vendredi, décembre 02, 2005
Robert Malaval.
Vraiment passionnant le parcours de ce mec, un peu long, mais vraiment passionnant "J’aime le changement, c’est ma ligne. La seule ligne que je puisse me trouver, c’est une ligne en zigzag." Créateur d’une véritable version française du pop art, Robert Malaval a toujours cherché à réinventer son œuvre pour affirmer sa personnalité multiple et se surprendre lui-même. Il est l’un des rares artistes des années 1960-1970 à avoir intégré la culture rock dans son travail. La science-fiction, qui le fascine, traverse toute son œuvre, des premiers Aliments blancs de 1961 jusqu’aux Pastels Vortex de 1978. Héros underground, Robert Malaval a été tour à tour écrivain non publié, dandy pop admirateur des Rolling Stones, hippie voyant le monde en "rose, blanc, mauve", pionnier du glam rock peignant avec des paillettes, inventeur d’une esthétique punk, avant de se jeter — tel un kamikaze du no future — dans le gouffre de la mort volontaire. Passionné par les sons, il nourrit ses expositions des bruits qu’il enregistre autour de lui, et alimente sa peinture de la musique qu’il aime. Alors qu’une nouvelle génération d’artistes est profondément influencée par les cultures électroniques et les développements du rock, il est essentiel de redécouvrir l’œuvre de Robert Malaval afin de souligner l’actualité de cet artiste qui pourrait résumer à lui seul les années pop françaises et dont la disparition brutale, en 1980, ne saurait en occulter la vibrante présence. Artiste météore, Robert Malaval a fait de sa vie un cocktail mouvementé et intempestif. Toujours en recherche, refusant d’être figé dans une posture et curieux de tout, Malaval luttait contre l’ennui à grands coups d’élans créateurs. 29 juillet 1937 : Naissance à Nice. 1953 : Premières pratiques artistiques au contact d’un ami amateur. 1957 : Expérience de l’indépendance avec un séjour initiatique à Paris. "Vers l’âge de 19 ans, je suis parti, je suis venu habiter Paris pour la première fois. Pendant deux ans, là j’ai commencé à peindre, à me prendre pour un artiste, très fort. Et je pensais que c’était une voie maudite." 1958-1960 : Vit à la campagne dans les Basses-Alpes non pour des raisons idéologiques (le retour à la terre) mais parce qu’il avait "besoin d’espace", "envie de soleil" et n’avait "pas assez de fric pour vivre à Paris" Robert Malaval reçoit la visite de Louis Pons, artiste et d’André Labarthe, critique de cinéma. 1961-1965 : Recherches sur l’Aliment Blanc à Vence, invité et rémunéré par le marchand Alphonse Chave et, à Paris, à la galerie Raymond Cordier. Exposition de 15 dessins pour la remise à jour du Parc de Saint-Cloud, galerie Yvon Lambert, Paris. "Mon obsession était le grouillement, l’envahissement. Ce qui m’a rendu moins névrosé, c’est justement d’avoir fait l’Aliment Blanc, c’était pour moi une cure." 1969 : Cent demi-heures de dessin quotidien. "Et puis à un moment, j’en ai eu marre de faire de la peinture, j’ai décidé que je ne serai plus peintre et je me suis arrêté de peindre pendant trois-quatre ans." "Je considère [les Rolling Stones] comme le plus grand groupe qui ait marqué la musique, la poésie et le rock’n’roll dans ces dernières années. Ils expriment une morale, une manière de vivre." 1971 : Rock'n'roll & 100 demi-heures de dessin quotidien, Centre national d'art contemporain, Paris. 1971, l'Aliment Blanc, galerie Daniel Gervis, Paris. 1972 : Exposition Été pourri peinture fraîche, galerie Daniel Gervis, Paris. Participation avec l’architecte Claude Bernard au concours Evry 2 ville nouvelle. 1973 : Exposition Multicolor, galerie Daniel Gervis, Paris. "Dans mon exposition Multicolor, j’ai commencé à utiliser des paillettes le matériau me fascinait." 1974 : Exposition Poussière d'étoiles, galerie Sapone, Nice. "J’en avais assez de peindre comme un guitariste qui joue de la guitare sèche ; à un moment, on en a assez du son qui est toujours le même, on a envie de faire mousser un petit peu tout ça et c’est ce qui s’est produit un peu avec la paillette. Tout à coup c’est comme la photo qui se révèle, c’est un acte d’agression et de violence totale, c’est un coup de poing." Exposition Rolling Stones Rock Prints, (sérigraphies), galerie Shandar, Paris "Toute ma vie se passe à suivre mes fascinations. » Projet d’environnement visuel et sonore pour le parvis de la Défense. 1975-1977 : Série Kamikaze fin du monde à partir d’une édition de sérigraphie sur tee-shirt et de tableaux. 1976 : Intensification de l’activité d’écriture "J’écris énormément. Mais je n’arrive jamais à finir quelque chose parce que je n’ai pas la méthode." 1977 : Exposition Kamikaze, galerie Beaubourg, Paris. 1978 : Vit à Carrières sur Seine avec des amis musiciens. Réalise la série Pastel Vortex. "Pastel Vortex était un véritable tourbillon du passage d’une dimension à une autre. Toute ma vie j’ai été obsédé par cette idée de science-fiction, de passer d’une réalité à une autre. Je crois que la réalité est une trame qu’on peut, d’une certaine manière, transgresser, trafiquer. »1979 : Continue ses expériences sur le son et l’environnement à travers Environnement : Salle Marine pour l’inauguration du Forum des Halles, Light-Show au Claridge, enregistrement de groupes de rock. 1980 : Exposition Attention à la peinture, exposition-performance à la Maison des arts et de la culture de Créteil. "Ici, je veux que mon travail ait un aspect très rapide, le public pour moi n’est pas indispensable mais il ne me gêne pas. Mais puisque mon travail est rapide et spectaculaire aussi, autant le donner à voir." 8 ou 9 août 1980 : Plonge dans le gouffre de la mort volontaire sur la musique de Richard Hell. "Quitte à finir, au moins finir en beauté" 1981 : Exposition Robert Malaval.1982 : Exposition Paillettes.1989 : Exposition Malaval : paillettes et pastels . 2005 : Exposition Robert Malaval, kamikaze, Palais de Tokyo (Paris), site de création et Biennale d’art contemporain de Lyon. "Modèles pour le peintre, les musiques sont aussi ce qu'il écoute en peignant, ce qui donne à ses peintures des rythmes très divers. Car il écoute et il aime des musiques (le pluriel est important) très différentes les unes des autres. Il n'y a pas de hiérarchie dans ses goûts musicaux et il aime en même temps des œuvres que la plupart des gens jugent opposées, hostiles les unes aux autres. Il aime le rock bien sûr. Un certain nombre des titres de ses tableaux font allusion à des musiciens : Bill Haley, Bo Diddley, etc. D'autres à des titres de morceaux musicaux : Gazoline, Little Queenie, Silver Train, ou Haute tension. On sait aussi qu'il a eu, de 1970 à 1973, le projet de publier en français un album consacré aux Rolling Stones, mais n'a pas trouvé d'éditeur ; qu'il a (la même année) édité une série de sept sérigraphies : Rolling Stones Rock-Prints. Il aime beaucoup "les vieux rocks des années 50 et 60, Gene Vincent et toute cette équipe". Il s'intéresse à la musique des Sex Pistols, de Kraftwerk, de Starshooter, Diesel, Téléphone, Hémorragie, Calcinator, Asphalte Jungle. David Bowie (indique-t-il) nous donne "un véritable art corporel". Mais il aime aussi ce que certains rockers méprisent : les valses viennoises (liées pour lui au plaisir du champagne) et les bals musettes populaires où l'on danse la java. Il n'oppose pas le jazz et la java. À peu près toutes les musiques l'intéressent : la musique classique, la salsa, le reggae, la musique arabe, Edith Piaf… Il peint à peu près toujours en écoutant de la musique. Il aime faire découvrir à ses amis de nouveaux sons. Les bruits l'intéressent et, sans doute, font pour lui partie de la musique. Tour à tour, il est voleur de bruits, transformateur de bruits, organisateur de bruits.» Robert Malaval était une sorte de Kurt Cobain de la peinture. Mais Robert n’a jamais cherché le succès. Il l’a pourtant connu avec la série des Aliments Blancs mais, à l’époque où je l’ai rencontré au début des années 1970, sa soif de changement, son désir inextinguible de découvrir et de prolonger jusqu’au bout sa trajectoire de météorite incontrôlable l’empêchaient de faire de cette série le socle d’une carrière bien assise. La première fois que je l’ai vu, il m’a emmené dans son atelier, à l’issue d’une soirée chez Chantal Thomas où se trouvaient aussi Thierry Mugler et Andrée Putman. J’avais dix-sept, dix-huit ans et je me faisais encore une idée très naïve de ce que c’était qu’être un artiste. Son atelier rue du Pont-Louis-Philippe débordait de photos en tous genres, d’objets étranges (un masque de bouc, par exemple), de disques ( Let It Bleed et Goats Head Soup des Stones tournaient en boucle) et d’un bric-à-brac invraisemblable. La première chose que l’on découvrait en entrant, c’était une baignoire pleine de pots de peinture. J’étais fasciné, subjugué par cet homme à la générosité sans limites semblable à celle que j’ai retrouvée, bien plus tard, chez Keith Haring et Jean-Michel Basquiat. Très vite, Robert est devenu l’un des mes amis les plus chers et, pour ainsi dire, un mentor. Robert m’a aidé à surmonter cette timidité farouche qui me caractérisait à l’époque. Pour mon premier grand défilé au musée Galliera, c’est lui qui est venu me chercher dans les coulisses et m’a fait monter sur scène sous les applaudissements. Les fêtes se suivaient alors à un rythme éthylique et électrifié : toute une turbulence de personnalités se côtoyait, des New York Dolls au groupe de rock des Frenchies en passant par Malcom McLaren, Jean-Pierre Kalfon, Dani, Pierre Clémenti, la bande de la Closerie des Lilas, Agnès B., Jean-Marie Poiré, Gérard Lefort, Alain Pacadis, Marie-Laure de Decker, Yves Adrien, Olivier Mosset et bien sûr Jean-François Bizot, le fondateur d’Actuel. Nous étions toute une troupe tripante (Robert Malaval, Jean-Patrick Manchette et bien d’autres) à se retrouver ensuite, tard le soir, à la Coupole. C’était devenu notre cantine. Je débarquais avec ma Harley Duoglide de 1956 rouge pailleté, une moto qui fascinait Robert bien avant qu’il ne réalise ses poussières d’étoiles fulgurantes et cosmiques. Je me souviens d’ailleurs avoir eu quelques années plus tard un accident de moto sur ma BMW750. J’avais les deux bras dans le plâtre, et lorsque Robert m’a vu, il a signé sur mon bras plâtré en m’appelant l’"Aliment Blanc" : j’ai vraiment été l’espace d’un instant une œuvre de Robert ! Robert était un artiste curieux de tout, ouvert, transversal, qui peignait, composait, écrivait et enregistrait la mer ou la garrigue. Il avait une dégaine d’acteur incroyable et charismatique qui faisait tourner les têtes et lui, il vivait tout entier tourné vers la musique et vers les autres. Il était plus rock’n’roll que peintre, ou disons qu’il peignait comme on écrit une pop song. Avec une fascination pour le céleste, le galactique pictural, les étoiles, les stars, il nourrissait un sens intense de la phrase parfaitement calibrée qui faisait de lui un véritable écrivain : Niagara Gold, Rose Rouge Rock, Camping Gaz Flash… Été pourri peinture fraîche et Transat-Marine-Campagne Rock’n’Roll ont été deux expositions célébrant Malaval, consacrant son travail visionnaire, ses installations sonores et sa capacité à se renouveler entièrement. Transat-Marine-Campagne-Rock’n’Roll était d’ailleurs une exposition plus contemporaine que l’époque ne pouvait le comprendre. Des effets de sons créaient une ambiance galactico-rock transcendantale, des téléphones disposés dans les espaces permettaient aux visiteurs de communiquer entre eux : toute une convivialité qui faisait de l’exposition une fête qui était elle-même une œuvre d’art. Mais Robert, habité d’une dimension cosmique pop, s’est enfoncé bien au-delà de son temps. Jusqu’à ne plus pouvoir lutter contre cette « difficulté d’être » qui le rapprochait de cette autre météorite que je lui avais présentée, Bernard Carasso, fondateur de la mythique « Maison Bleue » dirigée par Fanny Deleuze, rue Pierre-Lescot, où il organisait des défilés ahurissants autour d’éditions créées pour lui par Michèle Rosier, Agnès B. et moi-même. C’est avec Bernard Carasso qu’il a réalisé cette fameuse série limitée de T-shirts Kamikaze, fin du monde, un travail passionnel qui a aujourd’hui une saveur douce-amère de prémonition. Peu de temps après sa mort, j’ai réalisé la robe « Fantôme » en reprenant un des textes les plus poignants qu’il ait écrit. La robe, créée pour le mariage d’Eva Truffaut avec le fils de Robert, est tout de suite devenue culte. Un hommage intense rendu à Robert qui, malgré sa disparition, n’aura pas cessé de vivre pour moi avec son élégante désinvolture. Je me souviens d’ailleurs de cette phrase de Jean-Jacques Schuhl écrite dans Rose poussière, un livre incontournable pour Robert et moi : « Il se recoiffe, met ou enlève sa veste ou son écharpe ainsi qu’on lance une fleur dans une tombe encore entrouverte. »Au-delà de la comète artistique à l’élégance rock qu’était Malaval, ce qu’il reste aujourd’hui pour moi, ce n’est pas seulement une poussière d’étoiles, mais bien une étoile qui brille définitivement à son firmament. « Malaval est fasciné par l’aventure des pilotes kamikazes japonais en 1944 et 1945, bombes vivantes, partant, sereins, pour une mission qu’ils savaient être mortelle, sans recours. Il ne s’intéresse pas, sans doute, aux raisons religieuses ou patriotiques que peuvent se donner les kamikazes, mais à leur étrange destin, à la singulière provocation que constitue leur geste, à leur jeu avec la mort. Il ne les considère pas comme des fanatiques ou comme des automates disciplinés, mais comme des individus qu’illumine (comme l’a écrit Ivan Morris) le sentiment tragique que l’échec peut être noble, qu’il est beau d’accepter une lutte que l’on sait inégale . Les kamikazes connaissent en général le vrai rapport des forces en présence. Ils en tiennent compte, mais en tirent une conclusion paradoxale : celle de mourir sans espoir, dans la sérénité, de manifester qu’ils sont au-delà des calculs stratégiques, même si leurs chefs prétendent parfois les utiliser à l’intérieur d’une stratégie. On connaît la formule qui définit le courage occidental : il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Chez les kamikazes, entreprendre suppose un état mental où l’espoir et le désespoir cessent d’être contradictoires. Ils ne veulent pas persévérer, mais en un seul instant (cet instant unique dont l’idée compte tant pour Malaval) faire coïncider la mort et la victoire sur elle, l’échec et le mépris de l’échec, l’éloge de la vie et son sacrifice. Souvent les kamikazes n’ont nul espoir de survie et ne s’en soucient pas. Ils n’espèrent en nul Walhalla. « Après la mort (dit l’un d’eux), il n’y a que le néant… Cela ne m’intéresse pas le moins du monde de savoir ce qu’il adviendra de moi après ma mort. » Ils sont fréquemment sans foi et sans peur. « Mourez (se disent-ils) chaque matin en imagination et vous n’aurez plus peur de la mort ! » Ils sont souvent sans haine : « Ceux que je combats (dit Miyanoo), je ne les hais point. » Comme le fera Malaval, Miyanoo pense à la fois à la mort et au ciel étoilé : « Tout doucement, je cesserai d’exister comme une étoile sans nom qui s’évanouit quand paraît l’aube. » » Dans les titres que Malaval donne à ses reliefs et sculptures-objets, il y a, assez souvent, des indications qui peuvent venir orienter les bribes de récits que nous nous racontons. L'Aliment blanc parfois habite quelque part. Il se fabrique un "nid". Il a diverses "façons d'être" et Malaval est en quelque sorte le zoologue de l'aliment blanc, peut-être son psychologue, ou son ethnologue. On observe parfois (cette fois en chimiste) une "cristallisation" d'aliment blanc et l'on note son "développement exceptionnel". Ce qui semble indiquer qu'il y a un développement normal, une croissance ordinaire de l'aliment blanc. Il arrive à Malaval de désigner quelque chose comme "le véritable aliment blanc". Cela laisserait supposer qu'il existe aussi des aliments blancs factices et trompeurs, des simulacres d'aliments blancs. Certains aliments blancs (la plupart sans doute) ne conviennent qu'à des sédentaires et parasitent leurs meubles et immeubles. Mais il existe des "aliments blancs de voyage"…