupe, les avis divergent quant à l'attitude à adopter. D'un côté, on préconise une méfiance extrême. Mieux vaut conserver une attitude anti-système plutôt que de se faire bouffer par les médias. De l'autre, on voudrait bien rejouer l'épisode historique du cheval de Troie. Après tout, puisque les médias ont besoin du groupe, autant en profiter pour passer le message.
Malgré ces interrogations internes, la défiance reste de mise. Le groupe garde ses distances et procède à une sélection draconienne des propositions médiatiques qui lui parviennent. Preuve en est le Dossier De Presse Illustré Officiel 86, intitulé "A Bien Märrér Hiier Souàr!" Dans cet ouvrage de plus de cent pages et tiré à cinq cents exemplaires, le groupe a rassemblé une pléiade d'extraits d'articles et d'interviews parus dans les fanzines et la presse entre 1983 et 1986. Le résultat est surprenant et fidèlement représentatif de ce qu'a été Bérurier Noir durant ces quatre annees.Les Bérus ont débuté cette année exceptionnelle à Rennes avec l'enregistrement de Décibels, et c'est également à Rennes qu'ils vont l'achever à l'occasion des 8ème Transmusicales. Ce festival a acquis sa réputation en présentant les tendances musicales en vogue de par le monde. Avec le boom de l'alternatif français, il était logique de retrouver dans cette édition Bérurier Noir, aux côtés de deux autres représentants de l'underground hexagonal : Ludwig Von 88 et Washington Dead Cats. Le programme des Transmusicales prédisait que "celui qui n'a pas vu les Bérus sur scène n'a rien vu". Ils sont encore en dessous de la réalité car cette Fiesta Bérurière clôture le festival de façon magistrale. Les 1600 spectateurs de la Salle de la Cité en restent sur le cul et font une ovation au groupe. Le concert fait les gros titres de la presse régionale, Ouest France n'hésitant pas à parler de "fête des fous". Les retombées dans la presse nationale sont aussi conséquentes et Libération rend compte d'un "triomphe prévisible". Quelle année pour Bérurier Noir Le groupe a vu s'ouvrir une à une toutes les portes qui lui étaient fermées depuis 1983. Télévisions, radios, journaux, tous se jettent sur les Bérus. Cette musique de la nie, marginalisée depuis des lustres, est maintenant l'objet de toutes les convoitises. Médias et maisons de disques se sont laissés surprendre et cherchent à rattraper le temps perdu à coups de surenchères. Docteur Béru va-t-il perdre la boule et se réveiller la tête à la place des pieds en 1987 ? Mais parallèlement, cette institutionnalisation a aiguisé la paranoïa gouvernementale. L'Etat aimerait bien savoir combien de temps la mascarade va encore durer et surtout quelles vont en être les conséquences. La patrie est-elle en danger? Me pencher sur le passé Bérurier, en tant qu'acteur, n'est pas si aisé. Il reste quelques parts d'ombre dans cette aventure. De la naissance au suicide, il restera un jour à faire les dessous de l'histoire. Il restera à visiter le groupe sous des angles différents sociologiques, psychanalytiques, politiques, sentimentaux... Bérurier Noir est en effet né d'une histoire d'amour entre deux protagonistes essentiels (Loran + François) et leur public. Un public, formé d'abord par une bande de copains, ou plutôt des bandes assez différentes les unes des autres: une partie provenant d'un milieu parisien "branché" ou "artistique", l'autre issue de la banlieue-est et "prolétarienne". La fusion de ces deux groupes de "fans" a donné naissance à un public qui s'est élargi au fil des années, grâce à une auto-promotion faite de concerts, d'interviews via les fanzines et de prises de position plutôt radicales. Les médias dans leur ensemble (presse nationale, régionale, musicale et passages télés ou radios) ont également participé à cette construction de groupe-leader que nous refusions, mais que nous avions de fait. Position conquise à la sueur de nos concerts, semblables à des combats. Un concert servait avant tout à gagner! Gagner les coeurs, mais surtout se dépasser, aller jusqu'au bout de la sincérité. L'apport des déguisements et des masques dès le premier concert a donné cette dimension "commedia dell'arte" quasi inexistante dans les groupes musicaux de l'époque. Les masques ont également été très pratiques pour se métamorphoser et "jouer un rôle" à chaque titre, ils ont amené un côté jeu que quelques zines ont appelé "Macadam Circus". Combat, jeu, dérision, un certain "je m'en foutisme", une naïveté certaine et un militantisme multiforme. Pourtant, si la réussite est flagrante d'un point de vue extérieur, les "engagements militants" dans le cadre même de la "troupe" (à l'intérieur de B.N.) me laissent songeur. La vision "égalitariste" tant prônée à l'extérieur n'était pas un reflet de l'intérieur. Mais, vivant avec cette contradiction, B.N. a fini par l'assumer. Dès 1983 nous avions une vision particulière du groupe : Loran et François formant "le noyau dur", idéologique et créateur des morceaux, parfois secondés par un saxophoniste (Paskal Kung fou puis Masto), et, une nébuleuse, "une illustration vivante" des tableaux béruriers composée au départ de fans déjantés pour former par la suite "le troupeau d'rock' (selon l'expression de Laul) puis "la troupe" (composée de 13 personnes en 1989). Cette structure hiérarchisée, irrégulée comme une machine infernale a permis aux B.N. (Loran et François, puis Loran, François et Masto) de continuer envers et contre tout. Ce n'est que lorsque le noyau créateur a été grippé, que le groupe a décidé de se saborder. C'était assez logique, sans cela, pas de germination, donc pas d'arbre ni de feuilles. Ce regard rétrospectif et introspectif me permet aujourd'hui de rendre hommage aux "oubliés" de la scène bérurière: Helno et Laul, Karine et Florence, Lulu et Micky, Masto, Paskal Kung Fou et Jojo. Helno pour son humour "grimaçant", un esprit généreux, malin et fragile; Laul pour ses acrobaties suicidaires, son cynisme parfait mais aussi, on l'oublie souvent, ses illustrations qui ont façonné l'imagerie bérurière; Karine et Florence, au début inséparables Titis, pour leurs "transes" d'une extrême vivacité, leur bonne humeur, leurs rires et la dimension féminine inestimable qu'elles ont apportée au groupe; Lulu pour ses éclairages, son esprit rebelle et critique, sa gentillesse, et Micky pour ses acrobaties aériennes, une qualité de la vie contagieuse, un humour "pince-sans-rire" et inventeur du "Yes futur!'. Masto collectionnant les rôles de "méchant" et des blagues toujours inédites, Paskal Kung fou pour ses bénévolats saxophonistes sur Concerto pour Détraqués et Salut à Toi, sa présence aux grands concerts, sa générosité et Jojo, organisateur d'un concert B.N. en Belgique devenu cracheur de feu et clown, pour son bon état d'esprit, sa touchante prestation d'acteur dans Deux Clowns. Il reste Marsu, notre manager mal-aimé, qui a été le propagandiste génial de cette "furia bérurière", le commissaire-politique, la tête-pensante du mouvement alternatif, que l'on peut également remercier pour son efficacité et son flegme "écossais" à toute épreuve doublé d'un humour sympathique. Marsu, sorte de père d'une bande d'enfants terribles prêts à toutes les bêtises, d'une raïa d'adolescents attardés en culottes courtes. Celui qui héritera de cette marmaille énervante sera Mich'Boul en 1989, apres le départ forcé de Marsu. Puis il y avait tous les autres, notamment le staff "sono" composé d'Olivier aux premières années, François D. et Pierrot kamouflage puis Tinouche. Pourtant, autant que mes souvenirs me te permettent, en sept années je n'ai eu de satisfaction au niveau du son que de très rares fois. On ne peut non plus oublier le V.O. divisé entre cocos et anars, entre Arnaud et Dom, entre méchants rouges et vilains c...anars.
Enfin, et pour finir, je ne garde de mon aventure bérurière qu'un souvenir heureux même si une satisfaction totale n'est pas au rendez-vous. Contradiction et malaise ont mis fin au groupe. Lorsqu'en novembre 1989, le mur de Berlin cède sous la pression populaire et que B.N. raccroche tes gants à l'Olympia, cela reste pour moi une même et unique libération. B.N. suicidé sur l'autel de ses propres contradictions, de sa naïveté et de son refus de changer a explosé comme un mur cède sous une force extérieure. Le suicide était alors la seule solution et, à la japonaise, il symbolisait "la réparation" face au passé et la passation des "pouvoirs alternatifs" à... personne puisqu'il n'y avait personne pour les recevoir. La boucle était bouclée et je me lançais un an plus tard dans Molodoï avec ce sentiment qu'il me restait des choses à dire et que l'histoire du monde continuait, sans BN. Une nouvelle aube se levait et mes "oeillères" idéologiques tombaient. La lourdeur bérurière avait laissé ta place à un groupe et une époque sur le "fil du rasoir". Pas de leçons à donner, juste une chaleur humaine à communiquer et à recevoir. Bérurier Noir, jusqu'en 1996, dix ans après Salut à Toi, continue à donner naissance à de futurs agités sous des formes multiples: aussi bien à travers la superbe reprise de Vive le feu par Lofofora, que les agissements "agités" d'Assassin, que la création de zines, de groupes, ta propagation d'un esprit "rebelle et humaniste" avant tout. B.N. n'a pas fait mentir le chouette slogan du Che : "Soyons réalistes, demandons l'impossible ".
Comments:
<< Home
Un gauchiste ! Un "punk" ! Blouson noir va ! ça nous le savions déjà !
Pauvre France ! Avec une telle jeunesse !
Pauvre France ! Avec une telle jeunesse !
La jeunesse ça rend tout fou...
la vieillesse ça rend tout con....
la chanson "Nuit d'apache" dédiée aux redskins qui assuraient la sécu des concerts des B.R...curieux n'est-il pas ?
la vieillesse ça rend tout con....
la chanson "Nuit d'apache" dédiée aux redskins qui assuraient la sécu des concerts des B.R...curieux n'est-il pas ?
super ton article sur la folie bérurière!
enfin quelqu'un qui des goûts musicaux surs et qui ne les a pas oublié.
continue comme ca je met ton blog dans mes favoris.
Enregistrer un commentaire
enfin quelqu'un qui des goûts musicaux surs et qui ne les a pas oublié.
continue comme ca je met ton blog dans mes favoris.
<< Home