vendredi, mai 12, 2006
L'oiseau au plumage de cristal.
"Le 25 août 1969 constitue une grande date pour le cinéma d'angoisse européen : il s'agit du premier jour de tournage de L'oiseau au plumage de cristal, lui-même le premier long métrage réalisé par Dario Argento. Pourtant, à ce moment, Dario n'est pas un débutant dans le cinéma. Par sa famille, il a baigné de tout temps dans ce milieu, que ce soit par sa mère (photographe au service des Stars) ou son père (producteur, et impliqué dans la promotion du cinéma italien à l’étranger). A la fin des années 1950, Dario devient critique de cinéma, puis, se passionnant pour l'écriture de films, il travaille sur divers scénarios, passant d'un genre à l'autre: comédie avec « scusi, lei e favorevole o contrario ? » réalisé par Alberto Sordi ; Western avec « Une corde, un colt » de et avec Robert Hossein ; guerre avec « La legion des damnés » d'Umberto Lenzi… Le gros coup de pouce, il le reçoit de la part de Sergio Leone, qui l'invite à co-écrire son très ambitieux Il était une fois dans l’ouest, en compagnie de Sergio Donati et de Bernardo Bertolucci. Ce dernier conseille à Dario la lecture de "The Screaming Mimi", un roman policer. Il s'en inspire alors pour écrire un scénario de film policier appelé à devenir L'oiseau au plumage de cristal. Ce scénario, qu'il rédige pour lui-même et sans être payé, il le propose à divers producteurs, sans succès. Des noms de réalisateurs circulent, qui ne plaisent guère à Dario, comme Terence Young (encore auréolé par le succès du thriller Seule dans la nuit) ou Duccio Tessari (Un pistolet pour ringo). Salvatore Argento, le père de Dario, lui propose de le produire au sein d'une société qu'ils co-dirigeraient : la Salvatore E Dario Argento (SEDA) Spettacoli. Cela impliquerait que Dario mette lui-même en scène ce film…Finalement, L'oiseau au plumage de cristal se monte de cette façon, avec le soutien de la compagnie Titanus, qui va le distribuer en Italie, et d'une firme allemande, la CCC Filmkunst. Un casting international est réuni. En tête, nous trouvons l'acteur américain Tony Musante, qui mène alors une petite carrière entre les USA (on le vit aux côtés de Delon dans son film américain Les tueurs de San Francisco) et l'Italie (dans le western El mercenario de Sergio Corbucci), par exemple. La jeune première sera Suzy Kendall, comédienne anglaise modérément renommée. Dans les seconds rôles, nous reconnaissons des habitués de la Cinecitta, comme Umberto Raho (Le spectre du Dr Hichcock, The last man on earth…) ou Enrico Maria Salerno (Hercule à la conquête de l’atlantide, La bataille d’el alamein…). A leurs côtés, quelques comédiens d'origine germaniques satisfont les exigences de la co-production allemande : Eva Renzi (le «Harry Palmer» Mes funerailles a berlin), Werner Peters (Le diabolique docteur Mabuse de Fritz Lang, La porte aux sept serrures d'Alfred Vohrer, inspiré par Edgar Wallace…)… Argento bénéficie aussi de techniciens d'envergure. Le moindre n'étant pas le compositeur Ennio Morricone, voisin du jeune metteur en scène et déjà célèbre. Surtout, il a, comme chef-opérateur, un jeune homme nommé Vittorio Storaro, appelé à devenir le directeur de la photographie italien le plus réputé de sa génération, que ce soit pour son travail sur Apocalypse now ou pour sa collaboration fusionnelle avec Bertolucci sur nombre de ses longs métrages. Sam Dalmas, un écrivain américain vivant à Rome, s'apprête à rentrer dans son pays avec sa petite amie. Un soir, il est le témoin d'une agression sauvage : dans une galerie d'art moderne, une jeune femme est poignardée sous ses yeux par un maniaque qui parvient à s'échapper avant l'arrivée de la police. L'inspecteur Morosini explique à Sam qu'il s'agit d'un tueur en série qui terrorise Rome en s'attaquant à des femmes isolées… L'oiseau au plumage de cristal est sans doute, aux côtés de Six femmes pour l’assassin, le plus connu et le plus emblématique des Giallo, ces thrillers italiens que leur violence et leur sadisme rapprochaient sensiblement du cinéma d'horreur. Il se situe toutefois au carrefour de plusieurs influences. Celle qu'Argento avoue le plus facilement, et qui est la plus évidente, est celle des Films Noirs que Robert Siodmak réalisa à Hollywood dans les années 40, Films Noirs mettant en scène des tueurs psychopathes. Deux mains, la nuit influença sans doute beaucoup Dario Argento. Ce film nous montrait un tueur aux mains gantées de noir, emmitouflé dans un imperméable et le visage caché, sévir dans le décor d'une demeure gothique. Certains plans n'hésitaient pas à nous mettre à la place de l'assassin, via des plans subjectifs. Une autre influence importante pour les thrillers européens d'alors est la série de films allemands inspirée par les romans policiers de l'anglais Edgar Wallace. Dans ces thrillers aux ambiances fantastiques s'illustraient de mystérieux tueurs masqués. Leurs titres énigmatiques évoquaient souvent quelque étrange animal : L'araignée blanche défie Scotland Yard, l’énigme du serpent noir… Une habitude qui se perpétue avec L'oiseau au plumage de cristal et les films italiens du même genre qui le suivront : Le chat a neuf queues, la queue du scorpion, L'iguana dalla lingua di fuoco… Cela n'a au fond rien d'étonnant si l'on se rappelle que L'oiseau au plumage de cristal est une co-production avec l'Allemagne, où la mode Edgar Wallace reste vivace en 1969. Dans ce pays, le film fut même promu, de façon mensongère, comme une transposition d'un livre de cet écrivain ! Evidemment, on ne peut pas évoquer L'oiseau au plumage de cristal sans revenir sur les deux giallo fondateurs, à savoir La fille qui en savait trop et Six femmes pour l’assassin, réalisés par Mario Bava en 1963 et 1964. Deux films qui ne connurent pas un grand succès commercial, mais qui apportèrent au cinéma policier local un surplus d'élégance formelle et de violence. Si Argento avoue sans peine qu'Inferno est son tribut à Mario Bava, il se montre plus réticent à admettre cette influence pour L'oiseau au plumage de cristal, jugeant, avec raison, que sa mise en scène était alors éloignée des ornements baroques de Mario Bava. Pourtant, la résolution de son énigme et l'enquête menée à Rome par un touriste américain nous renvoient immanquablement à La fille qui en savait trop…Quant à la présence d'un tueur psychopathe, mettant ses victimes à mort dans des séquences éprouvantes, elle nous renvoie au très fameux Psychose de Hitchcock, ce célèbre metteur en scène anglais se voyant même adressé un clin d'oeil très direct au travers de la présence de Reggie Nalder, comédien au physique terrifiant qui incarne ici un tueur professionnel, comme il le faisait dans la seconde mouture de L'homme qui en savait trop. Beaucoup d'influences se recoupent donc dans L'oiseau au plumage de cristal, lequel reste pourtant une oeuvre extrêmement personnelle. En effet, Dario Argento y impose déjà sa forte personnalité. Sa mise en scène s'avère d'emblée moderne, ose toutes les expérimentations, brise la chronologie du montage classique, jongle avec les arrêts sur image, les inserts inattendus et les plans subjectifs les plus audacieux. On pense à la Nouvelle Vague, à Antonioni, et tout particulièrement à son Blow up dans lequel un photographe, obsédé par une photo étrange qu'il a prise dans un parc, enquête de façon obsessionnelle sur ce qu'il croit être un fait divers. Déjà, dans son dénouement Blow up mettait en garde contre les apparences trompeuses des images, qu'elles soient cinématographiques ou non. Dario va dans la même direction à la fin de L'oiseau au plumage de cristal, dont la conclusion met en garde contre les apparences trompeuses, les codes et les conventions visuelles qui rendent le spectateur si facile à manipuler. Argento pourrait faire sien la célèbre déclaration de Godard : "ce n'est pas une image juste, c'est juste une image.". Cette idée, il la déclinera à de nombreuses reprises dans ses thrillers (Les frissons de l’angoisse ou Tenebres par exemple). On découvre aussi sa passion pour l'univers de l'art : personnages artistes (ici le héros est un écrivain), comme souvent chez Bergman, l'idole d'Argento ; oeuvres d'art inquiétantes (dans la galerie d'art moderne), paraissant surgir d'un esprit malade ; voire oeuvres d'art traumatisantes, comme ce tableau dont la vision transforme en tueur fou.
Tout cela annonce la musique que joue le tueur dans Les frissons de l’angoisse pour se mettre en condition ; le livre de Peter Neal qui influence l'esprit d’un maniaque dans Tenebres ; et surtout, la descente aux enfers de la détective Anna Manni dans Le syndrome de stendhal, sans doute le film définitif de Dario Argento sur ce sujet. Pourtant, et c'est là la grande force du cinéma de Dario Argento, si ses films sont réfléchis, modernes et personnels, ils n'en restent pas moins des spectacles populaires, parvenant à proposer un équilibre délicat entre expérimentation et cinéma grand public. L'oiseau au plumage de cristal repose sur un scénario policier solide, tout à fait passionnant, alternant séquence d'enquêtes et passages plus musclés, comme d'angoissantes scènes de meurtres ou des poursuites haletantes. Argento ose même la comédie, multipliant les personnages secondaires truculents. Le peintre crasseux incarné par Mario Adorf, l'antiquaire homosexuel, ou le maquereau bègue sont autant de figures hautes en couleurs qu'Argento met savoureusement en valeur. L'oiseau au plulmage de cristal a beau n'être que le premier film de Dario Argento, il n'en est pas moins un chef d'oeuvre, alliant une forme élégante, innovante, à un scénario policier extrêmement habile. Pourtant, Goffredo Lombardo, du studio Titanus, n'aime pas du tout le film. Il propose même à Dario de laisser tomber la mise en scène du film afin qu'un autre réalisateur prenne le relais. Argento s'accroche et, avec le soutien de son père, termine son film. L’oiseau au plumage de cristal récolte alors un succès commercial spectaculaire, particulièrement aux USA, et lance la carrière de Dario Argento, ainsi que la mode du giallo qui fera fureur en Italie au début des années 1970 ! Rapidement, le metteur en scène enchaîne sur un second thriller : Le chat aux neuf queues… L'oiseau au plumage de cristal est loin d'être un titre inédit en DVD. En France, nous avons bénéficié assez tôt d'une édition de bonne qualité chez TF1 video (PAL, zone 2). Aux USA, VCI a proposé dès 1999 un disque largement distribué depuis. En 2005, Blue Underground, un autre label américain, sort une nouvelle édition de L'oiseau au plumage de cristal réputée définitive (NTSC, multizone). Nous allons le tester ici. Sur ce disque Blue Underground, on trouve effectivement une image (format 2.35 respecté et 16/9) assez époustouflante, frappant particulièrement par la vitalité de ses contrastes et de ses couleurs. La compression se fait presque totalement oublier, sans pour autant que le grain argentique de l'image ne perde de son naturel. La propreté de la copie est absolument inattaquable. Bref, un sans-faute pour Blue Underground, qui surpasse sans difficulté les copies pourtant honnêtes des disques VCI et TF1 video. Ces dernières tiennent moins bien les noirs et paraissent un peu fades en comparaison. On se souvient que, sur le disque VCI, la scène au cours de laquelle le tueur arrache la culotte d'une de ses victimes était insérée dans le métrage sous la forme d'un extrait provenant d'une vidéo médiocre. En effet, cette scène avait été coupée de la copie américaine utilisée pour faire le télécinéma. Le disque français n'a jamais eu de problèmes de coupe. Il en est de même pour le disque Blue Underground qui propose lui aussi une copie intégrale, à la qualité totalement homogène. Pour les bandes-sons, le disque Blue Underground nous propose la totale. Nous trouvons ainsi la piste anglaise en mono d'origine (codée sur deux canaux), et aussi remixée en DTS (6.1), Dolby Digital 5.1 EX et Dolby Stéréo. Si ces remix récents sont très corrects (et bien supérieurs au moyennement convaincant mixage stéréo du disque VCI), on leur préfère tout de même la piste mono qui reste la plus homogène et la plus naturelle. Toutefois, le doublage anglais de L'oiseau au plumage de cristal est tout de même médiocre artistiquement. On peut sans problème lui préférer la piste italienne, autrement plus vivante. Celle-ci est disponible sur le disque Blue Underground en Dolby Digital 5.1 EX, Dolby Stéréo et mono d'origine, avec des qualités techniques comparables aux pistes anglaises. Un sous-titrage anglais est disponible. Par contre, aucune option francophone n'est proposée. Seul le disque TF1 video s'avère satisfaisant à ce sujet : il propose l'excellente version française d'époque et la version italienne sous-titrée en français, dans les deux cas en mono d'origine. Le DVD Blue Underground contient en fait deux disques. Sur le premier, on dispose, en supplément, d'un commentaire audio de deux journalistes : l'américain Kim Newman, et l'anglais Alan Jones, spécialiste de Dario Argento (on lui doit le bon livre "Profondo Argento" sorti il y a relativement peu de temps chez l'éditeur anglais Fab Press) et journaliste de cinéma ayant collaboré à un nombre considérable de magazines spécialisés, qu'ils soient anglo-saxon (Fangoria, Cinefantastique…) ou français (L'écran fantastique et Starfix) ! Ce commentaire audio a le mérite de faire le tour du sujet de façon conviviale et très complète. Même si les fans les plus pointus de Dario Argento n'y trouveront pas de révélations fracassantes, il s'agit tout de même d'une piste extrêmement dense et intéressante à suivre. Evidemment l'idéal aurait été de proposer un commentaire par Dario Argento lui-même, mais celui-ci, mécontent de ses expériences en la matière (les commentaires en anglais sur les disques Anchor Bay de Phenomena et Ténèbres), refuse de se livrer à nouveau à cet exercice… Pour le moment en tout cas. Toujours sur le premier disque, nous trouvons des bandes-annonces d'époque, à savoir le Trailer international (en anglais), la bande-annonce italienne (sous-titrée), toutes deux en format 2.35 respecté et 16/9 ; ainsi que deux spots TV américains au format 1.33 d'origine et néanmoins proposés en 16/9 aussi ! Encore une fois, c'est à ce genre d'attention prêtée aux petits détails qu'on reconnaît les éditeurs perfectionnistes ! Le second disque réunit quatre featurettes, totalisant une quarantaine de minutes. La première et plus longue interview est un entretien récent avec Dario Argento, qui revient avec beaucoup d'anecdotes sur ses débuts et sur la production difficile de L'oiseau au plumage de cristal. Ce n'est pas sans fierté qu'il évoque le succès et l'influence du film ! Une interview de 8 minutes donne la parole à Ennio Morricone, qui s'avère absolument passionnant, Il nous explique comment L'oiseau au plumage de cristal et l'influence de Dario Argento lui ont permis d'explorer de nouvelles formes de musique expérimentale, avant que le maestro ne nous parle avec une passion vibrante de son métier de musicien ! Autre entretien très intéressant, celui avec le directeur de la photographie Vittorio Storaro. Il nous renseigne sur la relation de respect mutuel et d'émulation qui le lia à Argento sur L'oiseau au plumage de cristal. Enfin, l'actrice Eva Renzi vient casser ce bel ensemble hagiographique en se montrant pour le moins critique, pas tant sur le film que sur l'impact extrêmement négatif qu'il a eu, selon elle, sur sa carrière ! Onze minutes de tempérament volcanique allant à contresens de l'habituelle langue de bois qu'on croise sur les bonus DVD, comme le prouve sa sortie très franche sur ce qu'elle pense de l’acteur Klaus Kinski ! Certes, on aurait apprécié de retrouver, comme sur le DVD VCI, l'intégralité de la musique du film, mais, pour les spectateurs comprenant l'anglais, ce disque Blue Underground s'avère une édition très satisfaisante. Quant à ceux qui souhaitent des options francophones, ils peuvent se rabattre sur le disque TF1 video, techniquement inférieur, mais néanmoins correct."