jeudi, juin 29, 2006
Sable noir.
"A la télévision, fantastique et format court se rencontrent souvent. Ainsi, l'anthologie d'histoires courtes indépendantes les unes des autres est une formule ayant déjà largement fait ses preuves depuis La quatrième dimension. En France, des nouvelles fantastiques classiques sont adaptées pour la télévision dès les années 50, tels "La dame de pique" de Pouchkine ou "Le puits et le pendule" de Poe... Par ailleurs, le monde du cinéma et de la télévision se croisent aussi de loin en loin. Jean Renoir, avec Le testament du Dr Cordelier, adapte l'histoire de "Dr. Jekyll et Mr. Hyde" pour le petit écran, Claude Chabrol s'associe à diverses séries fantastiques réunissant des histoires courtes autonomes : Histoires insolites, en 1974, ou Les nouvelles d’Henry James en 1976. Temps béni où des productions aussi ambitieuses et orientées vers le fantastique trouvaient leur place sur le petit écran français, avant que celui-ci ne devienne la "boîte à cons" que nous connaissons aujourd'hui... Logiquement, lorsqu'une initiative semblable refait surface de nos jours, ce n'est plus la télévision hertzienne classique qui nous la propose, mais le câble. Ainsi, Sable noir est une nouvelle anthologie de courts métrages fantastiques, produits en collaboration avec Canal Jimmy, chaîne ayant en partie bâti sa réputation sur les séries télévisées, et Ciné Cinéma Frisson, représentante du bouquet "cinéma" de Canalsat ! Bref, un double parrainage logique pour une série voulant jeter des ponts entre l'univers du cinéma et de la série télévisée. En effet, le pari de Sable noir est simple. Autour d'un point de départ basique, six écrivains (Denis Bretin, Andréa Japp, Xavier Mauméjean, Jean-Bernard Pouy, François Rivière et Maud Tabachnik) sont invités à rédiger des nouvelles liées au fantastique, nouvelles qui seront ensuite publiées dans le recueil "Sable Noir" publié chez J'ai lu. Après, vient la sélection des metteurs en scène. Là, le choix s'avère délicat. En effet, en France, si nous avons eu un embryon de renouveau du cinéma fantastique suite à des succès commerciaux tels que Les rivières pourpres, Belphegor ou Le pacte des loups, le soufflet est assez vite retombé. Certains jeunes metteurs en scène parviennent parfois à sortir un film de genre à petit budget, mais la suite est dure. Car, quand Fisher ou Corman, dans les années 60, pouvaient tourner plusieurs films fantastiques par an au sein d'un studio structuré, les nouveaux réalisateurs français rament plusieurs années pour tourner leur second ! Or, c'est en forgeant qu'on devient forgeron, et Rome ne s'est pas bâtie en un jour… La production de Sable noir contacte plusieurs réalisateurs ayant un long métrage derrière eux : Eric Valette, Doug Headline et Fabrice du Welz, aux côtés desquels nous retrouvons aussi des metteurs en scène aux carrières légèrement plus longues et diversifiées, tels que Harry Cleven et Olivier Mégaton. En plus, on offre à l’acteur Samuel Le Bihan l’occasion de signer sa première réalisation. En cours de route, Fabrice du Welz quitte l'entreprise et se voit remplacé au pied levé par Xavier Gens. Mais revenons à nos moutons... Il existe un petit village isolé, nommé Sable Noir, sur lequel, une journée par an, s’abat une malédiction. Par prudence, les habitants ne sortent pas de chez eux ce jour-là, car des phénomènes inexpliqués s'y déroulent un peu partout. Et malheur aux étrangers inconscients qui s'égareront aux alentours de Sable Noir... Le premier épisode de Sable noir est signé par Eric Valette, lequel, après plusieurs courts-métrages et réalisations pour la télévision, signa son premier long-métrage, Malefique dans la collection Bee Movie de la compagnie Fidélité. Malgré un accueil critique positif, il fut le dernier titre de cette salve à sortir en salles, et se vit lancé sans trop d'enthousiasme suite aux déceptions commerciales d’autres productions Fidélité comme Un jeu d’enfants ou Samourais. Cet épisode, nommé Corps étrangers, nous raconte les mésaventures de Bertrand, venu passer quelques jours dans sa maison familiale à Sable Noir avec sa femme et ses deux enfants. Ces deux derniers affirment alors avoir rencontré leur tante Jeanne aux alentours. Ce que leur a caché leur père, c'est que la tante Jeanne est morte plusieurs années auparavant, dans un accident de voitures ! A partir de ce postulat surnaturel, Corps étrangers frappe d'abord par la qualité de sa mise en scène. Soignée, parvenant à créer une atmosphère inquiétante, elle ménage une ambiance pesante, voire de réels moments d'inquiétudes. En s’installant dans un coin de campagne bien de chez nous, Valette instaure un suspens solide, sans en faire trop. Nous sommes plus réservés sur le dénouement du film, avec l'explosion de violence de Bertrand et l'explication finale, qui nous ont paru un peu artificiels... Le second court-métrage se nomme La villa du crépuscule et a été réalisé par Doug Headline, lequel a derrière lui une carrière d'écriture dans la presse cinéma - particulièrement dans les premières années de Starfix - et la littérature policière. Il passa à la mise en scène de fictions pour le long métrage Broceliande, mal accueilli aussi bien par le public que par la critique. Il revient ici avec un épisode dans lequel il fait jouer Catriona MacColl, actrice indissociable du cinéma de Lucio Fulci. Elle tient ici... son propre rôle ! Sébastien, un cinéphile passionné par l'actrice Catriona MacColl se rend à Sable Noir, le village où elle a terminé sa vie et a été enterrée. Cette comédienne avait abandonné son métier après le tournage d'un film mystérieux, que personne d'autre qu'elle ne vit jamais... Cette référence à ce film ultime, mythique et perdu, nous renvoie fortement à l'épisode Cigarette Burns que John Carpenter, tout récemment réalisé et diffusé au sein de la série américaine Masters of horror ! Une coïncidence pour le moins troublante ! Mais La villa du crépuscule se veut avant tout un hommage ludique, plutôt léger, au cinéma de Fulci. Photographie brumeuse aux tons éteints, vieilles demeures aux parois cramoisies, musique atmosphérique jouée par un piano inquiétant... Nous retrouvons l'ambiance des titres dans lesquels est apparue Catriona MacColl, impression encore renforcée par un dénouement relativement obscur. Ce qui n’est pas anormal pour un film saluant Frayeurs, L'au-dela et La maison près du cimetière ! Le héros cinéphile est dépeint avec ironie, et, si La villa du crépuscule aime jongler avec les références, il n'est jamais pédant ou prétentieux. Son intrigue est sans doute un peu maigre, mais cet épisode s’impose tout de même comme un divertissement amusant. Vient ensuite La maison de ses rêves d'Olivier Mégaton, lequel fait ici figure de vétéran. Ayant derrière lui une dizaine de métrages et des années d'expérience dans la publicité et le clip, il a aussi tourné deux thrillers : Exit et La sirène rouge, lesquels n'ont pas réellement rencontré leur public. Dans La maison de ses rêves, il nous conte l'histoire de Juliette, une jeune femme à laquelle son compagnon offre la maison où elle souhaite vivre depuis son enfance. Mais cette maison se situe à Sable Noir, et elle recèle un terrible secret ! Affichant plus de 35 minutes au compteur, cet épisode est le plus long de Sable noir. Hélas, il faut bien le constater : cela se sent ! Lorgnant vers le thriller psychologique, La maison de ses rêves propose des images extrêmement soignées et une mise en scène élaborée. Mais il souffre d'un argument pour le moins pauvre, qui ne méritait pas d'être étalé en longueur de telle façon. Dommage ! Fotografix aurait du être réalisé par Fabrice du Welz, mais le metteur en scène de Calvaire a finalement cédé sa place à Xavier Gens, réalisateur issu du vidéo-clip et ayant déjà réalisé un court-métrage de fiction, Au petit matin... Fotografix s'approche en fait plus du thriller que du fantastique. Nous y croisons Francis, un garagiste, et sa compagne. Ils viennent s'installer dans une grande maison à Sable Noir. Cylia, la fille de ladite compagne, découvre que Francis cache un secret à sa mère... Fotografix ne semble pas vraiment chercher à convoquer le fantastique, à l'exception d'une séquence étrange dans un bar. Nous avons en fait affaire à une petite intrigue policière, sans réelle surprise mais néanmoins mise en boîte avec une fougue et une énergie sympathiques. Parfois, Xavier Gens en fait trop, comme pour cette fusillade finale dont le montage rapide devient vite aberrant. Ou au cours d’un ultime rebondissement surnaturel franchement risible… Un épisode intéressant, néanmoins. Alphonse Funèbre est mis en scène par Samuel Le Bihan, surtout connu pour ses participations à la comédie Jet set et pour son rôle dans Le pacte des loups. Il met en scène deux comédiens connus, bien que plutôt associés à des seconds rôles - noble tradition du cinéma français s'il en est : Michel Duchaussoy et Gérard Laroche. Victor, croque-mort à Sable Noir, demande à un détective de le protéger car il se sent menacé. Le détective s’installe dans la petite ville et apprend que Victor posséderait un trésor. Surprise ! Alors que les sketchs précédents s'avéraient plus ou moins sérieux, Alphonse Funèbre plonge dans la franche rigolade et la comédie noire, en adoptant une mise en scène dynamique héritée de la bande-dessinée. Certes, l'histoire se délite un peu vers la fin, qui paraît étirée. Certains dialogues se voulant drôles peuvent tomber à plat. Mais, des mines congestionnées de Michel Duchaussoy à la traversée de Sable Noir à bord d’un cercueil à roulettes, Alphonse Funèbre contient son lot de passages amusants qui forcent l'adhésion. Enfin, le dernier sketch s'appelle En attendant le bonheur et a été tourné par Harry Cleven, lequel, depuis 1993, a déjà aligné trois longs métrages. Le dernier, Trouble, avait reçu le Grand Prix du Festival de Gérardmer - grand prix assez contesté cette année-là, d'ailleurs. Ici, il met en scène Dominique Pinon dans un rôle multiple, ainsi que Elina Löwensohn, actrice à la filmographie déjà longue (Sombre, la sagesse des crocodiles) Gus arrive à Sable Noir où il doit retrouver sa compagne Norma dans un hôtel. Alors qu'il se renseigne au café du village pour retrouver cette auberge, sa voiture est enlevée par la police. Finalement, il arrive à l'hôtel de Sable Noir. Il n'est pas au bout de ses surprises... En attendant le bonheur joue à fond la carte du bizarre et du surréalisme... Si Fotografik trahissait une influence américaine très marquée, le film de Harry Cleven semble plus marqué par une tradition européenne, lorgnant plus vers Polanski, Bunuel ou Lynch que vers David Fincher. Soin porté à l'image et aux impressions qu'elles provoquent, scénario multipliant les situations bizarroïdes et basculant dans l'onirisme ou l'irréel... La frontière entre réalité et fantastique s'amincit progressivement jusqu'à disparaître totalement, faisant basculer Gus et le spectateur dans un univers étrange et paranoïaque réussi, à notre avis. Sable noir n'a pas la prétention de proposer six chefs- d’oeuvres. Il s'agit avant tout d'une initiative encourageant des metteurs en scène à diriger des oeuvres orientées vers le fantastique et évitant le piège des fictions conditionnées par les standards de la télévision - nous pensons ici à ces feuilletons fantastiques français de l'été qui connaissent actuellement des succès fracassants : Dolmen, zodiaque. Une initiative intéressante, le résultat, à l'exception d'un épisode, nous ayant paru globalement satisfaisant. Sable noir a d'abord été diffusé en mars 2006 sur Canal Jimmy, puis sur Ciné Cinéma Frisson. Dès le mois d'avril de la même année, il sort en France dans un boîtier regroupant deux disques : un DVD double couche pour les six épisodes de la série (qui totalise en tout 157 minutes de métrage) et un simple couche pour les suppléments. Commençons par explorer le premier disque... Celui-ci propose les six épisodes dans des copies cadrées en 1.77 avec 16/9 pour tous les épisodes. A l’exception d'Alphonse Funèbre qui est en 2.35 (16/9) - pas de problème, et de Fotografik qui est en 1.77 - 4/3. Là, c'est fâcheux, d'autant plus que sa copie n'est pas franchement éblouissante, avec ses contrastes et sa définition un peu ternes... Les plus belles copies sont sans doute celles de Corps étrangers et de En attendant le bonheur, les autres épisodes en 16/9 bénéficiant, de toutes façons, d'une image de qualité au moins très correcte... Les bandes sonores sont toutes livrées dans leurs mixages stéréo d'origine, mixages toujours de bonne facture, même si les plus marquantes sont celles du pétaradant Fotografik ou du burlesque Alphonse Funèbre... Le disque de suppléments contient six "Making Of" durant chacun entre 5 et 10 minutes.