mercredi, octobre 18, 2006

 

Nicola S par Patrick E..

"Portrait d'un chanteur d'Indochine pacifié, ou comment réussir le come-back le plus populaire et lucratif de la scène française. Le rock ne sauve personne. De rien, il vous offre seulement un monde. Avec les clefs pour les comprendre. Et cela peut vous tenir une vie entière. Mais le prix à payer est en général trop élevé. Très vite, au bout de quelques années, le rock ne vous parle plus ; autour de vous, que d'échec, de mort, de frustration, d'espoirs déçus et du reste. On ne quitte jamais le rock : c'est lui qui vous laisser tomber. Le rock est tragique, c'est ainsi. Dans ce contexte, Indochine ou plutôt Nicola Sirkis, puisqu'il est Indochine, est un miracle. Une joyeuse exception. Qui ne confirme rien. Vingt ans après, il est toujours là. Mieux, il est au premier plan, plus encore que pendant les années 80. Le passé n'est pas pour lui une charge comme pour les autres, ceux à qui on assène toujours leurs triomphes d'hier pour les stigmatiser. Non, lui, il s'est fait une force de plus. Il a quasiment le même physique qu'il y a vingt ans, à l'heure joyeuse des débuts. Il rassemble les générations, peut se permettre de choisir sa promo comme ses apparitions publiques, surfe sur les vagues et les modes, les applique discrètement à son travail... et survit ainsi. Aujourd'hui, on ne reparle plus que de rock. Avec sa mine de rien, le Nicola ramasse le flambeau tombé à terre, dans un pays où la vieille variété, réinventée par la télé réalité, truste les ventes et les médias. C'est un boulevard pour Nicola Sirkis. Sans concurrence, à ce niveau, Vampire main. Il a même réussi à flirter avec la douceur et le drame, l'argument obligé. Le jumeau junkie était mort, le guitariste, Dominique, qui se tapait tout le boulot ''musical'', parti... La techno était arrivée, le rock marginalisé. On a cru le groupe fini, sans contrats : il a réussi la résurrection, ce passage obligé de tous les mythes. Et les sarcasmes du début sont oubliés. Indochine bénéficie même d'une crédibilité nouvelle. Le poids des années, sans doute. Avant, on leur reprochait d'imiter l'electro-pop anglaise façon Cure, on moquait le sax amateur de Dimitri, le falsetto un peu tanguant de Nicola... On leur en voulait d'avoir du succès trop vite, trop jeunes, de chanter faux (la belle affaire!) mais surtout, de ne pas s'ouvrir les veines sur scène comme Daniel Darc. Indochine avait du succès et plaisait aux petites filles. Indochine était un groupe pop à une époque, les années 80, où la France ne respectait que le rock. Passeur sous influence. Aujourd'hui, donc. Nicola Sirkis donne des concerts triomphants de deux heures... devant un public large comme une avenue. Du jeune fan de brit-pop façon Blur et consorts jusqu'au nostalgique de L'Aventurier, il reconditionne trente ans de rock british, adapte ici Marilyn Manson comme Placebo... Comme hier Indochine offrait une version light de Cure ou Joy Division, introduisant tous les clichés new wave possibles (le dernier DVD du garçon se dénomme Les Divisions de la joie, le dernier album propose des titres comme Comateen - hier, c'était Radio Indochine, Punishment Park... Bref, que des emprunts directs et à la lettre, pour un public qui ne connaît pas, la plupart du temps et de moins en moins, l'origine de ces références. Ils sont peut-être au rock new wave et à la France ce que Johnny Hallyday est au rock tout court et à ce pays : des passeurs. Quand on y réfléchit, c'est un sacré compliment, Hallyday ! A l'heure où Marilyn Manson recopie (habillement!) les clichés berlinois, art nouveau et rock décadent seventies, une fois encore, nous refaisant son couplet absinthe et Oscar Wilde pour s'imposer comme un post-Bowie rusé, Nicola parle d'enregistrer son prochain album à Berlin, justement! Un album qui serait conceptuel et... Bref, il est sous influence. A l'entendre, on pourrait croire qu'elle est inconsciente. Il va sans doute réussir, encore une fois, à imposer tout ce monde perdu et cette culture à un public qui n'en a pas la mémoire, lui offrant ainsi les clefs du mouvement littéraire décadent, et du reste. Oui, un passeur. Alors, à quoi bon lui reprocher d'avoir le nez dans le guidon et d'avoir des influences trop criantes. C'est un débat d'esthètes, de vieux con qui en savent trop. Ce qui revient au même. J'ai rencontré le garçon à l'Hôtel Costes. On se connaît depuis toujours, bien sûr. Sans jamais vraiment le connaître, justement. Mais par personnes interposées : Ann Scott, qui lui a écrit une chanson, les gens du fanzine L'Ordonnance. Le rock, c'est sept familles au moins pour un petit pays, avec Nicola S. pour petit prince. C'est ainsi. Autour de lui, son équipe bien sûr, sa femme et son enfant : cet homme a l'air heureux. Il l'est sans doute. Il a tout réussi, ce qui paraît impossible ici. Certains en ont conclu à l'arrivisme, au machiavélisme, ont brossé le tableau d'un manipulateur sans scrupules, suçant le génie de son jumeau fragile et autrement plus ''rock'', par exemple... Conneries. Récemment, Entrevue s'est permis un papier torchon sur le thème, exploitant la rancoeur d'un frère jaloux, celui qui a vu sa vie gâchée par l'ascension de ses deux jumeaux plus jeunes. Lui aussi faisait du rock. Et cela fait vingt ans qu'il se ronge les ongles, jusqu'au sang. Alors, il téléphone à toutes les rédactions, pour ''dénoncer''. Le pire est qu'il y croit sans doute. Le rock vous rend fou. Je n'avais qu'une question, une seule vraie question à poser à Nicola Sirkis. Le reste, c'était de la discussion aimable de salon. A vrai dire, il n'y a, je crois bien, toujours qu'une seule vraie question à poser aux gens, qu'un unique secret...
- Nicola... Comment tu expliques ça?
Le rock en France n'est qu'une histoire de losers et de douleur. Au mieux, tu as un succès un moment, profites d'un style. Après, tu traînes ça comme un boulet, devenant synonyme d'une époque défunte, ça devient une prison, et c'est le meilleur des cas! Ici, tu échappes à ça. Quand même, Daho, Mitsouko ou d'autres patinent, Indochine est toujours frais aujourd'hui... Comme il ne l'a jamais été, ou presque. Même NRJ passe vos titres, tu triomphes aux MTV Awards, les ventes de l'album Paradize ne ralentissent pas... Comment t'as fait? Pour survivre et renaître ainsi?
- Je crois que le secret, c'est... On n'a jamais arrêté en fait. On a continué à remplir les salles, même quand on n'avait pas de maison de disques. Je crois que tout a recommencé vers 1991, quand on a décidé de laisser tomber les machines et...
- 1991? C'était la techno triomphante!
- Oui, mais tous ces petits fans d'Oasis, de Blur, de Suede, de la brit-pop nous découvraient. Parce qu'on jouait ce rock-là et qu'ont étaient les seuls!
- Vous vendez 600.000 albums en vous appuyant sur un public de 2.000 personnes? Ce sont les ventes en France de Suede et des autres...
- On a en même temps l'image d'un groupe qui est passé par toutes les affres un peu légendaires. Et le rock renaît toujours! Regarde Placebo, Marilyn Manson, The Donnas, les White Stripes, les...
- Mais tu as vécu assez pour le savoir... Y'a rien de nouveau!
- Non, mais je suis optimiste. On est le rock en France.
Voilà. Il n'y avait pas de secret, pas plus de formule magique. Comme Johnny, ils sont le rock ici et point barre. Un destin. Alors, devant ça... Savoir ''si on les aime ou pas...'' devient superfétatoire. On va dire ça."

Comments: Enregistrer un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?