jeudi, février 02, 2006
Survaiveule.
Revu Haute tension hier, je me souvenais plus que ça se passait dans le 33. Marie et Alex partent étudier dans la maison isolée des parents de la seconde. La nuit, un psychopathe sonne à la porte et tue les parents et le petit frère d’Alex. Un film tel que Haute tension est à ranger à côté du récent Jeepers Creepers: gore, viscéral, ouvertement sexué, renouant avec un cinéma oublié, celui des années 70, de la libéralisation de la censure, de l’éclosion de cinéastes aussi indispensables que Wes Craven ou Tobe Hooper. Il en devient d’autant plus fragile, vulnérable, car sujet à certaines attaques faciles que ses aînés ont dû subir par le passé. La première force du film se situe dans cette capacité à ressusciter des images et des sensations oubliées, celles engendrées par des plans gore traumatisants, craspecs, d’un cinéma qui prend aux tripes et met littéralement mal à l’aise. Il faut voir Philippe Nahon poursuivre une Maïwenn Le Besco ensanglantée, armé d’une scie circulaire, pour se rendre compte à quel point ces images manquaient réellement au cinéma depuis plusieurs années. C’est tout un pan du cinéma qui ressurgit au détour de certains plans, gore, inventif, sérieux, ne tombant jamais dans la parodie, certes ingénieuse, de Brain Dead. Au contraire, Haute tension ne cherche jamais à enterrer le genre, à en constituer le point d’orgue. Il s’agit simplement pour le cinéaste de raviver une étincelle, de donner sa pierre à l’édifice, de l’exhumer par le biais de personnages crédibles et d’une histoire plus cohérente qu’elle ne veut le laisser croire. Haute tension est un film qui se construit peu à peu autour de son personnage principal, auquel chaque nouveau détail scénaristique apporte un peu plus de profondeur. Tour à tour décalé, effrayé, inquiétant, ce personnage bénéficie du jeu tout en finesse de Cécile de France, dont on ne dira jamais assez qu’elle est la plus grande des jeunes actrices françaises du moment. Elle donne à son personnage une vigueur, une sensualité, qui n’est pas sans rappeler l’érotisme de la jeune adepte du piercing du Retour des morts-vivants 3. C’est justement dans cet érotisme troublant, voire choquant, que le film abat ses meilleures cartes. Dans cette faculté à utiliser le sang en tant qu’élément scénaristique et masturbatoire. Le gore n’est plus un accessoire médiocre pour instaurer la tension, mais un instrument sexuel dérangeant, scandaleux, et révélateur du caractère de Marie. Le gore ne fait plus seulement peur (ou rire, accessoirement), il renseigne sur les tenants de l’histoire, et se transforme en métaphore du premier rapport entre les deux filles. Rapport qui n’aura bien entendu lieu que durant le bain de sang final et orgasmique. Une belle idée, qui donne une aura poétique plus que grand guignolesque au film. Tout au plus pourra t-on reprocher à Alexandre Aja quelques facilités (la jeune vierge porte le prénom de Marie), une fin surexpliquée, des hommages légèrement trop appuyés, ainsi que les courtes scènes d’exposition bâclées. Mais le fait est qu’il réalise un shock horror perturbant et dérangé, extrêmement proche dans ses thèmes des films de Craven ou Hooper, et qui a de grandes chances de devenir un classique. Si l’on était chauvin, on pourrait même en être fier. En fait de bonus, le premier DVD (le film et sa bande-annonce qui, on s’en souvient, s’était faite assez rare lors de la sortie du film sur nos écrans) s’ouvre par un malus, avant même d’arriver aux menus: une sélection de trailers made in Europa Corp, comme à la bonne époque des VHS. L’occasion de découvrir une B.-A. de Ong-Bak différente et plus pêchue que celle qui tourne en salles, ou de l’étrange Resurrection of the Little Matchgirl, certes, mais aussi et surtout de se colleter un parasite publicitaire dont on aurait préféré se passer. Heureusement, la qualité du master et surtout du son du film permettent d’oublier cette mauvaise introduction. Mais le vrai morceau de choix réside sur le deuxième DVD du joli digipack. Outre la classique galerie de photos promotionnelles, cette seconde galette recèle en son sein deux entretiens bienvenus pour l’approfondissement de la compréhension technique et thématique de Haute Tension. Celui, d’abord, incontournable, de messieurs Aja et Levasseur, maîtres d’œuvre du film, pertinemment (c’est une gageure!) entrecoupée d’extraits du film et d’images volées du tournage. On y entend les deux larrons, Aja en tête, défendre avec passion leurs partis pris visuels et narratifs, leur cinéphilie et leur débrouillardise d’artisans film-makers fauchés. Si l’on peut regretter que cette relativement courte interview se pose en remplaçante d’un véritable commentaire audio (qui aurait notamment permis de revenir peut-être plus en détails sur le fameux et controversé twist final), on ne remettra pas en cause la sincérité de l’entretien, concis, franc et intelligemment sélectif. L’autre perle du second disque, c’est bien sûr Giannetto De Rossi, grand Monsieur des effets spéciaux et maquillages en tous genres. Le génie italien du latex, ancien collaborateur de maîtres cinématographiques tels que Lucio Fulci, Bernardo Bertolucci ou David Lynch, promène son délicieux accent latin sur diverses anecdotes plus ou moins passionnantes, mais toujours empreintes de cette bonhomie qui lui est naturelle. Plus accessoires sont les interviews de Cécile de France, Maïwenn Le Besco et Philippe Nahon, même si au détour d’un catalogue de cirage de bottes, il est possible d’entendre quelques bonnes questions (sur le tournage de la scène de masturbation de Cécile de France, par exemple). Des bonus sages donc, mais plutôt instructifs dans l’ensemble. On aurait évidemment espéré un peu plus d’originalité de la part du marginal Aja, mais l'on se contentera déjà de ce qui nous est proposé.