lundi, juillet 30, 2007

 

What happened to Alain Z.Kan ?

Merçi Supermercado. "Dans son livre, Alain Pacadis le remercie "pour sa bonne humeur" et raconte régulièrement les soirées terminées chez lui. Marie-France, la complice de l'Alcazar, pose sur la pochette d'un de ses disques. Fred Chichin joue avec lui, lui propose "Marcia Baïla", est recalé ("trop commercial"). Il enregistre chez Manset, flashe sur Bowie, est le beau-frère de Christophe et disparaît après avoir été meneur de revue, chanteur de variétés, de groupe punk ou de travelo-rock. Ses disques ont été interdits d'antenne et de promotion, aujourd'hui il est occulté systématiquement de toutes les rétrospectives. Si le personnage vous intrigue, voici le trajet de la comète. 10 juin 1987, Paris, au Rex Club. Nous sommes venues voir un concert de Daniel Darc et Laurent Sinclair, l'ex-chanteur et l'ex-claviers du groupe mythique Taxi Girl. On annonce un invité : Alain Kan. La lumière s'éteint. Lentement, très lentement, une élégante silhouette toute vêtue et bottée de noir, entre en scène. Une totale fascination commence. Allure androgyne, visage intense, Alain Kan a des gestes inimitables pour prendre le micro, qui fait un horrible sifflement, le reposer et lui faire calmement signe de la main de s'apaiser, puis le reprendre, se retourner et lancer un rire glacial, plein de fière et douloureuse amertume. Et il commence d'une voix froide comme le métal : "Le serviteur était allemand. Trop bien mis des bottes aux gants. Dans le charter de la folie, le ticket était un rubis". Et la voix déclame, la chanson enfle, le délire monte, c'est l'explosion. Sur la scène, Daniel Darc est resté pour écouter et regarder chaque mot, chaque geste, penchant la tête, en extase. En extase, nous le sommes aussi. C'est un de ces moments de la vie dont on voudrait qu'ils durent bien plus longtemps et dont on sait, déjà, qu'ils seront de magnifiques souvenirs. Et puis c'est la descente, le charter est cassé. "La réalité frappe trop fort, chante Alain Kan, J'entends la voix d'un Morrisson... Et qu'est-ce qu'il crie ? THE END !!!" Il rit encore, et repart, toujours très lentement, majestueusement. On a presque l'impression d'avoir rêvé. Nous ne l'avons jamais revu, et nous savons que depuis 1990 il a réellement disparu. Dead or Alive, nul ne le sait, mais exceptionnel, ça c'est sûr. Nous avons eu envie de vous parler de lui. Alain Kan est né le 14 septembre 1944 à Paris, vierge ascendant lion. Kan est le nom de son beau-père, le nouveau mari de sa mère, son père ayant plus ou moins disparu, déjà... Il est élevé avec la fille de son beau-père, Véronique, de sept ans plus âgée que lui. Au printemps 1963, il sort son premier 45 tours chez Pathé-Marconi, "Si l'amour" de Bob du Pac et Jean-Louis Chauby, et "Quand tu reviendras" de Michel Jourdan et Danyel Gérard. C'est le début de la première partie de sa carrière, son "époque variétés". A ce moment là, les variétés, ça concernait un trio : l'interprète, l'auteur (des paroles) et le compositeur (de la musique). L'interprète annônait des textes que d'autres lui écrivaient, comme c'est le cas maintenant pour les hommes politiques. Alain Kan a alors dix-neuf ans, il est souriant et bien coiffé comme un collégien bien sage. En 1964, trois autres 45tours vont suivre, de la même veine, avec des adaptations françaises de chansons anglo-saxonnes, comme c'était la mode (de Paul Anka, par exemple), dans le style "oui, c'est toi que j'aime...". En 1968, année charnière pour tant de choses, s'ouvre à Paris, 62 rue Mazarine, dans le quartier latin, le fameux "Alcazar" de Jean-Marie Rivière. C'est un lieu mythique. Comme le veut l'époque, l'Alcazar est un complet bouleversement dans le cabaret et le music hall, avec un jaillissement d'idées nouvelles. On y trouve Régine, Marie-France, Dani, et Alain Kan sous le nom d'Amédée Junior. C'est aussi à cette époque qu'il commence à écrire ses textes et sa musique lui-même, habitude qu'il ne perdra plus et qui va lui permettre de s'affirmer et de s'éclater bien davantage, et cela de plus en plus. Amédée Junior sort un 45 tours, "Mes stars et moi", paroles et musique d'Alain Kan, chansons créées à l'Alcazar de Paris. Sur scène, il porte canotier, veston, collant à paillettes ou bas résilles et maquillage flashant. Plus tard il confiera à Gai Pied "L'Alcazar m'a marqué. J'étais tout timide, c'est une bonne éducation de tomber là-dedans". Sur les programmes de l'Alcazar, on lira bientôt "Textes, tableaux et musiques : Serge Gainsbourg, Jean-Jacques Debout, Betton et Alain Kan". Dans la salle, on remarque des gens comme Brigitte Bardot, Marlène Dietrich, Fellini, Jacques Chazot... Il écrit aussi les textes et la musique des chansons de Dani, et les reprend lui-même pour un 45 tours sous le nom de groupe Les Pingouins, avec le titre "Mon homme à moi, c'est toi". Parallèlement à cette vie nocturne, Alain Kan garde son nom pour continuer le jour sa carrière dans la variété, en enregistrant chez Motors, la maison de disques de Christophe, son beau-frère (le mari de Véronique), qui fera les arrangements de "Pauv' Pomme", début d'une collaboration fructueuse. Carrière qui promettait, puisqu'il gagnera même la Rose d'Or d'Antibes en 1974 pour la chanson "55-60, dès que vient le samedi soir", sortie en 1973. Alain Kan s'envole aussi pour Londres, et là il craque sur Lou Reed, T-Rex et surtout Bowie, qui l'influencera énormément, ainsi que Marie-France, qui en 1972 faisait un strip-tease sur "Rock'n'Roll Suicide", alors qu'à l'époque seuls quelques initiés connaissaient déjà Bowie en France. De retour à Paris, Alain Kan quitte l'Alcazar, et parallèlement à sa carrière variétés chez Vogue, fait coup sur coup deux albums retentissants chez Motors, aux titres charmants : le premier, c'est Et Gary Cooper s'éloigna dans le désert, enregistré chez Manset, le second Heureusement en France on ne se drogue pas, enregistré au studio d'Hérouville. Commentaire sur Hérouville d'Alain Kan : "A Hérouville, j'ai rencontré Bowie, qui m'a enlevé dix jours dans sa Mercedes noire. Depuis je ne rate plus mes décolorations." Il nous dit aussi : "J'allais au Sept avec Bowie. Il y a eu plein de photos dans la presse et depuis il y a une espèce de respect vis à vis de moi". Quoi qu'il en soit, ces 33 tours seront jugés scandaleux, et interdits d'antenne et de promotion. On avait le droit de les vendre, mais pas d'en faire de la publicité. Le second finira même par être ensuite retiré des bacs pour incitation à la drogue, le titre "Speed my speed" étant constitué exclusivement de noms de médicaments, cachets, drogues diverses, chantés sur tous les tons. Dès lors sa carrière devient confidentielle. Clin d'œil à son ancien boulot, une reprise énergique de "Falling in love again", avec la participation exceptionnelle du chien Dingo, est dédiée à l'Alcazar de Jean-Marie Rivière. On arrive au milieu des années 1970. Marie-France interprète le personnage de Marylin, à présent sur la scène de l'Olympia. Patrick Eudeline, attendri, la salue dans Best de février 1975. A la même époque, on la voit faire un numéro musical dans Barocco, le film d'André Techiné (elle en fera au moins un autre pour lui dans Les Innocents). Cette époque pré-punk puis punk est décrite au jour le jour par le journaliste Alain Pacadis dans son livre Un Jeune homme chic. Voici ce qu'il écrit par exemple le dimanche 20 février 1977 : "Le soir, c'est la remise des césars aux stars du cinéma français. Vu le nombre de cons qu'il va y avoir, mieux vaut regarder ça à la télé. Le césar est une compression du sculpteur qui peut décorer une cheminée ou servir de presse-livres, de casse-noisettes ou de verre à dents. Le césar de la meilleure musique est attribué à Philippe Sarde pour la bande son de Barocco de Techiné. Dans le film, Marie-France chante un texte poétique et sentimental sur cette musique. Elle monte sur scène et commence un show dans la plus pure tradition de l'Alcazar, en robe de voile rose, mais ceci n'est pas du goût du réalisateur de l'émission qui demande à des videurs de la pousser vers les coulisses. Malheureusement, c'est en direct et on n'a pas le temps de déplacer la caméra. Pas d'explosion de délire spontané dans un spectacle pour les straights. La télé n'est pas encore punk". En 48 heures, Alain Kan forme le groupe punk Gazoline, du nom de la troupe d'homos-choc de l'époque, ceux qui par exemple manifestaient contre les représentations de La Cage aux folles. Il le forme avec Pierre-Jean Cayatte, neveu du réalisateur André Cayatte, Olivier Burger et Didier Laffont. Plus tard, Pierre-Jean Cayatte, le bassiste, se retrouvera dans Asphalt Jungle, le groupe de Patrick Eudeline, puis dans Les Desperados. A cette époque, les groupes se font et se défont à profusion, les musiciens jouent dans plusieurs à la fois ou passent de l'un à l'autre. La dope tape dur et les rockers tombent : Gazoline, comme d'autres, aura un destin tragique. En pensant à Gazoline, à Pierre Wolfsohn, le batteur de Taxi-Girl, et à leurs vies si courtes, Daniel Darc dédiera ainsi un titre, au cours d'un concert de 1985 à Bruxelles : "Pour Pierre-Jean / Pour Pierre / Pour tous les autres junks qui sont morts sans savoir pourquoi / Et pour 1977 et pour la fontaine des innocents / Et pour tous les autres groupes qui se plantent tous les jours". Gazoline a sorti deux 45 tours chez Barclay : le premier, comprenant "Sally" et "Electric Injection", a sur la pochette une photo de Marie-France, égérie des gazolines comme du groupe Gazoline. Le second, avec "Killer Man", et "Radio Flic" est bien devenu du punk pur et dur, et Alain en arbore résolument le physique. A notre connaissance, le morceau "Radio Flic" est le seul titre d'Alain Kan ou de Gazoline disponible : il figure sur la compilation Les 30 plus grands succès du punk réalisée pour Skydog par Bruno Blum et Marc Zermati. Quant à Marie-France, à l'époque, elle joue avec Orla la pièce La Barre au Nashville, inspire à Bijou le titre "Marie-France" (elle rendra plus tard la politesse avec le morceau "Dynamite") et enregistre son propre 45 en octobre 1977 à Bruxelles : "Daisy", l'histoire du travesti de Polynésie, "oiseau des îles rêvant devant l'Alcazar" et "Déréglée" : "Ta petite chérie ne veut pas ce soir parce qu'elle est réglée, alors tu viens me voir, tu sais que je ne suis qu'une déréglée...", premier de toute une série, souvent avec Bijou. Elle prépare aussi un tour de chant au cabaret gay Le Petit Robert à Montmartre. Gazoline passe au Gibus au printemps 1978, quelquefois avec Fred Chichin, futur Rita Mitsouko, à la guitare. Le groupe ne rate pas non plus les soirées organisées par Gai Pied. Et nous voici arrivés en 1979. Alain Kan présente son nouveau 33tr en avant-première au Paradis Latin de Jean-Marie Rivière et écrit un roman, L'Enfant Veuf, qui devait sortir chez Laffont mais n'a, hélas, jamais vu le jour. Le nouvel album s'appelle What happened to Alain Z. Kan, en référence à What happened to Baby Jane, le fameux film qui imprègne toute la chanson "Le Charter" sur laquelle se ferme le disque. On trouve aussi une adaptation du "Suffragette City" de David Bowie, jamais oublié, une "Philo-Dodo" qui sera une fois de plus interdite de radio, et "La Diva", chanson démesurée. C'est avec cet album qu'apparaît le "Z" avant son nom. Z comme Ziza, sans trop se rappeler pourquoi, obscure réminiscence sans doute de vieux récits de sa mère, Ziza étant en fait le nom de son père biologique, comme il le redécouvrira plus tard. Le disque sort en septembre 1979 pour les 35 ans du chanteur. On y retrouve Olivier Burger, Pierre-Jean Cayatte et Didier Laffont. Le 25 décembre 1979, au Bataclan, gala de Noël de Gai Pied, qui publie une interview d'Alain Z. Kan dans son numéro de janvier 1980, sous le titre "Péril rose et rock pédé, la France n'est plus épargnée". On croirait un titre d'album d'Alain. Qui déclare dans l'interview : "Je crois que tout le monde est homo, c'est le mot qui terrorise, pas l'acte". Puis Alain arrête la scène et écrit : en 1980, la plupart des paroles de l'album de Christophe Pas vu, pas pris et les faces b des 45 tours qui en sont tirés sont signées Alain Kan; par une sorte de mimétisme et parce qu'ils ont réalisé ces chansons ensemble, Christophe chante exactement comme Alain sur ce disque, il en a pris toutes les intonations. Par la suite, Alain reprendra des passages de la chanson "Agitation" (Christophe) ainsi que des paroles d' "Electric Injection" (Gazoline), dans son prochain et dernier disque, ¨Parfums de Nuit. En 1981, c'est un maxi-45 de Jennifer, "Radio Stress" - "Scarface", qu'il signe. "Radio Stress" est une chanson bien de son année, avec plein de claviers rappelant Taxi-Girl ou Kraftwerk. La même année, Marie-France sort un album accompagnée de Bijou et tourne dans les boîtes parisiennes. (Pour la suite de sa carrière, voir la rubrique qui lui est consacrée). En 1982-1983, Alain Kan remonte sur scène pour la première fois depuis deux ans. Il joue seul avec ses bandes et son revox, et tourne notamment en Haute Savoie, en Isère et en Suisse. Les affiches annoncent un "spectacle travelo-rock". Parfois, il débute le concert assis sur une chaise chromée, les menottes aux poings. Dans une interview de l'époque, il dit "J'ai eu plein d'aventures avec des mecs, et des fois j'ai envie d'en raconter une; mais c'est un obstacle parce que les gens des radios ne les passent pas. Je n'ai pas envie de mettre "elle s'appelait Caroline", s'il s'appelait "Hector". On lui sait gré de cette franchise qui a sans doute contribué à l'époque à ruiner sa carrière commerciale. Si tant d'autres s'étaient montré aussi naturels, que de temps de gagné... Alain commence à préparer, avec Laurent Sinclair ex-claviers de Taxi-Girl, son prochain disque. Il est son invité pour un concert à Cluses en janvier 84 où il chantera "Le Charter" et d'autres concerts dans pas mal de clubs. L'album ne sortira qu'en 1986, chez New Rose. Il s'appelle Parfums de nuit. Y ont participé Laurent Sinclair, bien sûr, Plume, ex-Lili Drop, Wham Dam, ex musicien d'Iggy Pop et de Bowie, Boris et Tuxedo, musiciens de Sappho, et son ami Hubert "Love" Desachy. En 1988 ou 1989, en Suisse, Alain découvre sa grand-mère paternelle, Ziza, apprend la mort de son père et tombe complètement fou de sa grand-mère. Après quoi il devient VRP pour des produits en informatique. Puis, pendant l'été 1990, il prend le métro et... personne ne l'en a jamais vu ressortir. Christophe lance un appel à la télévision, en vain. Le 12 mars 1992, pendant un concert, Daniel Darc impose une minute de silence pour Alain Z. Kan.
"Qu'avons-nous donc à redouter ? Vince "Ziggy Stardust" Taylor est mort, Johnny Thunders a quitté son corps, quant à Alain Z. Kan, punk historique, fondateur de Gazoline, groupe mythique s'il en fût, il a disparu depuis bientôt une année, un peu trop longtemps pour qu'on puisse espérer quelque chose. Alain Z. Kan, qui baisa Bowie, rêva Bardot, écrit les plus/seuls ?/ beaux (convulsifs) textes français depuis Gainsbourg. "La réalité frappe trop fort !" Eh oui ! La dernière vision qui nous restera de lui sera celle d'un ange sur le quai d'une station de métro au nom idiot : rue de la Pompe ! Never born, never dead, son esprit veille sur nous, kids. Lui aussi faisait partie de cette chevalerie de cuir et de sang. Calice sacré. Il est parfois bien difficile de briser sa vie gratuitement." (Daniel Darc, 13-09-91. Prémonition n°9, automne 91)."

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